Andouille, François Fillon ?
Certes, et ce n'est pas un scoop.
Mais Andouille du Mois ?
Voilà qui peut surprendre. Notre médaille de l'andouillerie suppose quelque chose d'extrême, de flamboyant qu'on associe mal à un personnage aussi terne, aux propos si banalement pauvres.
Mais ne sous-estimons personne, même pas lui, qui nous a réservé l'autre jour une divine surprise.
Candidat à la distinction suprême, celle qui fait de vous l'égal des dieux, à savoir la Présidence de la République — et candidat mal placé qui plus est, ce qui vous oblige à sortir les armes lourdes —, notre homme, à la fin de l'été, offrit à ses concitoyens de Sablé-sur-Sarthe un grand discours sur l'enseignement de l'Histoire à l'école primaire.
(Hé, hé, pas si con le bonhomme, il a compris que l'essentiel se joue au début de la vie.)
M. Fillon déclare donc ce jour-là qu'il s'agit de «restaurer le bon sens à l'école», le bon sens qui comme chacun sait est l'apanage d'une partie seulement des Français. Pour cela il faudra modifier les programmes bien sûr, «en partant de la France et en axant le récit sur celle-ci et non en le diluant, comme on le fait aujourd'hui, dans l'étude des faits généraux "mondialisés"». En parlant de la France, on cessera de tout faire pour la salir. Si l'on évoque la colonisation, par exemple, ce sera pour faire connaître ses bienfaits, puisque la France colonisatrice n'a eu qu'un seul et noble but : «partager sa culture». Il faut «retrouver la fierté d'être Français». L'école doit être le lieu d'un «réarmement moral» — qui passe naturellement, battez tambours, par le port de l'uniforme.
Jusque là, on patauge dans le poncif droitier le plus vaseux. Pas de quoi andouiller l'orateur.
Oui, mais là-dessus le candidat enchaîne : cette réécriture des programmes empêchera qu'on oblige comme aujourd'hui les maîtres à apprendre aux enfants (il cite en le déformant un texte officiel) «à comprendre que le passé est source d'interrogations». Et il conclut : «Faire douter de notre Histoire : cette instruction est honteuse !»
Développons à sa place : apprendre à douter, à exercer l'esprit critique, tel est l'odieux projet de la bande d'ultra-gauchistes au pouvoir, visant à corrompre notre belle jeunesse, à semer le relativisme et la chienlit dans notre admirable pays — le meilleur de tous.
Là, ça se corse, comme dirait Pasqua.
Fillon continue : son but est de «réécrire les programmes d'histoire avec l'idée de les concevoir comme un récit national».
Et qui s'en chargera, mon bon monsieur ?
«Trois académiciens renommés.»
Ce chiffre précis le laisse entendre, il sait déjà lesquels. Darcos ? Finkielkraut ? Fumaroli ? Jean d'Ormesson ? Beaucoup d'autres Immortels, il est vrai, feraient aussi bien l'affaire.
D'infimes détails, parfois, suffisent. Quelques mots innocents. «Récit national»... «Trois académiciens»... On bascule dans une autre dimension. La Poésie apparaît. Je me mets à rêver. L'Histoire n'est plus cet effrayant chaos, et le combat perpétuel pour un peu mieux comprendre sa complexité ; l'Histoire selon M. Fillon est une série de belles histoires, un beau roman illustré de belles images pieuses. Me voilà soudain transporté soixante ans en arrière. En CP, dans la classe de Mlle Rousseau, je feuillette mon premier manuel d'histoire de France : sur la page de gauche quelques lignes, à droite un dessin en couleurs, les Gaulois, Charlemagne et sa grande barbe, Saint Louis, Jeanne d'Arc, Marignan 1515... Ah ! qu'il est beau le passé de la France. Simple, majestueux, tranquille. Et voici les Trois Académiciens dans le rôle des Rois Mages, apportant leurs précieux présents à une flopée d'enfançons, avec les instits dans le rôle du bœuf et de l'âne, Marianne en sainte maman et Fillon, là-bas dans le coin, en ravi de la crèche.
Merci, M. Fillon, de nous ramener ainsi en arrière, comme si rien ne s'était passé depuis la Quatrième, que dis-je ? la Troisième République ; merci de nous faire goûter une fois encore aux joies coconneuses de la régression intellectuelle. J'aurais pu, évidemment, couronner à votre place le nabot qui fut cinq ans votre bourreau, qui tient à peu près le même discours et vient de faire s'esclaffer le pays avec ses histoires de Gaulois ; mais il y a chez ce personnage quelque chose d'incurablement violent et vulgaire, et j'ai préféré passer ce moment de célébration andouillère avec vous, monsieur le maire de Sablé-sur-Sarthe, qui êtes un requin comme l'autre, sans doute, mais de façon moins criarde ; vous qui venez à nous auréolé de cette apparence de bonhomie que donne l'absence de brillant.
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