Une caméra de vidéosurveillance a surpris l'autre jour un terroriste, peu après l'attentat, sautant par dessus un tourniquet du métro. Scène surprenante : ses lointains commanditaires seraient-ils donc trop fauchés pour payer au malheureux un ticket à l'unité, à défaut d'un passe Navigo ? Grisé par ses sanglants exploits, l'homme se serait-il offert le luxe d'une dernière transgression, d'un délicieux frisson ultime ? A-t-il tout simplement accompli un geste habituel, machinal, obnubilé qu'il était par le bonheur divin qui l'attendait, cette partie de jambes en l'air au paradis avec une ribambelle de vierges pour lui tout seul ?
Ce faisant il attirait l'attention des keufs, c'était là une connerie de débutant digne d'une Andouille du Mois, mais non : pas question d'accueillir dans notre prestigieux palmarès un personnage à ce point sinistre, et si tristement nul. Il aura servi de simple détonateur, de tremplin pour celle qui mérite pleinement notre couronne : Mme Valérie Pécresse.
Cette dame, qui brigue actuellement la présidence de la région Ile-de-France, rien de moins, s'est emparée d'un incident somme toute marginal pour donner à sa campagne un méchant coup de fouet. Voici, selon les gazettes, ce qu'elle a déclaré en substance :
«Dès qu'on commence à franchir les portillons dans le métro, à taguer, ça veut dire qu'on peut tout se permettre. L'un des terroristes a été filmé dans le métro en train de frauder. Cela commence par là.»
Lesdites gazettes se sont partiellement rétractées ensuite : notre audacieuse politicienne aurait évoqué plus précisément (mais je ne vois pas la différence) le sentiment d'impunité, qui une fois éveillé ne peut que croître à l'infini. Quand on passe les bornes, il n'y a plus de limites. Qui gobe un œuf viole un bœuf. Le métro sans ticket ? Le crime au bout du quai. Extrapolons un peu : si les contrôleurs de la RATP avaient fait leur boulot ces dernières années, la petite crapule n'en serait pas là, et nous non plus.
Présenté ainsi, c'est grotesque, même aux yeux d'un électeur de droite. Andouillesque, pour tout dire. Les internautes, qui ne respectent rien, ont aussitôt réagi, feignant de chercher dans leur passé les petits ruisseaux qui les ont menés à la grande rivière du crime. Florilège express :
J'ai commencé en me bagarrant à la maternelle et puis l'engrenage...
Je cachais l'argent que ma grand-mère me donnait pour le pain au chocolat pour que ma mère m'en redonne.
J'ai volé la carte Club Dorothée de Vanessa en primaire.
Un jour j'ai fait croire à ma mère que même le premier de la classe avait pas eu la moyenne.
Une fois pendant mon footing j'ai couru à contresens sur la piste cyclable.
J'ai fait tout ça moi aussi, et pourtant, je l'avoue, j'ai ricané grassement avec eux. Avant que mon rire, peu à peu, s'éteigne. Est-ce vraiment le moment de se poiler ? D'accabler cette pauvre femme ? N'est-elle pas contrainte, en période électorale, d'aligner les conneries qu'attendent ses électeurs potentiels ? Ce somptueux déraillement intellectuel n'est-il pas la conséquence, le symptôme aigu, de l'immense pétage de plombs d'une nation tout entière ? Le gros bouton sur la peau qui révèle une grave infection interne ?
Eh oui : voyant la France quasiment unanime, ces derniers jours, se vouer au tout sécuritaire, piétiner allègrement ses traditions démocratiques, agiter des petits drapeaux comme nos marmots le 14 juillet ou comme des Américains, je me suis dit que notre andouille, ce mois-ci, ne devrait pas s'appeler Valérie, mais Marianne.
Et puis j'ai réfléchi.
Penser à contre-courant, c'est vite épuisant. On se sent seul. On a l'impression de nier des évidences. On se sent comme... comme... oui, comme une andouille. Alors que marcher au même pas que les autres, se fondre dans la masse, c'est bon, ça tient chaud. Contagieuse, l'hystérie me gagne. La mémoire me revient : moi aussi j'ai fraudé naguère, et pas qu'un peu, pauvre inconscient. J'ai même sauté une fois, je crois bien, le même tourniquet que le petit connard, à Montreuil. Sans caméras pour m'espionner, sous l'œil impuissant de Jésus sur sa Croix de Chavaux. J'en ai des sueurs froides. Elle a raison, Mme Pécresse. Je suis devenu mauvais moi aussi, j'ai pissé sur la Marseillaise, je me suis gaussé du Drapeau, je n'aime plus le Bon Dieu, je n'aime que Notre-Dame-des-Landes. Je rêve de couper (pure métaphore) les couilles des Monsantos et des Goldman Sachs qui nous gouvernent. Pour nos régimes «libéraux» en place, dans un sens, l'écolo non-violent que je suis est non moins dangereux à long terme que les fous du désert.
Je peux encore me racheter. Il faut que j'apprenne à voir dans les tourniquets du métro une barrière sacrée, la ligne mystérieuse qui sépare le Bien du Mal. Que je me retienne de sauter par-dessus — j'en serai bientôt physiquement incapable, grâce au ciel. Si Mme Pécresse est élue, si la loi qu'elle propose est acceptée (pour tout refus de présenter son identité dans les transports, 7500 euros d'amende et six mois de prison), je serai maintenu dans le droit chemin par la juste sévérité du châtiment, par de proliférantes patrouilles d'anges bleus à casquette, par des batteries d'yeux électroniques fusillant Caïn du regard, et je leur dirai merci à genoux. Ce n'est pas si difficile d'aimer Big Brother.
Valérie Pécresse en action. |