Un qui doit râler, c'est Bandar al-Khaibari. Ce prédicateur saoudien expliquait l'autre jour à ses étudiants, sur une chaîne d'information de son pays, alArabiya, que la terre ne tourne ni sur elle-même, ni autour du soleil. Elle ne bouge pas, la terre. La preuve ? D'abord, c'est écrit dans le Coran. Ensuite, si la terre tournait, un avion s'envolant de Ryad vers Pékin n'aurait qu'à faire la planche là-haut, le temps que Pékin vienne à lui. Comment dit-on «et toc !» en arabe ?
Au début, je l'avoue, j'ai pris Bandar pour un sombre crétin, de ceux que toute religion étroitement embrassée engendre. À la réflexion, je me suis dit qu'il ne croit sans doute pas lui-même à son histoire, qu'il a lancé le plus gros bobard possible dans un seul but : remporter notre Andouille du Mois. D'où, j'imagine, sa colère : il vient de se faire coiffer sur le fil. Car je l'apprends aujourd'hui, d'autres avant lui l'avaient surpassé, inspirés par un autre Livre saint, et il me plaît de rappeler ici, dans un souci œcuménique, que les shootés à la Bible peuvent faire aussi bien, sinon mieux, que les accros au Coran.
Qu'on se le dise : la terre est plate. Et notre andouille (bien ronde) va couronner celui qui a fait revivre cette conception vieille comme le monde, mais de plus en plus discutée. Gloire à Samuel Birley Rowbotham (1816-1884), qui développa sa théorie dans un monumental ouvrage paru en 1881 : Zetetic Astronomy : Earth not à Globe. Selon lui, la terre est une galette plate dont le centre est le pôle Nord, bornée tout autour par une muraille de glace ; le soleil et la lune sont accrochés à 4 800 km au-dessus de nous, ils ont tous deux 52 km de diamètre ; le cosmos avec ses étoiles nous sert de toit juste un peu plus haut.
Les disciples de Rowbotham furent peu nombreux, mais zélés. Après son décès, malgré des hauts et des bas, le flambeau est passé de main en main et brûle toujours, alimenté par une lecture fervente de la Bible. La Flat Earth Society, fondée en 1956, a récemment ouvert un site Internet et publié une encyclopédie. Les héritiers du maître, aidés par la méthode zététique, «alternative à la méthode scientifique», ont réponse à tout, comme Rowbotham lui-même, «débateur infatigable, ingénieux et plein d'esprit», nous dit-on.
Le ciel étoilé n'est pas le même à Rio qu'à Oslo ? Fastoche à expliquer quand on connaît «l'accélération électromagnétique et optique par le tourbillon éthérique». Le débarquement sur la lune ? Des photos truquées, voyons. Une gigantesque supercherie, comme tant d'autres, manigancées par la conspiration des savants officiels, ces mécréants.
En fait, ce n'est pas l'initiateur qu'il faudrait couronner, mais ses vaillants épigones. Ils ont plus de mérite que lui, confrontés qu'ils sont aux dernières découvertes de la science qui fragilisent toujours plus leur vision du monde. Superbe est leur combat. Clamer aujourd'hui que la terre est plate, qu'on y croie ou non, face à une nuée de preuves écrasantes, à un déluge de sarcasmes, c'est héroïque, c'est glorieux comme le martyre. Le déni de la réalité, poussé à ce point, inspire aux esprits forts que nous sommes une sorte d'effarement sacré, comme l'immensité de la voûte étoilée au-dessus de nos têtes, nous élevant au-dessus du rationnel et de ses tristes platitudes.
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