Lors des trois tueries du début de ce mois, j'ai beaucoup pensé aux musulmans de France, pour qui ce sanglant hommage au Prophète est évidemment un désastre. Ils vont se retrouver plus stigmatisés encore, et l'on imagine — on lit déjà — toutes les andouilleries que certains vont débiter à leur encontre, alors qu'eux-mêmes rejettent, dans leur vaste majorité, je veux le croire, ces crimes commis au nom de leur vénéré Prophète.
Pourtant c'est l'un d'eux qui va décrocher l'andouille. L'un de ces jeunes maghrébins de banlieue qui ne sont pas Charlie. Non, je n'ai pas choisi l'un de ceux aux yeux de qui trois brutes à la cervelle pleine de merde, aux mains pleines de sang apparaissent en lumineux martyrs. Je ne couronnerai pas non plus l'un de ceux, nombreux apparemment, qui tout en affirmant que ce n'est pas bien de tuer, ajoutent aussitôt que ces dessinateurs, tout de même, ils l'avaient bien cherché, non ? Mon andouille, elle — où donc ai-je lu son témoignage, dans ce raz-de-marée de commentaires ? — a une position harmonieusement médiane, ni trop sévère, ni trop laxiste : «Ils auraient pu se contenter d'en tuer un seul, ça suffisait».
Les journées passées ont mêlé sans cesse le tragique et le grotesque, et rire devant certains aspects de cette horreur, ou du moins essayer, c'est une juste façon d'être Charlie, je crois. Je crains pourtant d'être bien seul à déceler du comique dans cette phrase terrible. Et j'ai du mal à m'expliquer sa très paradoxale drôlerie. Sans doute y a-t-il, bien dissimulé sous l'horreur, quelque chose de risible dans l'écart vertigineux entre la faute (un petit crobard anodin) et le châtiment exigé (la mort). De quoi conclure que la religion elle aussi peut mener à la maladie mentale, si l'on ne craignait les représailles des commandos du Prophète... Sans doute y a-t-il aussi, dans le mélange détonant d'extrémisme et de modération du garçon, quelque chose d'absurde. On devine le brave gars sincèrement partagé entre la foi meurtrière qu'on lui a inculquée et un reste de sentiments humains ; à moins qu'il ne se bricole une position prudente, propre à ménager en même temps ses potes fanatiques et ses coreligionnaires modérés — ce qui lui place le cul entre deux chaises et l'amènera, on le devine, à se le faire botter par les uns et les autres...
Je n'éprouve aucune haine à l'égard de cette pauvre andouille. Il a grandi, tout porte à le croire, dans des conditions difficiles, peu propices à la tolérance, et cela lui vaut quelques circonstances atténuantes — même si, élevés dans les mêmes conditions, d'autres à sa place sont devenus des gens bien. Après l'avoir couronné, accordons-lui toute notre compassion — d'autant que sa fin, probablement, ne sera pas des plus jouissives. L'un des dessins humoristiques surgis après la tragédie l'annonce : arrivé dans son paradis, il ne trouvera pas les vierges qu'on lui promet, parties tailler des pipes à des gars moins lugubres — de joyeux dessinateurs athées par exemple —, mais des djihadistes rendus encore plus fous par la privation sexuelle qui l'empapaouteront à qui mieux mieux sous l'œil consterné d'Allah.
Soumission ? Qui a dit Soumission ? |