PURIN D'ANDOUILLE


Le purin d'orties est un traitement des sols utilisé depuis des siècles, totalement naturel, efficace et sans danger. En 2002 il est interdit à la vente en France. Motif : produit non homologué. L'homologation coûte entre 10 000 et 300 000 €, ce qui la met hors de portée de ses producteurs artisanaux. L'usage du purin d'orties, cependant, reste autorisé.

Le 5 janvier 2006, la loi d'orientation agricole n° 2006-11 interdit de divulguer la recette dudit purin d'orties et de tout autre produit naturel non homologué sous peine de 75 000 € d'amende et deux ans de prison. Ceux qui font savoir, par exemple, que l'eau chaude est un bon désherbant pour les allées ou que les feuilles de fougère éloignent les chenilles des choux sont désormais des criminels.

Ici le volkonaute se frotte les yeux, relit ce qui précède et soupire, jugeant ma plaisanterie de mauvais goût, comme toujours. Eh bien non, ce n'est pas une blague ! Notre législateur a bel et bien pété les plombs.

Pourquoi diable ?

Comme si on ne le savait pas... Nos députés sont à la botte des multinationales de l'agrobusiness, qui veulent imposer leurs poisons chimiques à l'agriculteur en évacuant manu militari s'il le faut la concurrence écologique.

La recette du purin d'orties a aussitôt circulé sur Internet, naturellement, et à ma connaissance aucun des contrevenants n'a été condamné, même si certains ont reçu des menaces officielles. Mais pouvait-on appliquer une loi pareille sans ajouter le ridicule à l'odieux ? Au bout de cinq longues années, les pouvoirs publics ont fait un pas en arrière, obligés qu'ils étaient — alors même que la doctrine officielle était que «l'écologie, ça commence à bien faire». En 2011, donc, l'inquiétante mixture est sortie de l'illégalité sous le label PNPP («préparation naturelle peu préoccupante»), mais attention : il n'y a pas un seul purin d'orties, mais plusieurs, or une seule recette est pour l'instant légale — une recette contestée par les jardiniers eux-mêmes. Dans le même temps, le Roundup de Monsanto, ce poison violent, n'est toujours pas interdit, et notre pays reste le plus gros consommateur au monde de pesticides et d'engrais chimiques à l'hectare cultivé — alors même que la concurrence mondiale est très rude. Et je n'ose révéler ici les bienfaits de la prêle ou de la consoude, des fois qu'elles seraient encore tricardes, ces petites salopes. Je ne sais pas où regarder dans le Journal Officiel pour savoir ce qu'il en est.

L'andouille dans l'histoire ?

Nous pourrions couronner les multinationales chimiques, Monsanto and co, ces colosses terrifiés devant quelques tiges d'ortie baignant dans un seau d'eau, ce troupeau d'éléphants s'efforçant d'écraser une souris. Mais faut-il vraiment rire de ces monstres ? Insister sur le comique de l'affaire pourrait faire oublier l'horreur du monde qu'ils nous préparent.

Nous pourrions aussi couronner, de façon symbolique, le directeur départemental de la répression des fraudes du Maine et Loire qui fut en 2002 à l'origine de ce pataquès grotesque. Mais ne serait-ce pas déprécier nos andouilles que d'en ceindre le front d'un sous-fifre, d'un nul, d'un fonctionnaire obtus ou trouillard ou les deux qui s'abriterait aussitôt, je parie, derrière des règlements et des ordres venus d'en haut ?

Eh bien suivons son doigt, levons les yeux vers le sommet de l'État : qui donc dirigeait la France en 2002, en 2006 ?

Comment ça ? Jacques Chirac ? C'est pourtant vrai. On l'avait déjà oublié. Eh bien voilà qui tombe à pic : on avait déjà deux ou trois fois pensé à lui dans d'autres affaires. C'est donc ce personnage que nous andouillerons ce mois-ci. Car de deux choses l'une : soit il était au courant et il n'a pas eu l'intelligence de nous épargner la honte en arrêtant les décréteurs fous ; soit il ne savait pas, et que dire d'un chef d'État qui ignore ce que fricotent dans son dos, en son nom, d'irresponsables crétins ? Il n'était pourtant pas encore gaga à l'époque...

Injuste, ma décision ? J'en conviens. C'est nous tous qui mériterions l'andouille. Qui parmi nous a levé alors le petit doigt, une poignée de bons citoyens écolos et batailleurs mise à part ? Aujourd'hui encore, malgré un déluge d'informations concordantes dénonçant le cancer néo-libéral, combien sommes-nous à ouvrir les yeux et fermer le poing ?



Si seulement il était le seul à déconner...
Purin d'orties... Putain, c'est quoi déjà ?

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