ANDOUILLE SUCRÉE-SALÉE


Je reçois depuis quelque temps la Lettre Santé Nature Innovation d'un certain Jean-Marc Dupuis. Non, ce n'est pas lui l'andouille ! Je ne suis pas toujours d'accord avec lui, mais sa circonspection à l'égard de la médecine officielle, son intérêt pour les médecines naturelles et ses conseils d'alimentation saine trouvent en moi une oreille attentive.

Or voilà que l'autre jour le chevalier Dupuis vole au secours de deux médecins attaqués par le Conseil de l'Ordre. Les professeurs Bernard Debré et Philippe Even ont été lourdement condamnés à cause de leur livre, le Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux où ils dénoncent les collusions louches entre les industries pharmaceutiques, les scientifiques et les praticiens, et s'opposent à certaines doctrines officielles. Dupuis tresse des couronnes aux deux iconoclastes. Il admire entre autres leur profonde humanité. Pour eux, en effet, la médecine ne consiste pas d'abord à distribuer des médicaments, mais, citons-les,

«à accueillir un homme, un enfant ou un vieillard qui sont, ou se sentent malades, à les écouter, les interroger, les regarder, les examiner, analyser leurs symptômes, leur vie, leurs difficultés affectives, familiales, professionnelles. Tous sont des individus uniques et des individus dans la société. Les maladies n'existent pas, il n'y a que des malades.»

Jusqu'ici, rien d'andouillesque. Mais voilà que l'ardent défenseur du tandem bémolise un peu son admiration, en citant un autre extrait du même ouvrage qui attaque violemment ses propres positions. Y sont dénoncés, pêle-mêle,

«l'homéopathie, si pittoresque et moliéresque, la médecine des plantes, de préférence mystérieuses, chinoises ou mexicaines, la teinture de badiane, l'extrait de crataegus, les oligoéléments, le magnésium surtout, très apprécié le magnésium, mais aussi le zinc, le cuivre et même l'or, les passes magnétiques, la mésothérapie, la sophrologie, les danses rituelles, les baquets de Messmer-Cagliostro qui faisaient accourir tout Paris vers 1780, y compris Marie-Antoinette déguisée, et encore les tatouages cabalistiques, le yoga transcendantal, la métempsychose, la méditation zen, le tai-chi, la gymnastique suédoise, la planche à clous du fakir Burmah, les pépins de courge, l'extrait de marron d'Inde, les feuilles de ginkgo, le tango argentin, la samba brésilienne, le hula hoop, le rap, les crapauds des sorcières de Macbeth, le vaudou, les cataplasmes, les sinapismes Rigollot, les clystères insinuatifs, carminatifs ou rémollients, le régime Dukan, les cures thermales remboursées, spécialité presque exclusivement française - n'y aurait-il de sources qu'en France et à Marienbad, Wiesbaden ou Montecatini ? - ou encore la scientologie, l'imposition des mains, le pèlerinage à Lourdes, les prières à toutes les divinités, chapelets divers en main, ou par la lecture de Lacan, Foucault ou Althusser, qui ont l'art, très imité, de parler chinois dans leur propre langue.»

Quelles que soient nos opinions sur la question, comment ne pas applaudir la verve, le souffle de ce brillant solo ! Quel beau talent ! Et comment ne pas s'ébaubir de voir, sorti des mêmes bouches, un tissu de conneries succéder à d'aussi nobles paroles, l'ouverture d'esprit virer à l'étroitesse la plus noire, la pensée la plus lucide s'abandonner aux amalgames les plus crétins ? On pourrait donc être en même temps un vieux sage et un vieux con ?

Oui.

Nous avons beau fermer les yeux devant les vérités trop dérangeantes, il faut le reconnaître : nos duettistes n'ont rien d'exceptionnel, chacun de nous sans doute est un Debréven, à savoir un étrange mélange, sorte d'andouille sucrée-salée, dont la saveur composite peut susciter, chez ceux qui doivent se la farcir, soit l'euphorie, soit l'accablement, soit une assez nauséeuse mixture des deux.




Les acupuncteurs leur piquent des patients.
Pourquoi les médecins râlent-ils ?

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