ANDOUILLE MARSEILLAISE


Nul ne peut l'ignorer. La nouvelle a bouleversé le pays : lors d'une cérémonie officielle, il y a peu, une ministre de la République française n'a pas chanté l'hymne national. La ministre en question, déjà suspecte aux bons patriotes en raison de la couleur de sa peau, a déchaîné l'ire, notamment, de Mme Le Pen :

«Ce dérapage inacceptable est en effet une preuve symbolique de premier ordre de [son] mépris pour la France, pour son histoire, et pour son peuple, qui lui aime chanter son hymne, et en est fier.»

À pareil crime, quel châtiment ? M. Philippot, bras extrême droit de la susdite, s'exclame dans un touit lapidaire et superbe : «Si Valls n'annonce pas ce soir le limogeage de Taubira, nous saurons que la haine de la France est au sommet de l'État.»

La coupable ayant comparé, de façon blasphématoire, le fredonnement officiel de l'hymne national à un karaoké — mot d'origine étrangère, donc douteuse —, un député de notre Sud profond nommé Collard, de même couleur politique — sombrement bleue — que les précédents, et avocat de son métier, nous gratifie d'un effet de manches grandiose : «L'estrade du karaoké de Taubira c'est le cercueil de nos soldats !»

Une virgule après le nom honni, et c'eût été parfait.

Une amie à l'humour parfois douteux me souffle : «Elles lui vont mal, à Collard, ses deux ailes. Ces deux haines qu'il lui faut !»

Est-ce bien le moment de plaisanter, quand on insulte la patrie ? Revenons à notre appel aux armes, citoyens.

J'aime assez, je l'avoue, la musique de notre hymne guerrier, surtout lorsqu'elle est orchestrée par Berlioz. Quant aux paroles... Depuis des années je soupèse d'un côté leur bêtise et de l'autre leur méchanceté, en me demandant laquelle est la plus lourde. L'increvable popularité de cette catastrophe littéraire et humaine est pour moi un mystère de plus. Que certains militaires puissent écouter raidis d'extase, la bite au garde-à-vous, cette histoire de féroces soldats et de sanguimpur qu'il faut faire gicler, passe encore ; mais cette foule immense de pékins plutôt paisibles, votant mollement pour des notables mollassons ?

On ne me demandera pas, j'espère, de décerner l'andouille aux zélateurs de Rouget de l'Isle précités : leur patriotisme imbécile (pardon pour le pléonasme) est décidément trop répandu, trop banal, trop dépourvu de ce petit frémissement guilleret qui fait les bonnes andouilles. Allons, enfants, il faut trouver mieux.

Eh bien moi je crois que je la tiens, mon andouille. Je m'en veux de ne pas voir noté son nom, frappé que j'ai été par sa prose comme par la foudre. Cet anonyme a compris que pour défendre les paroles incriminées, il fallait à tout prix les désanguinariser, ce qui implique de désamorcer cette malheureuse histoire de sanguimpur. Voici donc :

«À l'époque ce qu'on appelait le sang pur c'était le sang des nobles qui seuls pouvaient prétendre à des fonctions d'officiers dans l'armée. Lors de la Révolution et notamment de l'attaque des Autrichiens, les nobles se sont enfuis et ne restaient donc que des sangs impurs, par opposition au sang pur, qui étaient des gens du peuple qui prenaient les armes pour combattre l'envahisseur. Et les sillons sont des tranchées creusées un peu partout dans la campagne et les champs lors des sanglantes batailles. «Qu'un sang impur abreuve nos sillons» signifie donc que c'est notre sang impur à nous le peuple qui nourrira nos terres. En aucun cas il ne s'agit du sang de l'ennemi.»

Le tout assorti d'un commentaire cinglant à l'égard des blaireaux qui auraient compris autre chose.

Dommage que l'expression, plombée par ce double «qui», n'ait pas la légèreté ailée de la pensée... Comment ! dira-t-on. Coiffer de notre charcuterie ce raisonnement d'une aussi affolante subtilité ?

Attention : ce qui nous fait couronner d'andouilles ce front anonyme, ce n'est pas d'avoir imaginé pareille calembredaine, mais de nous avoir crus assez crétins pour l'avaler.




— Un sans guimpure ? Kekséksa, Marianne ?
La République dictant les paroles à Rouget de Lisle.

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