L'ANDOUILLE ET SES BOBOS


Le bobo ? C'est un «bourgeois-bohème», quelqu'un qui joue les non-conformistes alors qu'il vit dans l'aisance, cœur à gauche et portefeuille à droite. Mais est-il besoin de le dire ? Tout le monde connaît désormais le mot bobo. Tout récent, il a fait fortune aussitôt, preuve qu'il est réussi. Non content de résumer une notion complexe en deux syllabes, il indique, par son redoublement d'allure enfantine, le côté naïf, immature du bobo : c'est un urbain, un intellectuel, éloigné de la réalité rugueuse, industrielle ou agricole. Il vote écolo bien souvent, circonstance aggravante ! Bref, un petit crétin. (Pour désigner un niais, les Vaudois ont un mot tout proche : bobet).

Le bobo a une particularité : il ne s'assume pas, faute de courage ou de lucidité — c'est son côté andouille. Je n'ai jamais entendu personne revendiquer sa boboïtude. Les bobos, c'est toujours les autres. Cela vaut pour tous ceux que je connais — en fait, à la réflexion, tous mes amis sont des bobos sans l'admettre, ou sans le savoir.

Et moi, suis-je bobo ? Non, bien sûr.

Ah, pourquoi donc ?

Euh...

Enfin bref. Ce qui me frappe, c'est le déferlement de moqueries, de mépris, de haine que suscite un peu partout et notamment sur Internet ce personnage somme toute anodin, et fort peu agressif. Je trouve sur un excellent blog, transports.blog.lemonde.fr, animé par Olivier Razemon, un florilège d'injures lancées contre l'infortuné bobo. Sa gentillesse apparente est tantôt raillée (c'est son côté «angélique», «bisounours»), tantôt niée : c'est en fait un faux jeton. Son anticonformisme affiché, c'est du flan. Le boboïsme est un conformisme. La générosité proclamée du bobo, sa vertu affichée cache un égoïsme féroce, qui le pousse à imposer ses lubies dangereuses à toute la planète. Ce «donneur de leçons» n'est qu'un «ayatollah», un «khmer vert», un «Fouquier-Tinville, parfaitement étranger à toute notion de justice.» Paris ? «Une ville de vieux bobos haineux, apeurés et déconnectés du XXIe siècle».

«Évidemment, décrète un certain M. Velib, quand on vit en ville, qu'on travaille en ville, qu'on est bobo, qu'on mange bio, et toutes ces inepties, tout est possible en vélo.» Et un nommé Fred bis de renchérir : ces gens-là «n'ont pas vu une usine depuis des années, vivent dans un monde clos alimenté en produits bio par des triporteurs et souhaitent visiblement la mort de Renault et des dizaines de millier (sic) d'emplois qui vont avec...»

Pas mal, messieurs, pas mal, mais notre modeste podium risquant de s'écrouler sous la masse de tous les anti-bobos français, je suis obligé d'en couronner un seul, et ce sera l'auteur inspiré de la diatribe ci-dessous, lequel signe Gardy. Je reproduis son morceau de bravoure dans l'orthographe et la typographie d'origine, avec ce qui passera sûrement, à ses yeux, pour l'insupportable morgue d'un lettré rabaissant l'homme-du-peuple-qui-n'a-pas-pu-faire-faire-d'études-mais-qui-parle-vrai, lui.

«Il place l'écologie en premiere préocupation, loin devant toutes les autres.Il n'a pas de probleme d'argent et en plus d'etre pour la plupart propriétaire de leur logement, ils sont assez bien matelassés.Leur emplois et celui du conjoint sont generalement sur avec quasiment aucun risque de les perdre.Pour les plus agés les enfants sont casés et meme bien, ils ont pu leur payer de belles études.Ils sont ou sociologiquement !Fondamentalement à gauche et essentiellement à EELV. Ils sont pour les plus vieux d'anciens trostko/coco/mao...istes des années 70/80 ces chevelus barbus fumant du hakich mais que le société a trés vite récupéré pour leur permettre de réussir pleinement une vie professionnelle bien remunéré.Les plus jeunes sont leurs heritiers spitituels.Contre toutes autorités à 17 ans,on les retrouve vingt ans plus tard à des postes de responsabilité ayant comme certains mangés leurs convictions de jeunesses.Comme des pasteques assurement, mais d'un rouge assez clair quand meme à l'interieur avec tout autour une grosse peau verte qui conditionne toutes leurs pensées et actes.»

Mais qu'a donc fait le pauvre bobo pour mériter tant de hargne ?

C'est pourtant simple.

— Sans être riche, le bobo a en principe un peu d'argent, ce qui déchaîne la jalousie de ceux qui en ont moins, eux que ne gênent en rien les fortunes colossales de ceux qui les exploitent — incapables qu'ils sont de les imaginer.

— Le bobo est instruit, informé, cultivé, donc plutôt lucide, ce qui fait de lui, pour bien des gens, une sorte d'OVNI incompréhensible et inquiétant.

— Le bobo, souvent ennemi de la voiture, est tenu pour coupable de certains crimes contre l'humanité, comme la réduction de la vitesse sur le périphérique parisien.

On trouve, toujours sur le même blog, sous la plume d'un lecteur, un édifiant portrait de l'Anti-Bobo, qui

«* écoute de la musique française ringarde ;

* vote de préférence à droite, ou à l'extrême droite dans ses mauvais jours ;

* aime prendre son 4×4 pour aller chasser (ce qui se résume à tirer à bout portant sur un animal qui vient d'être lâché) ;

* lit le Figaro, quand il lit, mais préfère regarder les matchs de foot et les infos de TF1... ;

* ...auxquelles il ne comprend pas grand chose car il ne quitte que rarement son village, uniquement pour se faire rôtir sur la plage ou se geler sur les remonte-pentes.?

* Sa géographie s'arrête à la limite du département, sauf pour les plages et stations de skis qu'il fréquente (mais il ne saurait pas les situer sur une carte), et il pense sincèrement qu'en dehors de son cher village, la France est peuplée d'islamistes et de communistes prêts à lui sauter dessus.?

* Sa boisson préférée est la bière, de préférence devant un match de foot pendant que bobonne fait le ménage ou une autre tâche dite féminine».

Étant plutôt doux, comme les bobos, tant de cruauté m'afflige, mais comment nier la justesse du portrait ?

L'Anti-Bobo vote à droite, à l'extrême droite de préférence, oui, bien vu. (Combien de chaque côté, comment savoir, la frontière est si floue.) Cela suffit à en faire un personnage-clé, la meilleure incarnation de la France profonde en ce début de siècle. On devine comment il eût voté en Allemagne dans les années 30, époque dont notre présent est si proche, et on l'imagine croassant sous Vichy, à coups de bafouilles méchantes et non signées... On dira que notre Anti-Bobo, lui, n'envoie personne dans des camps, et n'a tué personne ; c'est vrai, l'époque ne s'y prête pas encore.




Cousin, frère ou même personnage ?
L'Anti-Bobo, beauf de Cabu ?

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