ANDOUILLE VÉGÉTALIENNE


Andouille, Gary Yourofsky ?

S'il était un tant soit peu connu en Europe, ou si volkovitch.com était lu de l'autre côté de l'océan, on voit d'ici le scandale. Redoutant l'ire de l'impétrant, je précise que la couronne andouillère de ce mois, à titre exceptionnel, ne contient aucun produit ou sous-produit animal.

Car Gary Yourofsky ne plaisante pas ! Sa combativité l'a rendu célèbre aux USA. Défenseur des droits des animaux, militant contre toute forme de cruauté à leur égard, cet activiste hyperactif ne se contente pas d'accumuler les conférences : il agit. Son plus haut fait d'armes : libérer en douce plus d'un millier de visons promis à une luxueuse existence post mortem, à la grande fureur des fourreurs. Il a été arrêté treize fois. Cinq pays l'interdisent de séjour. Il ne ferait pas de mal à une mouche, mais malheur aux humains qui en feraient devant lui.

J'ai suivi sur Internet l'une de ses conférences. Sa conviction, sa passion, son bagou torrentiel sont admirables. C'est beau comme un raz de marée. On va croire que je rigole de ce tsunami des bêtes, mais comment ne pas être d'accord avec lui, étant soi-même végétarien, quand il dénonce les violences infligées aux animaux, non seulement dans les abattoirs, mais dans les élevages intensifs ? Il nous apprend que dix milliards d'animaux sont tués aux seuls États-Unis chaque année. Il ponctue son intervention de vidéos insoutenables montrant des animaux torturés par des fermiers, et je ne vois pas qui pourrait trouver ces atrocités normales ou négligeables.

Les animaux ne sont pas notre propriété ! clame leur défenseur, et l'on se dit que cela va peut-être un peu loin, que la libération des animaux domestiques poserait tout de même certains problèmes, mais enfin cela fait réfléchir, on se sent mal à l'aise, or introduire le doute et le malaise, je suis plutôt pour. Castrer notre minon-minet chéri, par exemple, allait de soi jadis. Je l'ai moi-même laissé faire plusieurs fois, lâchement, mais un vague remords me poursuit.

Alors, dira-t-on, pourquoi couronner d'andouilles ce sauveur des opprimés ?

Patience. Le meilleur est à venir. Ce qui m'intéresse dans ce cas précis, c'est le moment mystérieux où tout bascule ; où le discours sensé, poussé un peu plus loin, se met à dérailler ; où la raison vire à la déraison.

Notre homme ne refuse pas seulement les vêtements de fourrure ou de cuir, mais aussi la soie et la laine. Il n'est pas seulement végétarien, mais végétalien, refusant d'ingurgiter le moindre sous-produit animal, œuf, lait, fromage etc. Après tout, pourquoi pas ? Ce qui fait de lui une andouille, c'est moins son régime que la façon naïvement outrancière dont il le présente. Dans la bouche de notre imprécateur, le miel est du «vomi d'abeille», l'œuf s'apparente aux «règles de la poule» et la consommation de «sécrétions mammaires», autrement dit de lait, spolie gravement ses bénéficiaires : les petits de l'animal. «Il y a plus de cruauté dans un verre de lait que dans un steak».

Et de conclure : «Je souhaite que des pères tirent accidentellement sur leurs fils à l'occasion de parties de chasse, pendant que les carnivores succombent lentement à des crises cardiaques. Que chaque cowboy et chaque matador soient encornés jusqu'à la mort, que les tortionnaires du cirque se fassent piétiner par des éléphants et lacérer par des tigres. Que chaque femme emmitouflée dans la fourrure doive endurer un viol si vicieux qu'elle en soit marquée à vie. Et que chaque homme couvert de fourrure se fasse sodomiser si violemment que ses organes internes en soient détruits.»

Je ne sais si ce flamboyant bouquet final est extrait d'une conférence ou d'un texte écrit, s'il fut lâché dans le feu de l'action ou mûrement et froidement pesé. Soyons bons pour l'être humain aussi, penchons pour la première hypothèse. L'andouillerie du monsieur, dans ce cas, se réduirait à un art de dire n'importe quoi. Pas de quoi fouetter un chat. On ne va pas en faire un fromage. Après tout, ne sommes-nous pas accoutumés à encenser des auteurs dont les écrits se vautrent voluptueusement dans la violence, et qui seraient incapables de couper le cou d'un poulet ? Savourons donc en esthètes la vigueur de l'imagination yourofskienne et la rutilance de sa connerie.

Moralité : ne frappons pas les animaux, mangeons-les le moins possible, rangeons nos manteaux de fourrure — sauf si les visons sont morts de vieillesse, certificat de décès faisant foi. Et préparons-nous tout de même à l'étape suivante : l'éclosion d'une nouvelle race, les défenseurs des droits des plantes, qui montreront du doigt les arracheurs de carottes, qui traqueront sans pitié les cueilleurs de cerises et jusqu'aux ramasseurs de pommes tombées par terre. L'humanité s'éteindra ainsi bien vite, et nos cadavres nourriront les corbeaux.



Les corbeaux sont des animaux très sympathiques.
«Les chers corbeaux délicieux» Arthur Rimbaud.

*  *  *