ANDOUILLE VERSAILLAISE


D'habitude, notre andouille a une identité, un visage, et des écrits ou du moins des paroles qu'on se fait une joie de reproduire. Cette fois-ci, rien de tout cela. Je m'apprête à couronner une ombre.

Je sais seulement que la lauréate est de sexe féminin, et que cette femme (cette fille ?) habite (habitait ?) Versailles, ce temple de la Tradition triomphante, cette momie de la pensée.

C'était il y a... il y a... dix ans ? vingt ans ? Un magazine genre Nouvelobs consacrait tout un dossier à une population française qu'on croyait alors, naïf qu'on était, en voie d'extinction : les ultra-cathos. Une femme normale y racontait que sa meilleure amie, naguère, apprenant qu'elle n'était pas baptisée, avait fondu en larmes, avant de la supplier de se mettre en règle au plus vite : c'était trop terrible de se dire que sa copine bien-aimée, si elle mourait, s'en irait en enfer.

Ainsi donc, il y avait encore dans ce pays, à la fin du siècle précédent — et il y en a encore, sûrement, la race en question ne semblant pas près de s'éteindre —, des gens pour juger qu'on peut mener une vie irréprochable, croire en Dieu par dessus le marché, et terminer malgré tout dans les marmites du diable sous prétexte qu'on n'a pas sa carte du club !

Certains diront qu'il n'y a là qu'un bidouillage de journalistes prêts à tout pour attirer le chaland. (Comme si notre admirable presse pouvait s'abaisser à ce point !) D'autres feront de moi le seul coupable, mon trop peu de mémoire et mon trop d'imagination s'étant unis pour engendrer un tel monstre. (Hélas pour eux, j'ai encore moins d'imagination que de mémoire.) D'autres remarqueront qu'à Versailles tout est possible, du moins dans le domaine du rétropédalage intellectuel, de l'obscurantisme galopant, ce qui ne veut pas dire que de tels extrêmes soient également possibles ailleurs. (Dieu les entende.) D'autres ricaneront de mon étonnement : comme si l'on ne savait pas que l'appartenance à une religion peut amener l'être humain à croire absolument n'importe quoi, à justifier n'importe quoi, à se livrer aux actes les plus contraires à la religion elle-même, bref, que trop souvent la foi rend fou ! (Que répondre ?). D'autres enfin, analysant ce délire théologique, auront beau jeu de montrer qu'un Dieu, par définition tout-puissant et plein de bonté, qui refuserait d'accueillir chez lui les meilleurs d'entre nous à cause d'un minuscule problème administratif, ou qui ne serait pas en mesure d'enfreindre le règlement qu'il aurait lui-même institué, ce Dieu-là ne serait qu'un petit fonctionnaire tatillon et borné, un clone d'une de ses plus lamentables créatures, et qu'imaginer un Dieu pareil constituerait une grave insulte, pour ne pas dire un péché mortel.

C'est vrai : cette aberration mentale, quand on y réfléchit, c'est terrifiant. Mais je ne veux pas la mort de la pécheresse. Ma couronne d'andouilles n'est pas nécessairement infamante. J'ai ce soir l'âme évangélique au point de pardonner son hérésie à la Versaillaise et de minimiser sa faute au maximum. Je n'en ferai pas une adulte responsable ; je choisis de voir en elle une toute jeune fille dont le cerveau fut lavé à grande eau (bénite), dans une institution religieuse locale, par de mauvaises bonnes sœurs. Ô cornettes ! ô sornettes ! Ce n'est pas la pauvre petite conne qui doit aller rôtir en bas, mais les sinistres adultes qui lui ont enseigné ces calembredaines. L'énormité même de son erreur, finalement, m'attendrit. De son comportement débile je ne veux retenir que l'amour. Me voilà ému, ma parole ! Au lieu de fustiger l'enfant, il faut que j'atténue ses angoisses. Alors voilà, j'imagine : son amie, au lieu de se moquer ou de se lancer dans un débat théologique, décide de lui offrir le plus beau des cadeaux : se faire baptiser. L'enfant du bon Dieu bat des mains, comme dans les romans de la comtesse de Ségur.

— Et nous ferons ensemble notre communion ?

— Nous la ferons ensemble.

Toutes les deux côte-à-côte, en longues robes blanches, telles deux petites mariées... Une paix immense descend sur l'âme de l'andouillette. Elle se blottit au creux de l'épaule de l'Amie, dont les cheveux sont si fins, si doux au toucher. Elle a envie de... de... Elle ne sait pas. Elle n'a jamais été aussi heureuse — au point de ne pas entendre les ts, ts furieux venus d'En-haut, de ne pas voir le Père Éternel qui fait Non, non, défendu ! en agitant Son index énorme.



Vu la tronche qu'elles tirent, elles doivent préférer l'enfer...
Enfin sauvées !

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