ANDOUILLES PATRONALES


L'andouillologie, science exacte ? Il faut en être une bien grosse, d'andouille, pour le croire. Quoi de plus aléatoire en vérité ? La perle du voisin est souvent mon andouille à moi — et vice-versa. Et pour me limiter à moi-même, où situer l'impalpable frontière franchie par le connard, par exemple, ce roturier vulgaire, pour devenir à mes yeux une Andouille, ce qui vaut titre de noblesse ?

Les patrons du MEDEF, par exemple. Jamais je n'aurais cru les retrouver réunis ce mois-ci, congestionnés de fierté sous l'énorme couronne porcine collective. L'andouille, en principe, se distingue par une certaine lenteur neuronale doublée d'un côté débonnaire, bon enfant, épanoui. Nos grands patrons, eux, sont tout sauf des neuneus, ils ont fait des études poussées, ils savent une foule de choses, et pas seulement l'art de pressurer l'employé et d'entuber le client ; quant à l'épanouissement, on ne les connaît pas en privé, ils ne fraient pas avec le commun des mortels, mais leurs déclarations publiques ont une couleur aussi sinistre que les idées qu'ils défendent.

Qu'ont-ils donc fait pour que soudain je les sente andouillisables ? Oh, rien d'original. Lors d'une récente réunion, ils ont réitéré leur soutien résolu à l'énergie nucléaire et à l'exploitation du gaz de schiste, ainsi que leur surdité absolue à tout argument contraire, mais il en a toujours été ainsi. Celle qui fut longtemps leur présidente, Laurence Parisot, ne déclarait-elle pas récemment, avec plus de vigueur que de finesse dans la pensée ou le maniement de la langue, «Il ne faut pas être dans le rejet du progrès scientifique» ou «L'énergie ne peut pas être un débat spécialisé de quelques experts fanatiques» ? (Les fanatiques, entendons ces petits crétins d'écolos, alors que nous, les maîtres de l'industrie, nous incarnons Modération, Bon Sens et Sagesse.)

Ils n'ont fait que persévérer dans leur être, nos patrons ; seulement voilà, cette fois c'était lors d'une concertation avec l'adversaire écolo, lieu propice à la discussion, au compromis, et ce à l'heure où leur idole nucléaro-schisteuse vacille de plus en plus dangereusement sous les coups cruels de la réalité ; d'autre part, ils ont mis dans leur refus de toute concession, dans leur déni forcené du réel (est-ce dû au retour à une direction masculine, avec ce que cela implique de brutalité obtuse ?) une touche infime de raideur en plus qui les fait basculer, ô mystère ! de l'autre côté. Ils étaient déjà pour moi et quelques autres une bande d'irresponsables et, pour tout dire, d'enfoirés ; les voici accédant à une dignité supérieure. L'intelligence étant aussi, assez souvent, comme on le sait peut-être, un accélérateur de connerie, elle les enfonce encore plus profondément dans leur attachement sénile à une vision du monde obsolescente. Ils sont assurément les maîtres de ce monde, ils croulent sous les richesses plus que Crésus ou Ronaldo, ce sont eux qui nous conduisent à toute allure, péremptoirement, vroum vroum, vers le gouffre, mais moi je les vois désormais d'un œil plus équitable et charitable, en pauvres gosses de riches trop bien nourris, en apprentis sorciers dépassés par les événements, en malvoyants, en autistes, en benêts ; je pense à toutes les railleries, à toute la haine que les générations futures leur réservent, à leurs descendants rasant les murs, et pour la première fois, pensant à eux, mon cœur s'emplit très chrétiennement de la plus étrange des compassions.



C'était déjà parisot, et voilà que ça se Gattaz encore...
Qui a dit : Qu'on les pende ?

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