ANDOUILLE THÉOLOGIQUE


Notre époque est sinistrement superficielle et je ne sais ce qui me retient de nous élire tous, autant que nous sommes, Andouilles du mois. Nos médias cathodiques, électroniques ou imprimés (s'il en reste) déblatèrent à jet continu sur des sujets futiles, crise, chômage, pollution, corruption, en négligeant les questions profondes et éternelles.

Qui pense encore au filioque ? Qui sait seulement ce que c'est ?

Moi je sais. J'ai subi des leçons de catéchisme pendant dix ans et il m'en est resté une blessure ouverte. Une blessure qui remonte à l'an mil, si ce n'est pas des siècles plus tôt ! En 1054, donc, le Grand schisme d'Orient consacrait la rupture entre l'église d'Orient et celle d'Occident, à cause de ce foutu filioque. En latin, cela veut dire «et du fils». Depuis bientôt mille ans, nous avons d'un côté les orthodoxes pour qui, au sein de la Trinité divine, l'Esprit Saint procède du Père, et de l'autre les catholiques soutenant mordicus qu'il procède du Père et du Fils !!!

L'archiprêtre Alexandre, mon catéchiste, m'a tout expliqué jadis dans le moindre détail : ce filioque incroyable est en contradiction formelle avec l'Évangile selon Jean (XV, 26) ainsi qu'avec les leçons des premiers conciles de Nicée (325) et Constantinople (381). Ce dernier a bel et bien spécifié : «Nous croyons en l'Esprit Saint, qui est Seigneur et qui donne la vie, qui procède du Père, qui a parlé par les Prophètes, qui avec le Père et le Fils est adoré et glorifié.»

Procéder du Père et du Fils... Et ta sœur ?

Et saint Taraise, patriarche de Constantinople, qu'en fait-on, hein ? Il a pourtant été très clair en l'an 807 : L'Esprit Saint procède du Père par le Fils.

Que cet ajout du Fils constitue la pire des absurdités, cela saute aux yeux. Dois-je faire aux volkonautes l'injure d'expliquer pourquoi ? Au sein de la très-sainte Église orthodoxe, la réfutation du filioque constitue depuis dix siècles la première leçon pour tout apprenti théologien. L'inexplicable persistance d'une croyance à ce point délirante prouve assez l'existence et l'influence du Malin. Ne voit-on pas le lien étroit entre cette erreur ancienne et les errements actuels de l'église catholique ? Non content de saper sournoisement le principe de hiérarchie, ce maudit filioque n'installe-t-il pas, au sein même de la Trinité, entre le Père et son propre Fils, des relations doublement coupables ? Faut-il dès lors s'étonner si une partie au moins de l'église catholique d'aujourd'hui — par delà les déclarations de surface et les manifestations spectaculaires — fait preuve d'une coupable indulgence à l'égard des sodomites et de leurs aspirations au mariage, indulgence qui nous mènera tout droit à l'inceste, à la pédophilie, à la zoophilie, à l'exobiophilie, et j'en passe ?

C'est l'époque du grand n'importe quoi. Comment des croyants parfois sensés ont-ils pu gober de telles fariboles ? Je ne sais ce qui me retient de décerner notre Andouille de mai à l'ensemble des papistes d'ici bas. Ou plutôt si, je sais : cela demanderait un courage qui me manque. Certaines plaisanteries vaguement anticléricales, le mois dernier, m'ont fait perdre deux volkonautes catho, espèce rare et à protéger, aussi me rabats-je lâchement sur un bouc émissaire qui paiera pour les autres.

J'ai choisi... saint Thomas d'Aquin !

L'illustre théologien, en effet, dans sa Somme théologique, au XIIIe siècle, ne se borne pas à énumérer les arguments pro-filioque existants : il en invente un, particulièrement spécieux, cerise empoisonnée posée sur le sulfureux gâteau de l'hérésie :

«Necesse est dicere spiritum sanctum a filio esse. Si enim non esset ab eo, nullo modo posset ab eo personaliter distingui.» (Q. 36, art. 2).

Vasouillard, n'est-ce pas ?

Carole, qui lit par dessus mon épaule, est plus sévère encore que moi.

Ce n'est pas seulement les cathos qui sont en cause, s'écrie-t-elle, mais l'ensemble des théologiens, toutes époques et toutes religions confondues ! Et tant qu'on y est, andouillons l'humanité entière, qui au fil des siècles a prêté une oreille complaisante à leurs coupages de cheveux en quatre, à leurs branlettes de cerveau !

Andouilles, nous tous ? Désolé, Carole : voilà une chose qu'on peut penser, mais qui ne se dit pas, ne s'écrit pas.



Peinte par Alphonse Chapougnard en 1875.
La très-sainte Trinité.

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