ANDOUILLITE JUVÉNILE


Je dois faire un aveu : depuis longtemps, à la fin de chaque mois, je songe à laisser tomber cette rubrique. J'ai de plus en plus de mal à trouver des sujets. L'andouillerie croît et multiplie partout, certes, mais en reproduisant trop souvent les mêmes formes avec un conformisme désolant — l'une de ses marques de fabrique. Et j'ai beau supplier les volkonautes de m'envoyer des noms d'andouilles originales et flamboyantes, j'attends et rien ne vient.

Marre de mon bain de connerie mensuel ! Mais puis-je décemment décrocher ? Chaque fois qu'on me parle de volkovitch.com, j'entends la même rengaine : «Ah ! l'andouille du mois ! (Sourire malin). C'est qui le mois prochain ?»

La page de l'andouille est la plus facile à écrire. Celle que je torche au dernier moment. Il n'y a pas de justice. Les gens sont méchants.

Hier, la fin du mois se pointant, mais pas l'inspiration, je me résous à la solution d'urgence : puiser dans le Figaro Magazine. Question andouilles, là-dedans, on trouve toujours. Oui, mais où lire ça ? Je n'ai pas de rendez-vous chez le médecin ou le dentiste et je ne fréquente plus les coiffeurs. Je vais donc à la médiathèque de ma bonne ville, abonnée à la chose comme on s'en doute. Le public là-bas est a priori plutôt Figmag, on ne va pas me regarder de travers. Pourtant, au dernier moment, je recule et cours acheter l'objet dans un kiosque loin de chez moi, dans le XVIe, en précisant que ce n'est pas pour moi, mais pour mon papa. On a sa dignité.

Et dedans, je trouve ! Mon lauréat s'appelle Laurent Obertone. Vingt-huit ans, journaliste, auteur d'un bouquin qui fait un tabassage, pardon : un tabac. Ça s'appelle La France orange mécanique. Un livre sur la criminalité en France aujourd'hui. Un livre qui, annonce 20minutes.fr, «a jeté un pavé dans la marre (sic) des statisticiens, criminologues et sociologues de la délinquance». (Ils n'ont pas une minute pour se relire, à 20 minutes ?)

Cet ouvrage, qui s'appuie sur des statistiques et des témoignages en pagaille («Nul n'est censé ignorer la réalité», tel est son sous-titre grandiose), montre un pays livré aux criminels, aux voyous, aux bandes immigrées, où tout est à feu et à sang, où l'on viole à tour de bras, où l'on tue pour un simple regard. Un livre décomplexé qui fustige la gauche bien-pensante, la justice laxiste, les médias complices, les bobos, les bougnoules, je laisse le lecteur compléter, il sait tout ça par cœur autant que moi.

Comme l'on devine, cet ouvrage de combat se vend comme des petits poings. Autant que Marc Lévy ! que Johnny Hallyday !

Je lis l'entretien. Tout se déroule comme prévu, rien ne manque au discours sécuritaire ambiant, je tiens là une andouille acceptable dans le genre classique, je suis content — enfin, non, pas tout à fait. Un doute m'assaille : tout est si plat dans le laïus du jeune homme, si prévisible, si totalement formaté que je pourrais tout réciter à sa place. Ce qu'on entend n'est pas une voix humaine, mais celle du Figmag en personne, telle la voix de Dieu sortant d'une bouche innocente. C'est le vieux refrain fabriqué sur mesure pour un pays sénile, pour cette France en charentaises qui se soûle à la peur du voisin comme d'autres à la vodka, et que sa crainte des racailles fait souvent voter pour des canailles.

Une lueur d'originalité peut-être : la réfutation triomphale du lien entre délinquance et pauvreté, puisque la Creuse est plus pauvre que la Seine-Saint-Denis alors que la délinquance y est bien moindre ! Mais comment savoir si cet argument, si crétin soit-il, ou parce que crétin, n'est pas lui aussi tout à fait courant dans les chaumières et les salons des bonnes gens de droite ?

Peut-on, dans ces conditions, faire une Andouille de ce perroquet, de ce terne et triste personnage, dont le discours dégage un insidieux fumet de moisi et de mort ?

Soyons bons princes. Considérons la jeunesse de l'impétrant. Une pensée si parfaitement momifiée à un âge aussi tendre, n'est-ce pas un petit exploit ? Il ira loin, Laurent Obertone. D'ailleurs, n'est-il pas encensé par deux de nos gloires nationales, deux de nos guides les plus écoutés : Houellebecq et la fille de Le Pen ?



Armageddon de banlieue.
Laurent Obertone menant la guerre contre le Crime.

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