ANDOUILLES EN CHAPELET


Dieu existe, il me le prouve tous les mois. Tandis que je cherche en vain, peu avant le 30 ou le 31, une Andouille nouvelle à épingler, que le monde autour de moi m'apparaît soudain platement raisonnable et d'une sagesse accablante, et que du fond des profondeurs je m'écrie, Andouillerie, andouillerie, pourquoi m'as tu abandonné ? voilà que le Tout-Puissant dépose devant moi, in extremis, un nouveau et saisissant spécimen. Ou mieux encore, toute une équipe. Ce mois-ci : messeigneurs les Évêques de France.

Loué sois-tu, Seigneur, pour ce superbe chapelet d'andouilles !

J'entends déjà les volkonautes ronchonner : Ça y est, on va encore nous chauffer les oreilles avec le mariage homosexuel, ce projet de loi ourdi par les socialistes athées. Ce mécréant, ce renégat va nous déballer la litanie des arguments faciles — l'Église déconnectée du monde moderne, son homophobie sournoise... Il nous soûle avec son anticléricalisme de bazar, ses bons mots de mauvais goût, ses plaisanteries éculées, qui n'amusent — et encore — que toute cette bande d'éculés...

Eh bien non. J'ai lu l'argumentaire des Évêques de France et je n'y trouve rien à redire ; j'aurais même souhaité plus de vigueur dans la condamnation de ces unions infernales. Car j'ai changé. Rencontrant la sainte manifestation dans Paris l'autre jour, une illumination a manqué me faire tomber de vélo comme Saint Paul de son cheval à Damas. La ferveur de ces nouveaux croisés a soudain fait bouillonner mon vieux sang. J'ai compris mes erreurs.

Me voilà replongé dans les catéchismes de ma pieuse adolescence : eh bien ces imbéciles qui vous lancent en ricanant, «Jésus avait bien deux papas !» ne sont que des ânes bâtés. C'est le Saint-Esprit qui «procède du Père et du Fils» — et encore, ça se discute, ce sont les cathos qui ont rajouté ce «et du Fils», longtemps après les faits. Alors on se tait au lieu de violenter la théologie.

Ce qui me dégoûte à présent, c'est toutes ces allusions malsaines des Sans-Dieu à la pédophilie d'une partie du clergé catholique, que l'Église a longtemps sinon acceptée ouvertement, du moins couverte. Comme si l'on pouvait comparer le mariage homosexuel, cette souillure, avec l'élan ecclésiastique, sans doute légèrement dévoyé, mais sincère, mais brûlant du plus pur amour, vers de jeunes créatures angéliques où resplendit plus que nulle part ailleurs la splendeur du visage divin ! En prenant ces enfants dans leurs bras, les prêtres ne cherchent-ils pas confusément à se rapprocher du Ciel, à les emmener avec eux vers Lui ?

(Qu'est-ce que vous dites ? Rapprocher du septième ciel ? Pourquoi septième ? Tas de crétins.)

Il est seulement une chose, à vrai dire, que je ne comprends pas bien encore : pourquoi est-ce mal pour deux hommes ou deux femmes de se marier ensemble, et en quoi cela regarde-t-il l'Église ? Mais ne nous arrêtons pas aux détails. Croire, c'est accepter. Croire, c'est obéir, aveuglément s'il le faut. Et moins on comprend, plus c'est beau.

Mais alors, les Évêques de France ? Pourquoi les andouillé-je ?

Pour peu de chose en vérité. Ils sont plutôt sympathiques, à l'instar de nombre d'andouilles. Certes, ils auraient pu mieux se défendre. Lorsque les minus d'en face nous serinent que le mariage homosexuel est autorisé sans dommage dans plusieurs pays, et non des moindres — Pays-Bas, Belgique, Canada, Espagne, Afrique du Sud, Norvège, Suède, Portugal, Islande, Argentine, Danemark — ils auraient dû répondre que la France, comme chacun sait, est la fille aînée de l'Église, depuis Clovis, et que cela lui impose ad vitam aeternam de montrer l'exemple aux autres peuples, en défendant les traditions les plus sacrées, en barrant la route aux innovations les plus funestes. (Innovation funeste ? Pardonne-moi, Seigneur, ce pléonasme.)

Si je leur en veux, à ces saints hommes, c'est de n'avoir pas officiellement salué le soutien doctrinal et la présence dans le cortège de représentants des autres monothéismes. N'était-ce pas l'occasion de rapprocher nos trois grandes religions, de commencer à les réunir ? Par delà les différences de surface, ne sont-elles pas toutes proches pour l'essentiel, dans cet exaltant combat contre tout ce qui veut puérilement, dangereusement faire évoluer l'humanité ? Leurs trois dieux n'en forment-ils pas un seul, à l'image de ses plus ardents zélateurs : admirablement raide, borné, sans amour ?



Les homos ? Pas très cathodiques...
Le mariage : une chaîne de plus ?

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