Alors qu'en cet instant même, à Londres, la planète rassemblée communie dans une même ferveur, cette humble rubrique ne saurait décemment se détourner d'une actualité aussi grandiose. Notre andouille mensuelle sera donc... allez, on devine... mais oui, bravo ! Coubertin !
C'est lui, le baron Pierre de Fredy de Coubertin, qui ressuscita les Jeux Olympiques en 1896, d'où la gloire éternelle qui l'auréole depuis. Son nom a été donné, rien qu'en France, à 127 places, rues, boulevards et avenues, à 14 établissements scolaires, à 45 stades et salles de sport.
Seuls des petits nains mesquins, dira-t-on, peuvent souhaiter rabaisser pareil géant. Soit. N'empêche, si l'on examine un peu le personnage, et sans qu'il soit besoin de s'appuyer les 60 000 pages que le baron pissa durant sa longue vie, on découvre certaines zones ombreuses. On passera charitablement sur sa morgue aristocratique, son colonialisme «fanatique» (selon ses propres termes), on se gardera de dauber sur son amour naïf du football (sa phrase «Un homme inintelligent ou simplement lent dans sa compréhension ne deviendra jamais un bon footballeur» a de quoi faire hurler de rire), et l'on se limitera aujourd'hui à son attitude envers les femmes.
Il a résumé tout seul sa misogynie en une phrase lapidaire :
«Le seul véritable héros olympique est le mâle individuel, une olympiade femelle est impensable, elle serait impraticable, inintéressante, inesthétique et incorrecte.»
Il n'interdit pas aux femmes, notons bien, de pratiquer les sports ; ce qu'il ne veut pas, c'est qu'elles se donnent en spectacle, de peur d'exciter la concupiscence des spectateurs mâles. Mais enfin, monsieur le baron, comment ledit spectacle peut-il les exciter, s'il est «inesthétique» ? Et pourquoi la concupiscence des spectateurs femelles ne pose-t-elle, de son côté, aucun problème ? Ne creusons pas trop. Un tenant de la tradition ne se nourrit pas d'arguments rationnels : il s'agit avant tout de faire comme on faisait avant, sans se poser de questions. Le rôle des femmes aux Jeux «devrait être surtout, comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs». Comme quoi, lorsque les Grecs ne suffisent pas, le Moyen-Âge est appelé à la rescousse.
Notre andouille, reconnaissons-le, n'a pas été totalement sourde à l'évolution du monde extérieur. Les femmes se libérant peu à peu de la tutelle masculine, le baron recula, lentement il est vrai, mais sûrement — en s'appuyant, là encore, sur ses chers Grecs. Il se rappela l'existence, dans l'Olympie antique, d'une enceinte sacrée nommée Altis :
«Il y avait à Olympie bien des événements qui se passaient en dehors de l'Altis, toute une vie collective palpitait à l'entour sans toutefois avoir le privilège de se manifester à l'intérieur : L'Altis même était comme le sanctuaire réservé au seul athlète consacré, purifié, admis aux épreuves principales et devenu ainsi une sorte de prêtre, d'officiant de la religion musculaire. De même je conçois l'Olympisme moderne comme constitué en son centre par une sorte d'Altis morale, de Burg sacré où sont réunis pour affronter leurs forces les concurrents des sports virils par excellence [...] et puis à l'entour toutes les autres manifestations sportives de la vie que l'on voudra organiser... Ils seront ainsi à l'honneur comme il convient, mais en second rang. Là aussi, les femmes pourraient participer si on le juge nécessaire.»
(Ce «On», il ne semble pas s'y inclure.)
Cette «religion musculaire», cette idéalisation naïve des Anciens, cette vision aristocratique d'une société divisée en castes, c'est beau comme l'Antique, mais cette andouillerie toute en finesse n'égale pas en puissance d'autres plus viriles. Le pauvre Coubertin ne fait pas le poids devant le docteur Broca, par exemple, qui déclarait peu avant lui : «Il ne faut pas perdre de vue que la femme est en moyenne un peu moins intelligente que l'homme». Pour ne rien dire de Gustave Le Bon, chercheur réputé en psychologie sociale à la fin du XIXe siècle, pour qui, chez la femme, «l'infériorité de l'intelligence est trop évidente pour être contestée. (...) Les crânes des femmes se rapprochent plus par le volume de ceux des gorilles que des crânes des sexes masculins les plus développés».
On déplore que soit si totalement oublié de nos jours un aussi sublime crétin, et que nul n'ait mesuré son volume cérébral. On se rend compte avec gêne que dans l'épreuve de misogynie notre ami le baron, tout compte fait, n'a mérité ni l'andouille d'or, ni celles d'argent ou de bronze. Mais l'essentiel, après tout, n'est-il pas de participer ?