Encore une andouille radio-active ?
Eh oui. L'actualité l'exige. Il fallait consoler au plus vite M. Jacques Cheminade, notre nouveau lauréat, de sa déculottée électorale récente. Grâce à notre Andouille d'honneur, il n'aura pas tout perdu.
Nous devons aussi le remercier d'avoir teinté cette campagne électorale assez lugubre d'une touche d'hurluberluïté réjouissante. Tout son programme en est imprégné, mais le chapitre nucléaire décroche le pompon.
Saluons surtout l'héroïsme du candidat malheureux ! En ces moments difficiles où l'étoile de l'atome pâlit, où ses apôtres naguère si arrogants passent à la défensive, Cheminade brandit l'étendard avec une audace prométhéenne.
Car il croit en la Science et en sa bonté tous azimuts ! Le nucléaire, selon lui, est le fer de lance du Progrès. «Renoncer aujourd'hui à appliquer les découvertes relativement les plus avancées de la science [à savoir le nucléaire] serait comme si les premiers hommes avaient renoncé au feu par peur animale de ses dangers. Au contraire, c'est la dynamique de la création humaine qui doit être notre pari. Sans elle, hier nous en serions restés à l'âge de pierre.»
La physique nucléaire, selon lui, est la pierre philosophale qui garantira à l'espèce humaine une expansion infinie : «Il s'agit pour l'homme de dépasser la vision d'une terre composée de ressources en quantité finie et d'assumer sa responsabilité de créateur de ressources nouvelles nécessaires à maintenir une population mondiale en croissance, à un taux constamment supérieur de production et de consommation physiques par tête.»
Chaud partisan d'une «économie isotopique» (pas de bonne propagande sans une louche de jargon obscur pour faire savant), Cheminade prévoit «des centrales nucléaires mobiles sur barges, pour apporter un ''input'' dans les régions les moins favorisées et désenclaver, (...) des villes se développant autour d'une centrale nucléaire, les nuplexes, pour lancer d'urgence de grands centres urbains, (...) des centrales sous-marines et le recours à la fusion thermonucléaire pour cette grande aventure de l'humanité que sera l'exploration spatiale». Car l'espace est notre salut. Pour maintenir une croissance indéfinie, coloniser l'espace est «nécessaire pour un décollage de l'humanité». Logique : «L'économie isotopique et la physique nucléaire sont par leur nature et leur orientation culturelle intrinsèquement astrophysiques. (...) Leur développement exige une expansion de l'espèce humaine dans toute la région intérieure du système solaire, avec une infrastructure logistique et de production spatiale à grande échelle.»
À propos d'atome, n'oublions pas la défense. «L'arme atomique reste notre principal atout.» Elle sera modernisée, naturellement, et nous lui adjoindrons d'autres bijoux comme le «laser Mégajoule» (fondé sur le concept de fusion par confinement inertiel) et l'arme «à bouffée de particule».
De vilains jaloux insistent lourdement sur l'appartenance de notre homme à une secte antisémite, anti- beaucoup de choses et globalement délirante, Solidarité et Progrès, dont il est l'un des membres les plus haut placés, les plus perversement manipulateurs — loin de l'image naïve de professeur Nimbus qu'ici j'esquisse. Et alors ? Les poètes n'ont-ils pas tous les droits ? N'est-il pas poète, ce grand visionnaire, malgré son style aussi lourd qu'est légère sa pensée ? Ne nage-t-on pas dans la poésie avec ce Laser Mégajoule au nom mirobolant, et ces centrales nucléaires flottantes surtout, ces merveilles qui font rêver, qu'on croirait sorties d'un roman de Jules Verne ?
Je ne sais si l'humanité «décollera» un jour, mais Cheminade, lui, est déjà très loin là-haut — si loin qu'il s'en retrouve du coup un peu seul, et cette modeste chronique arrivera trop tard pour le booster vers la présidence du pays. Mais qu'importe après tout, ô Cheminade ! Ne dois-tu pas plutôt, en bonne logique, dédaigner ces honneurs mesquins pour briguer la présidence du système solaire entier ? Sais-tu que sur la Lune et sur Mars les sondages te sont très favorables ?
L'aéronef de Cheminade partant à la conquête du cosmos. |