ANDOUILLE IRRADIÉE


Il est une forme d'andouille dont les dimensions imposantes eussent mérité que nous la couronnassions plus tôt. Peut-être est-ce déjà fait, après tout ? Qu'un volkonaute veuille bien se charger de vérifier à notre place : parcourir l'interminable chapelet des lauréats s'avère au-dessus de nos forces.

Le volkonaute subtil (pardon du pléonasme) l'aura deviné, nous voilà penchés sur cette andouille célèbre et florissante : l'andouille nucléaire. Car elle trône encore parmi nous, malgré tout, contre toute raison, et c'est là un mystère admirable. Les centrales nucléaires, un peu partout dans le monde, pissent leurs jus mortels ou lâchent leurs pets empoisonnés dans l'atmosphère ; les Ukrainiens et les Japonais meurent sous le choc ou de préférence à petit feu ; les irradiés agitent face aux caméras leurs plaies ou leurs difformités ; les experts indépendants — je crois qu'il en existe — multiplient les conclusions imparables et les prévisions accablantes, eh bien cause toujours : le peuple le plus surestimé de la terre, dans sa majorité, ne voit rien, ou plutôt ne veut rien voir.

Si je me résous ici à égratigner notre fierté nationale, c'est que je la sais inoxydable, immortelle. Alors disons-le : la connerie pro-nucléaire est l'un des domaines où nous dominons le monde. Je connais personnellement beaucoup de braves gens, sensés par ailleurs, dont l'intelligence à un certain point s'arrête. Fermer les centrales nucléaires ? Ou ne serait-ce que ralentir un peu certaines d'entre elles ? Vertige. Panique. Incompréhension. Ils en sont restés, dirait-on, à l'atome délicieusement désuet des années 60. Notre première bombinette... le général de Gaulle en combinaison spatiale dans le Sahara... la fission qui allait assurer notre cohésion, notre indépendance nationale, notre prospérité, blabla... Ces gens-là voient (et pas seulement sur TF1), ils lisent (et pas seulement dans le Figaro) d'autres gens qui leur tiennent le même discours lisse à force d'usure — impossible faire autrement... aucun danger, nous meilleurs que les autres... être tous raisonnables... pas écouter les ayatollahs qui veulent qu'on s'éclaire comme eux à la bougie etc.

Andouilles, les propagateurs de ce discours radio- (et surtout télé-) actif ? Oh, que non. Tout sauf naïfs. Grassement payés pour débiter leurs conneries, les détailler avec une habileté, une subtilité douce et insidieuse, fruit d'un apprentissage minutieux.

Andouilles, leurs nombreuses victimes ? Certes, ô combien ! Andouilles mineures il est vrai, simplement affligées d'une certaine raideur mentale. On a grandi dans la foi nucléaire, on ne peut imaginer le monde autrement. Renier l'atome de nos années (ir)radieuses, ce serait se renier soi-même. Les démentis du réel, on n'en veut pas, on se bouche les oreilles jusqu'à la surdité.

Oui, mais cela fait bien trop de lauréats. volkovitch.com n'a pas les moyens d'en récompenser des millions... Il faut choisir un porte-bannière, mais qui, Claude Allègre étant hors concours ad vitam aeternam ?

Pas Michel Rocard tout de même ?

Si.

Nous sommes nombreux à nous êtres pincés pour y croire, il y a quelques semaines, en lisant dans la presse de bien étranges propos. Non, ce ne sont pas là élucubrations journalistiques malveillantes, Internet fait foi, on voit Rocard en personne proférer ceci :

«Vouloir attenter au nucléaire est une folie.»

Bon, celle-là court les rues. Condamnation sans nuances. Même pas question de réduire un peu l'activité.

«Le charbon tue beaucoup plus de gens !»

Voilà qui devient original. Coup de grisou dans les galeries cérébrales rocardiennes.

«Le nucléaire est beaucoup moins dangereux que l'on ne le saurait. (...) Il nous faut retrouver sur le nucléaire de la sérénité.» Là, c'est la syntaxe qui barre en couille, comme irradiée. Le pauvre homme, pressé par le temps, a bafouillé sa péroraison et des journalistes perfides ont tout retranscrit tel quel. N'empêche : comme niveau de pensée, on est au fond de la mine.

Rocard en andouille, je suis le premier à en souffrir. Il était bien, Rocard. Il a tenu longtemps le rôle de l'homme politique honnête, humain, à la fois généreux et réaliste, bref, de l'oiseau rare qui empêche le citoyen de désespérer tout à fait. Il aurait pu être un bon président et c'est pour cela qu'il ne le fut pas : ces gars-là, il y a toujours des salopards pour les flinguer dans le dos. Il y a deux ou trois ans, à Chèvres, lors d'une campagne électorale, il avait ébloui l'auditoire par la force et le brillant de son discours. Que s'est-il passé depuis ?

On songe d'abord à glisser discrètement, au nom des bons souvenirs. Puis on se ravise : un tel personnage mérite mieux que l'indulgence. Il mérite qu'on soit exigeant avec lui jusqu'au bout. Jeter un voile charitable sur cette catastrophe intellectuelle, ce serait reconnaître qu'elle est due à l'âge et au déclin et qu'ils sont inéluctables. Non ! Reprenez-vous, m'sieur Michel ! Ouvrez les yeux ! Restez éveillé jusqu'à votre dernier souffle !



Et certains garçons irradiés naissent avec deux bites !
— Tu es sûr, Michou ?
— Absolument ! Aucun danger ! Le plutonium, ça dope les neurones !

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