Les scientifiques sont admirables. Contrairement aux philosophes et aux écrivains, ils joignent volontiers leurs efforts, si bien que les prix Nobel de sciences couronnent le plus souvent des équipes.
Notre jury moins prestigieux se devant de les imiter, nos lauriers de ce mois-ci vont ceindre les fronts d'un beau tandem d'andouilles, unies par un lien quasi filial.
Glandologiquement parlant, ils sont pourtant aux extrêmes ! Le premier naquit hypothyroïdien, tandis que le second a surmonté une hyperthyroïdie infantile. Le docteur Jean Gautier (1891-68), fonda une Science nouvelle, l'endocrino-psychologie, et publia quelques ouvrages dont L'enfant, ce glandulaire inconnu et Freud a Menti. Son disciple bien-aimé, Jean du Chazaud, né en 1943, est l'auteur — entre autres — de L'origine glandulaire des troubles mentaux, Le secret dévoilé du corps et de l'esprit et Connaître l'harmonie et les dangers de la sexualité.
La doctrine endocrino-psychologique étant trop complexe pour le glandeur que je suis, je cède la parole à Jean du Chazaud lui-même qui va vous la résumer, chers volkonautes, avec sa clarté coutumière :
«Si donc, les mécanismes neurophysiologiques sont une énigme et pour cause — le système nerveux ne joue qu'un rôle secondaire chez l'enfant — (ça commence très fort, note du compilateur) n'encourageant aucun chercheur à poursuivre dans cette voie peu consolante, la connaissance approfondie de l'influence des glandes endocrines sur le développement humain allait donner la clé du mystère à un savant de génie : Le docteur Gautier. Ainsi Gautier découvrit que l'enfant est sous la domination de la glande surrénale de 0 à 1 an, sous l'influence de la thyroïde de 1 à 7 ans, sous celle de l'hypophyse de 7 à 11 ou 12 ans, de la génitale à partir de 11 ou 12 ans.»
Ici, je voulais lâcher une vanne pour détendre l'auditeur tout en faisant mon malin, mais des protestations indignées m'en dissuadent. Laisse-le parler, connard !
Bon, bon. À vous, maître :
«Cette action qu'elle exerce physiologiquement, elle l'exerce aussi intellectuellement. Le sujet est alors vif, comprend vite, aime aussi la vitesse, aime la vie par dessus tout, est extrêmement sensible et impressionnable et il s'adapte très bien mais se soumet aussi trop facilement. Prenons la surrénale : cette glande s'oppose à la thyroïde. Son hormone est désoxydante et atténuera la sensibilité thyroïdienne. Le surrénalien est court, trapu, musclé ; le thyroïdien est tout le contraire. La surrénale par son principe hormonal est donc synonyme de force, de lourdeur, de tonus musculaire. Intellectuellement nous retrouvons cette influence : intelligence nettement moins brillante, sensibilité obtuse, tendance à la cruauté et idée de mort : Quand la surrénale, épuisée, entraîne l'hypofonction thyroïdienne, le sujet éprouve une tendance au suicide. Les femmes surrénaliennes, peu sensibles, ne détestent pas être battues et le masochisme provient de la surrénale. Cette glande, en effet, ne s'excite que par des sensations très fortes ; cette excitation agit ensuite sur la thyroïde qui contribue alors à la recherche de circonstances douloureuses pour provoquer un plaisir. Pour l'hypophyse c'est la même chose ; c'est elle qui permet d'évaluer l'allongement et la symétrie des membres ; les deux jambes comme les deux mains sont d'égale longueur, les proportions du corps sont respectées et impliquent un pouvoir physiologique de comparaison. Or, nous savons bien que c'est l'hypophyse qui agit car, si elle statue sur la longueur, elle mesure et compare ces longueurs entre elles puisqu'il y a deux jambes, deux bras, etc. Sinon rien n'empêcherait qu'un bras soit plus long que l'autre. Ainsi, intellectuellement, c'est l'hypophyse qui procure aussi la mentalité analytique, comparative, évaluatrice. Ce sont les scientifiques de l'ère moderne.»
C'est vrai : il fallait cette citation d'une longueur inhabituelle dans ces pages pour rendre pleinement justice à l'ampleur d'une telle pensée, qu'un confrère jaloux a qualifiée de «discours d'allure scientifique sans le début du commencement d'une démonstration», avant d'ajouter perfidement que son auteur «a pour lui d'avoir un ton posé et de ne pas paraître le savant fou qu'il est».
Loin de nous l'intention d'entrer dans cette polémique, bien que la farfeluosité de la théorie, même aux yeux du profane, affleure à tout moment sous la surface lisse de l'exposé gautiéro-chazaudien. En fait, si nous décernons notre Andouille d'honneur aux deux compères — cette fois en toute connaissance de cause —, c'est surtout en raison d'un corollaire de leur théorie, exposé ci-dessous :
«Blanchir la masturbation nous semble relever du pire service qu'on peut rendre à un sujet [...], elle crée dans l'organisme de lamentables effets moraux, psychologiques et intellectuels parce qu'elle contribue à amoindrir nettement la puissance de la glande interstitielle et même à son atrophie inéluctable s'il y a habitude.»
Ah ! les dangers de la branlette ! Ce dada de certains ramollis du cerveau ! Sur ce point la concurrence est nombreuse et féroce, d'autres sans doute l'ont condamnée avec plus de lyrisme et de noire fureur, mais c'est la poésie naïve de l'explication scientifique, avec sa glande interstitielle qui fait rêver à de mystérieux interstices, c'est aussi cette belle image, «blanchir la masturbation» (on l'imagine toute rougissante, la pauvrette), c'est tout cela qui conduit nos deux endoctrinologues à la victoire — d'une courte tête (de nœud).
Reste une question sans réponse : qui sont-ils, ceux qui fustigent ainsi les humbles joies de l'autoérotisme ? Des repentis de l'astiquage intensif d'andouille ? Des êtres surhumains qui parviennent à préserver leur pureté ? Des doubles manchots ?
La masturbation intellectuelle dispense-t-elle de se vider les glandes à la main ?
Et les femmes, alors ? |