N'allant que très rarement pour l'instant chez le médecin ou le dentiste, je n'ai guère l'occasion, hélas ! de feuilleter le Figaro Magazine, qui serait pour cette rubrique la plus inépuisable des mines d'or. Parfois, cependant, le hasard ou la Divine Providence fait tomber sous mes yeux, dans d'autres publications, une allusion goguenarde à quelque savoureuse andouillerie figmagoïde dont je fais mon miel.
Or donc, le digne magazine consacrait récemment tout un dossier à cette angoissante question :
«Garçons-filles : pourquoi sont-ils si différents ?»
Sent-on comme moi, déjà, une vague odeur d'andouille émanant de cette remarque, apparemment pleine de bon sens ? Les garçons et les filles sont bel et bien différents, les plus prudes lecteurs du magazine eux-mêmes s'en sont rendu compte, pas si bêtes ! Mais ce qu'un vieil habitué de la pensée droitière tel que moi entend là est vaguement comique : on devine ici l'homo figmacus tiraillé entre son désir d'établir une différence marquée entre les sexes (plus on les sépare, mieux c'est) et l'angoisse qui le saisit lorsque ladite différence échappe au contrôle, surtout si elle tourne à l'avantage du sexe faible, dont on s'aperçoit enfin qu'il est le plus fort.
Le clou du dossier : un entretien avec le pédopsychiatre Stéphane Clerget, intitulé «Il faut sauver les garçons». Là, on se marre carrément : le mâle arrogant devenant faible créature, espèce menacée, voilà un bel effet comique.
Mais écoutons le professeur Clerget, idole des médias paraît-il, invité permanent des plateaux télé :
«Selon moi, l'enfant pense aussi en fonction de son corps et de sa génitalité. Les filles perçoivent très vite que leur génitalité est à l'intérieur d'elles, c'est-à-dire qu'elles auront plus tard un bébé dans le ventre. Cela ne favorise-t-il pas les activités introspectives, l'imaginaire ?
Les garçons, eux, réalisent que leur génitalité est extérieure. Ils sont plus dans la projection : ils lancent des projectiles, tirent au pistolet ; tandis que les filles, elles, tirent davantage pour ramener à elles : elles tirent les cheveux par exemple.»
Il n'est pas con, le savant professeur. Les théories qu'il expose ont sûrement une part de vérité. Nous n'avons pas affaire à une andouille géante, nous allons travailler pour une fois dans la nuance, le minimal. Ce qui est ridicule ici, c'est ce raidissement de la pensée, ce besoin de figer, d'essentialiser, de réduire. Son exemple capillaire, notamment, semble un peu — qu'on me pardonne — tiré par les cheveux... Dans son enfance, apparemment, notre homme ne s'est jamais fait gifler par une fille.
Pas con cependant, vous dis-je. Dans l'infini débat entre l'inné et l'acquis, il ne prend pas de positions tranchées comme le souhaiterait sans doute son lectorat du jour, les facteurs sociaux et culturels ça existe un peu tout de même, il est allé jusqu'à écrire un livre sur le thème «on ne naît pas homo ou hétéro, on le devient», quelle audace ! Mais enfin si les garçons, à l'heure actuelle, réussissent mieux en maths alors que les filles l'emportent en français, ce n'est pas une affaire d'éducation (comme le pensent les gauchistes), c'est biologique, c'est l'»imprégnation hormonale» qui «favorise l'agressivité des garçons, ce qui encouragerait leur esprit cartésien». À noter le conditionnel : le lien étroit entre l'hormone et la bosse des maths, d'accord, mais Descartes et la violence, on ne l'a pas encore tout à fait scientifiquement prouvé. Ça viendra.
Ce qui inquiète évidemment le brillant professeur, c'est l'ascendant pris par les filles en ce qui concerne les résultats scolaires, toutes matières confondues, même en maths ! (Et alors, connasses d'hormones, c'est quoi ce travail ?)
Panique à bord. On se demande quoi faire. À la place de notre distingué psychiatre, je prierais pour hâter la mise au point de la molécule miracle qui viendra bouster les neurones masculins, et eux seulement, rétablissant la traditionnelle hiérarchie. Notre homme de science n'en touche pas un mot ; il se contente de préconiser les bonnes vieilles recettes banales : abolition de la mixité, déféminisation du corps enseignant dans le primaire et au collège, de sorte que le garçon puisse mieux s'identifier au détenteur du savoir et de l'autorité.
Abolir la mixité ! Apartheid à l'école ! C'est d'autant plus consternant que le monsieur, pas con vous dis-je, reconnaît à la mixité «d'énormes avantages» ; n'empêche que ce retour aux pratiques ancestrales, selon lui, «ce serait mieux que la situation actuelle».
On ne s'attendait pas à une chute si pathétique, qui permet au professeur Clerget de rejoindre une immense cohorte de crétins, gagnant enfin sans conteste son andouille d'honneur. Je me fais un devoir et une joie de la lui remettre en mains propres, moi qui dans les années 50 n'ai eu que des institutrices, dont je garde le plus tendre souvenir. Est-ce à cause d'elles que j'ai bien travaillé à l'école primaire — mieux que par la suite ? À cause d'elles que les mâles dominants m'inspirent au mieux de la pitié, et que je me trouve plus à l'aise, en règle générale, dans la compagnie du sexe féminin que dans celle des porteurs de couilles ?
Attention, fragiles... |