DÉFILÉ D'ANDOUILLES


Le plus bruyant pétard du 14 juillet 2011, c'est Eva Joly qui l'a lancé en proposant de supprimer le défilé militaire. Ce qui a mis toute la France en émoi. J'avoue que moi-même j'ai sursauté. Jamais je n'aurais osé avoir une idée pareille ! Les beaux militaires qui descendent les Champs-Elysées en fanfare, nous vivons avec ça depuis l'enfance, nous tous enfants de la Patrie ! Dans quels autres pays voit-on plus belle parade, à part la Russie, la Chine et la Corée du Nord ? Pas en Norvège en tous cas !

Mme Joly sera-t-elle donc notre andouille de juillet ?

Eh bien non. Tout bien réfléchi, je l'approuve. Délivrée de ce folklore désuet, La France aurait tout de même l'air moins tarte. Si j'hésite à flinguer le défilé moi aussi, c'est que je pense aux petits garçons qu'il fait rêver, aux amateurs de musiques simplettes, à certaines femmes que ce grand étalage viril émeut, dit-on, jusqu'aux entrailles. Je pense à mon père qui suivait la cérémonie à la télévision d'un bout à l'autre ; il n'est plus de ce monde, mais là où il se trouve, là-haut à la droite du Bon Dieu, j'imagine qu'on ne rate pas une retransmission. Puis-je pour autant traiter d'andouille une femme à la pensée si libre et raisonnable ? Il faudrait alors admettre que l'andouille, de facto, est l'être humain sain d'esprit qui refuse l'andouillerie majoritaire.

L'andouille de ce mois sera donc collective. Car dès l'annonce de la l'agression sacrilège, les citoyens ont pris les armes, formé leurs bataillons et voici que déboule en masse, puissant, grandiose, le défilé des défenseurs du défilé ! Les sublimes paroles prononcées par eux ne doivent pas sombrer dans l'oubli. Je n'irai pas marcher au pas parmi eux, mais je les regarde passer, bouche bée, notant au vol ce que j'entends de plus somptueusement con.

En tête du cortège, la fille du lieutenant Le Pen, en jupette de majorette bleu-blanc-rouge, les rangers de papa aux pieds, lançant des œillades aux rangées de beaufs qui l'acclament et se disant «absolument consternée» avec un sourire éclatant. La Norvégienne, selon elle, «ne comprend strictement rien au lien extrêmement profond qui existe entre le peuple français et son armée».

Elle n'en dira guère plus, mais à quoi bon se fatiguer ? Marchant sur ses talons en rangs serrés, les commandos de l'UMP (Unanimement Militariste et Patriote) se chargent de crier à sa place et parfois plus fort qu'elle.

Il y a là de tout, du général ministre jusqu'à l'adjudant député de province, du politique au plumitif, de l'imbécile brutal au sournois subtil, dans un assourdissant vacarme de godillots.

«Ânerie... choquant... insulte... offense morale...» «Pathétique», renchérit M. Guano, porte-flingue de notre monarque. Pour stigmatiser l'ignominie, nos nouveaux croisés font surgir, des pages les plus noires de l'Histoire de France, toute une armée de spectres hideux : les défaitistes de 38... les gauchistes et les babas de 68... «...esprit munichois... volonté gauchiste de détruire nos valeurs et nos institutions...» (Christian Vanneste). «...des idées de soixante-huitarde attardée... pacifisme béat...» (Jacques Myard). «...un antimilitarisme que l'on croyait disparu avec les dernières communautés hippies...» (Bruno Beschizza).

Disparu, l'antimilitarisme ? Ne soyons pas naïfs. Yves Thréard, du Figaro, est plus lucide quand il fait d'Eva Joly une «Madame Sans-Gêne (...) persuadée d'être dans l'humeur de l'époque, celle des indignés de tout poil.» L'»anti-France» est toujours là, soupire Guy Teissier, avec Eva Joly comme figure de proue, et cette race maudite ne périra jamais.

Bref, «cette dame» — comme la qualifie galamment notre Premier Ministre — n'est pas française. «N'importe quel Français sent cela, avant même de le savoir et de le conscientiser : on ne touche pas au 14-Juillet», s'exclame Denis Daumin de La Nouvelle République du Centre-Ouest, si ému qu'il en viole notre langue, tel un soudard en campagne, avec cet horrible «conscientiser» employé qui plus est à contresens — on connaît des Norvégiens qui maîtrisent mieux le français.

«Il est temps pour elle de retourner en Norvège», conclut Lionel Tardy, député. «En vitesse», ponctue Christian Millau, journaliste. Ils ont raison. Des étrangers plus brillants que nous, c'est humiliant.

Les retrouver là, tous ces chevaliers blancs, à vrai dire on s'y attendait un peu. Mais que voilà derrière, un peu en retrait, moins tonitruante mais présente malgré tout ? Une forte délégation du PS (Patriotisme Soft) !

Ici, les propos sont plus mesurés, on fait des grimaces à ceux de devant, on déplore leur étalage de xénophobie, mais l'armée, tout de même, l'armée...

L'armée, la plupart d'entre eux s'en tamponnent — mais le problème, c'est comme toujours les électeurs. Ils y vont peut-être, au défilé... Alors pas d'imprudence, allons nous aussi lécher les fesses à nos petits soldats, au pas camarades, au pas camarades... Et cela donne :

«On va à l'encontre de l'histoire de la nation» (Max Gallo). «La nature de la France échappe sans doute à Mme Joly» (Jean-Pierre Chevènement). Elle «ne comprend rien à la sensibilité française et est totalement déconnectée de la réalité de notre pays» (Jean-Marie Bockel). «Ce serait une très mauvaise idée que de remettre en cause nos traditions» (Ségolène Royal). «Tout cela n'est pas très sérieux» (Manuel Valls). Et le plus cinglant, de Laurent Joffrin du Nouvel Obs : «une naïve inconséquente... elle aurait mieux fait, ce jour-là, d'aller s'occuper de son jardin bio».

Plus à gauche ? Le PCF (Pas Cadencé Français), avec son faible pour l'ordre et la discipline, a toujours eu ses troupes et ses défilés perso, et au fait, existe-t-il encore ? Voilà pourquoi, en queue de cortège, à bonne distance, on ne voit qu'un seul homme. Oui, mais quel homme ! Le chef du FG (Fort en Gueule) ! Jean-Luc Mélenchon ! Déjà andouillisé ici même, jamais rassasié, exultant de ce deuxième jour de gloire qui arrive, frappant sa grosse caisse d'une main, brandissant de l'autre l'étendard sanglant du Grand Soir, chantant sur l'air de l'Internationale les paroles de l'Hymne National. Et déclarant pour finir : «Le défilé militaire rappelle à toute puissance étrangère ce qu'il lui en coûterait de s'en prendre à la France et à sa République !»

Qu'un sanguimpuuur abreeeu-ve nos sillons... C'est beau comme les soldats de l'an II. Nos ennemis s'enfuient comme des rats.

Mais non, Mélenchon n'est pas con. Au contraire. Il fait juste semblant. À cause des électeurs, encore une fois. Car les hommes politiques français, presque tous, ont décidé de prendre leurs partisans pour des andouilles — contrairement à l'usage des pays nordiques.


Ils sont pourtant jolis...
Marchooons... marchooons...

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