L'HISTOIRE D'UNE ANDOUILLE


Sur une bonne trentaine d'andouilles déjà primées ici, pas un seul critique de cinéma ! J'ai pourtant rencontré dans cette branche, au fil des ans, quelques beaux spécimens. Auquel d'entre eux décerner l'andouille d'or ?

On me souffle : Charensol !

Hum. Si feu Georges Charensol est resté célèbre pour ses duels avec Jean-Louis Bory dans Le masque et la plume, où il tenait avec application le rôle du vieux réac, je crains justement qu'il n'ait délibérément, pour les besoins du spectacle, forcé son personnage. Je le soupçonne d'avoir joué au con plus qu'il ne l'était. Tricheur, disqualifié.

Un autre nom me vient : Leguèbe !

Eric Leguèbe pointa naguère pendant trente ans au Parisien libéré. Compisseur de chefs-d'œuvre, encenseur de navets, il vous indiquait a contrario, avec une belle sûreté, ce qu'il fallait voir et ne pas voir. Quant à son style, si je me souviens bien, il était d'un plat et d'un terne assortis à sa pensée. Tout le contraire d'une star. L'apothéose du tâcheron.

Mais me souviens-je bien ? La mémoire auréole tout. Leguèbe a-t-il vraiment été aussi splendidement nul ? N'a-t-il pas aussi pondu quelques bonnes choses, dans son livre sur John Wayne par exemple ? Pas moyen de retrouver une seule ligne du bonhomme. Tout a disparu dans les poubelles de l'histoire. Le néant retourne au néant. Je ne trouve sur la Toile qu'une allusion à «Eric Leguèbe, critique préhistorique». Il faudrait que j'aille me farcir les archives du Parisien à la BN, eh bien non, je n'ai plus la force, à mon âge.

C'est alors que l'inspiration descend sur moi :

Bardèche !

Maurice Bardèche (1907-1998), qui pensait extrêmement à droite comme son beau-frère Brasillach, écrivit avec lui une Histoire du cinéma qu'il acheva seul, son beauf une fois raccourci. Je l'ai lue dans les années 60, je pensais l'avoir jetée récemment, mais non, la voilà. Je me rappelle y avoir lu des passages gratinés, mais où ? Pas le temps ni le courage de tout lire, allons tout droit là où les critiques se plantent le plus souvent : à l'époque la plus récente. L'ouvrage s'arrêtant vers 1963, un coup d'œil à la Nouvelle Vague s'impose. Connaissant le vieux, il a sûrement adoré...

En effet.

À bout de souffle. «Film d'écrivain plutôt que de cinéaste. Sur un scénario à dessein visqueux et morne, le meilleur du film était dans une narration cynique et amère, avec photographie cruelle, directe, un peu écœurante par son sadisme triste, dans une sorte de «phonogramme» de l'imbécillité. — Bouvard et Pécuchet dans une chambre de passe, laissant couler entre deux bruits de lavabo un dialogue insipide, interminable. (...) On pouvait voir là un miroir de l'indigence d'une certaine conception de la vie. Mais Godard semble éprouver quelque difficulté pour le dire clairement, et pour trouver quelque cadrage lui faisant prendre ses distances, faute de quoi il ne reste plus qu'une œuvre sommaire et banale comme le sinistre Vivre sa vie

Le Mépris ? «Échec à peu près complet.»

Truffaut ? «Il y avait bien des sottises et bien de la littérature dans Jules et Jim. La tentative de ''dépasser le couple'' se solda par un bon nombre de situations ridicules et une histoire fort ennuyeuse.»

Il ne vomit pas sur tout, Bardèche. Mais quand il aime bien, il faut tout de même, c'est plus fort que lui, qu'il crache un jet de sa bile.

Bunuel : «C'est un très grand artiste, un des plus grands qu'on puisse rencontrer dans le cinéma actuel, le plus grand peut-être dans la découverte de l'inattendu. Mais, comme penseur, il est de la force de M. Homais.»

Antonioni, dont il apprécie pourtant L'éclipse : «Peintre de la haute bourgeoisie, il est le Paul Bourget du cinéma italien.» L'avventura ? «La perfection du film inutile, hautement littéraire. On s'ennuie avec distinction. C'est un roman d'Octave Feuillet qui serait écrit par Flaubert.»

On notera la constance de Bardèche dans le recours à des équivalences littéraires ineptes.

Huit et demi de Fellini, lui, malgré «des trous, des longueurs, des digressions sibyllines», se voit décerner un tableau d'honneur, mais pour compenser, les comparaisons erratiques se multiplient : ça ressemble à Gide, Pirandello, Molière... Et le plus beau : «C'est à la fois Céline et William (sic !) Joyce.»

Une histoire du cinéma pleine de fureur et racontée par un idiot, dirait James Shakespeare.

Il y a bien d'autres choses dans ces mille pages, mais arrêtons-nous là, c'est plus sûr. Toutes ne sont pas si anodines. Il y a dans cette histoire du cinéma des zones d'ombre, des passages troubles où la nature profonde de l'auteur apparaît. Car Bardèche ne fut pas seulement un vieux con. Fasciné par les grands guerriers blonds, il était aussi antisémite et négationniste virulent. Et là on quitte l'andouille pour la cervelle de porc.


Les déportés ? Ils étaient mieux chauffés que les Allemands, mon bon monsieur !
Camp de Dachau. La salle de ping-pong.

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