Une fois de plus, l'andouille, c'est moi : en couronnant ce mois-ci Jean-Luc Mélenchon, je prends des risques suicidaires. Non que je m'attende à encaisser personnellement l'un de ses SCUD verbaux, notre homme a d'autres chats à fustiger, mais je crains ses partisans, dont la véhémence parfois égale presque la sienne. Certains font sûrement partie de mes dix-sept lecteurs, le boycott me pend au nez, je me vois déjà parlant tout seul sur mon petit coin de Toile désert.
Ils n'auront par tort, ses zélateurs, de juger ma démarche aberrante. Mélenchon n'a rien d'une andouille. D'abord, il lui manque la cervelle en mou de veau des plus beaux spécimens du genre : intellectuellement solide, contrairement à certains de nos autres invités, ses fortes paroles s'avèrent souvent sensées. Je fus bluffé naguère, dans une émission d'Arrêt sur images, par sa démonstration éblouissante sur la réforme du système des retraites. Raisonnement complexe, trop pour moi, mais conclusion simple : pas besoin de travailler plus longtemps, on n'a qu'à prendre l'argent aux riches. S'il était au pouvoir, tout irait bien.
Alors, pourquoi l'andouiller, ce grand homme ?
Avouons le pire. Je n'ai pas de raison valable. Ma hargne est avant tout viscérale. La gueule de Mélenchon ne me revient pas. Attention : le délit de faciès n'a pas cours ici, on se contentera du délit de grande gueule. Je sais, on ne fait pas la révolution en habits de gala, crier permet de se faire entendre et la politesse n'est qu'une vilaine habitude bourgeoise, mais c'est plus fort que moi, les violents me hérissent, quand j'entends gueuler je me bouche les oreilles, et la voix douce d'un Stéphane Hessel résonne plus en moi que les vociférations du plus sonore de nos tribuns.
Au début je n'avais rien contre Mélenchon. Ma gêne s'est déclarée il y a peu en le voyant, sur Internet, insulter un très jeune journaliste stagiaire qui posait une question gênante. Mélenchon, on le touche, on s'électrocute. Cette fois-là, il s'est déchainé. Il avait une tronche terrifiante, fermée, haineuse. D'un coup je l'ai détesté, comme je déteste tous les abuseurs de pouvoir. La polémique, la castagne, oui, très bien, il en faut, je m'y mets aussi à l'occasion, mais j'ai une règle d'or : frapper uniquement les plus puissants que soi. Surtout quand on prétend se démarquer des patrons brutaux et des petits chefs sadiques.
Suis-je excessif ? Assurément. J'admets que je ne puis juger cet homme à partir d'une simple vidéo, voire de son site perso où les commentaires extasiés des fans saluent des textes mal relus et une logorrhée indigeste rudoyant la langue française comme si elle était l'un des ennemis de l'idole.
C'est pourquoi je l'ai fait, rien que pour vous, volkonautes. Oui : j'ai lu son livre ! Le dernier — il écrit beaucoup : Qu'ils s'en aillent tous !, sous-titré Vite, la révolution citoyenne, chez Flammarion. 140 pages bourrées d'énergie et d'espoir dont j'ai honte de dire que j'en sors accablé.
Tout est si simple pourtant. Une phrase de la 4e de couve résume vigoureusement l'ouvrage : «Demain, des millions de gens iront prendre aux cheveux les puissants, excédés de les voir saccager notre pays...» Ça va péter ! Aujourd'hui tout va mal, demain tout ira mieux. Comment faire ? Fastoche : suivez mes conseils. Tous les anciens maîtres une fois chassés, on va d'un coup mettre à leur place des gens formidables, compétents et honnêtes, changer les institutions, l'école, les médias, la société dans son ensemble, bref, changer la vie. On va surtout casser l'Europe, cette pute, se méfier des Allemands, des Ricains surtout, faire la bise à Poutine, aux Chinois, à Chavez. (Pas un mot de Cuba : c'est à la radio qu'on l'entendra dire que le régime de Castro n'a rien d'une dictature.)
Quand il se lamente sur le saccage actuel du pays, comment ne pas être d'accord ? Ça va péter ? Ça se pourrait. Mais qu'on cherche à nous faire gober, de façon si absolue, si grossière, que demain on rase gratis, là on se sent mal. Soit il y croit et c'est grave, soit il fait semblant et ça ne l'est pas moins. Dans le premier cas c'est une andouille de première grandeur, dans le second il nous prend pour des andouilles et ce n'est pas malin non plus.
Je m'attendais plus ou moins à ce que j'ai lu dans Qu'ils s'en aillent tous ! Sur un point, cependant, l'auteur parvient à me surprendre. J'aurais dû m'en douter pourtant, connaissant sa haine de l'Europe : le grand révolutionnaire est patriote pire qu'un gaulliste ! Il salue «l'immensité du potentiel et de l'énergie que contient la France», «la créativité, la générosité, la disponibilité de notre peuple» ; penser à la mort de la Belgique, à l'éventuel rattachement de la Wallonie à la France l'»enthousiasme», «ça ferait vraiment une très grande France» ; et s'il faut changer l'école, c'est que «nous devons nous donner pour objectif d'être le peuple le plus éduqué au monde», «être les meilleurs des meilleurs».
Claironner son chauvinisme aussi naïvement, si ce n'est pas faire l'andouille... Mais les Français ne le sont pas tous, hélas pour Mélenchon, et je sens autour de moi la ferveur des adeptes faiblir, çà et là, au fil de nouveaux dérapages. Mélenchon est-il un caractériel profond, incapable de se contrôler ? Ou un brave gars gentil qui joue les durs pour obéir à son dircom ? Dans ce cas nous avons deux andouilles : lui et le dircom. La violence peut séduire brièvement des groupes restreints ; à grande échelle et à long terme, ça passe un moment, puis ça casse.
Et voilà ! J'ai fini par trouver mon andouille, elle s'est exhibée complaisamment, le spectacle d'une andouille éclatante a quelque chose de jouissif, je devrais me réjouir. Eh bien non. Qu'un type soit le seul ou presque à dire des choses essentielles, et qu'en même temps il gâche tout par sa gaucherie violente, c'est plutôt sinistre. Quoi de plus dur à avaler qu'une andouille qu'on avait prise pour du bon pain ?
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