ANDOUILLE À BON DIEU


Ce mois-ci, fastoche ! On pourrait se contenter de dérouler sans commentaires la prose de Vladimir Volkoff ; de déguster sans condiments une andouille aussi grasse et juteuse, un tel morceau de roi.

Je pèse mes mots : notre andouille est monarchiste. Fils d'un Russe blanc émigré en France, Volkoff naquit en 1932, fut officier de renseignement en Algérie pendant les événements, puis se lança dans une carrière d'écrivain bien pleine : près de cent titres, romans (y compris pour la jeunesse), essais, théâtre, où il étala des convictions politiques et religieuses assez peu progressistes. Allez, disons-le : plus réac, tu meurs.

«Il ne me semble pas que le monde ait jamais connu un ''politiquement correct'' aussi omniprésent, aussi insidieux, aussi triomphant que le nôtre», écrit-il dans un roman. Les convictions de Volkoff, assurément, détonent dans nos contrées à tradition démocratique, et pourtant le chantre de la théocratie ne manqua pas de lecteurs à partir de son premier succès, Le retournement, roman d'espionnage publié en 1979 et traduit en douze langues.

Curieux paradoxe : ce pourfendeur de la désinformation (titre d'un de ses essais les plus connus) fut toute sa vie un virtuose inégalé de la manipulation et du mensonge ; ce chrétien frénétique pratiqua surtout la mauvaise foi.

L'explosion de la Yougoslavie fut pour lui pain bénit. il trompetta ses convictions pro-Serbes avec une sainte fureur.

Dans un de ses romans, un personnage porte-parole s'écrie :


Tu ne vois pas ce qui se passe autour de toi ? La drogue, l'alcoolisme, l'irrespect de l'âge, le terrorisme des parents copains, la criminalité, les prisons bourrées servant d'universités du Mal, la pornographie, la pédérastie, la pédophilie, ça te plaît, à toi ? C'est tout ce que la civilisation européenne est capable de produire maintenant, et ça s'appelle comment ? Ça s'appelle le matérialisme. Il y avait le matérialisme agressif des communistes qui s'est effondré, le matérialisme lénifiant des Amerloques n'est pas préférable. Vaut-il mieux mourir étranglé ou étouffé ? Pour moi, c'est pareil. Je ne vois vraiment qu'une chance pour l'Europe : c'est de reconnaître la seule vraie religion, et, par là, retrouver son indépendance, sa fonction, son destin.


Prions avec lui pour que l'Europe, telle une Sainte Russie bis, soit délivrée de l'alcoolisme et de la criminalité !

Et admirons en attendant (ce sera long) la maîtrise de l'écrivain. «Pornographie, pédérastie, pédophilie...» Allitérations, assonances, quelle éloquence ! Le personnage parle comme un livre. Comme quoi un mauvais dialogue de roman peut faire un brillant discours. Moi qui prends toujours un malin plaisir à corriger le français de mes andouilles, cette fois, chou blanc : Volkoff est un obsessionnel du bon français, et l'on se demande pourquoi les Académiciens le blackboulèrent sèchement : il eût été parfaitement à l'aise parmi eux.

Mais venons-en au morceau de bravoure : La Prière à Jeanne que Volkoff lut, peu avant sa mort, devant la statue de Mlle d'Arc près du Palais-Royal, principal point de ralliement frontiste. Nous avons là, s'écrie un ses disciples, un «magnifique testament spirituel».


Premièrement, sainte Jeanne, je vais vous demander de faire que tous les Français redeviennent amoureux de la France. Pas de l'Amérique insidieuse, pas de l'Orient fascinant, pas de l'Islam séducteur. De la France, de la doulce France.


Cet homme est mort trop tôt.

Il faudrait tout reproduire ici. Tout est au même niveau. Je m'en tiendrai au plus émouvant :


Je voudrais voir supprimer de France le racisme puritain, anti-fumeur et anti-buveur, qui s'empare de notre pays. Enfin, c'est affligeant. Vous entrez dans un restaurant et la première question qu'on vous pose, c'est «Fumeur ou Non fumeur ?» (...) Bientôt, dans les restaurants, on vous demandera «Buveur ou non buveur» et il y aura un coin réservé pour les parias alcoolos tandis qu'aux tables pour honnêtes gens les sodomites, les pornographes et les drogués triomphants ne boiront que de l'eau. Épargnez-nous cela, sainte Jeanne.


À en juger par la bibliothèque de mes parents, mon père tenait Volkoff en haute estime. La première chose que j'ai vendue à sa mort : les livres du personnage, une bonne douzaine de volumes, avec un soulagement profond, comme on se libère d'une présence maléfique. La gêne, la haine étrange que Volkoff m'inspire est sûrement liée à la similitude des noms, comme si le sien était l'écho du nôtre, une ombre noire collée à nos basques, un passé malade qui s'accroche à nous et nous souille. Je n'ai rien à craindre, il ne va pas me convertir, mais il a conforté mon père dans son déni du réel et j'ai beau lui rire au nez en me bouchant les oreilles, je l'entends toujours qui ricane. Tout Volkovitch a son Volkoff, et chacun de nous son mauvais ange.



Fumeuse ou non fumeuse ?
Volkoff l'adore.

*  *  *