ANDOUILLE MASQUÉE


L'andouille de ce mois ?

J'ignore son nom.

Je l'ai rencontrée sur le site d'information Rue89, que je fréquente ces derniers temps. Elle y sévit dans l'espace réservé aux lecteurs, courageusement planquée derrière un pseudo. Je sais, ils sont des millions à faire de même dans la galaxie des blogs et des sites, mais le nombre n'y change rien : à mes yeux, le pseudo est l'une des plaies d'Internet, avec les débordements verbaux, les lâchetés haineuses qu'il autorise en toute impunité, et je ne suis pas loin de considérer tous ces beaux parleurs masqués comme de tristes andouilles, celle-ci payant pour les autres.

Qu'a-t-il donc écrit, Lozardèche, qui le distingue de la masse grouillante et anonyme ?

Peu de chose en fait.

Rue89 rapporte la mésaventure d'un employé d'EDF qui avait rétabli le courant pour un couple de RMIstes et leur progéniture en bas âge, geste qui lui a valu trois semaines de mise à pied.

Ce lisant, Lozardèche pète les plombs :


«C'est une présentation des faits à l'usage des gogos, comme d'habitude. C'est un remake du "Bon Samaritain". Le brave agent EDF, suravantagé, qui partira à la retraite à 52 ans, surpayé, passant des vacances gratuites grâce au Comité d'entreprise EDF qui rackette 1% sur chaque facture, ce zorro de la compassion, vient faire pleurer Margot... Evidemment, le c.... de contribuable paiera pour ceux qui ne payent pas et sur le sort desquels on pleure. Personnellement je ne dois rien à ceux qui ne peuvent pas payer. Qu'ils se mettent au travail ! Je trouve aussi fort suspecte et pas très honnête la sortie de cette info au moment où l'on parle du salaire du PDG, lequel a du Génie, ce qui n'est pas donné au premier assisté venu, et n'est pas une feignasse pleurnicharde !»


Autrement dit :

La compassion ? C'est bon pour les belles âmes naïves de la gogauche ! Moi j'ai l'œil, moi on ne me la fait pas, je fais partie des forts, de ceux qui se tiennent debout sans assistance !

Les fonctionnaires ? Grassement payés à ne rien foutre.

Les chômeurs ? Eux aussi, tous des feignants.

La presse ? Une bande de minables, jaloux de l'excellence de ceux qui nous gouvernent. Gauchistes, comploteurs, manipulateurs, ils œuvrent sournoisement à pervertir les cerveaux.


Ce qui parle ici, c'est la droite éternelle, plus que jamais décomplexée. On ne trouve pas là l'ombre d'une pensée originale. Pourquoi honorer un discours si platement traditionnel ?

Ce qui distingue la prose lozardéchoise du tout-venant, c'est essentiellement la correction de la langue. Pas une faute d'orthographe ! On est loin du torrent de boue linguistique nauséabonde qui déferle, par exemple, sur le portail Orange. On pourrait tout juste déplorer ici un usage erratique de la majuscule : il en faudrait une à «zorro» pour le rendre plus imposant, et celle de «Génie» exprime l'enthousiasme avec une naïveté un peu bébête. Notre homme s'emmêle aussi un peu les pinceaux dans sa dernière phrase, où les deux «n'est pas» ne renvoient pas au même antécédent. Mais à la fin il estoque plutôt bien, sa «feignasse pleurnicharde» recourant à l'arme efficace — quoique très éculée — de la féminisation injurieuse. (Je n'ai pas fait autre chose au début de cette page...)

Ce qui frappe, du coup, c'est le contraste entre la relative tenue de l'expression et la débâcle intellectuelle du contenu. Qui est-il, ce Lozardèche ? Il se présente comme «musicien» ; il est vrai que j'en ai connu des stupides et totalement ignares, qui vous jouaient Mozart de façon sublime en ayant le cerveau plein de merde. Ce musicien-là est instruit, informé, il lit même la presse de gauche, alors pourquoi s'exprimer de façon aussi sotte et surtout aussi frontale, comme un petit Gaulois lepéniste de base, au lieu d'enfiler des gants, comme font les messieurs de la droite raffinée avant de plonger dans leur fange intérieure ? Cet homme sans nom est un être délicat, sans doute âgé, que sa bonne éducation retient d'écrire le mot «con», alors comment peut-il exhiber aussi obscènement ses reparties honteuses ? Une autre de ses interventions m'apprend que c'est un croyant fervent ; comment peut-on se prétendre chrétien et afficher ce nietzschéisme de vide-grenier, aux antipodes absolus de l'esprit évangélique ?

Faut-il que je sois naïf pour m'étonner encore. Le plus bébête, c'est sans doute moi, pour qui une certaine droite, bien que je la connaisse bien, reste à jamais la plus sombre des énigmes.



Lozardèche

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