SONNEZ, CLAIRONS !


Les clairons de janvier ont failli saluer, en guise d'andouille, l'écrivain d'autrefois Maurice Barrès. Récemment déterrée par nos Identitaires Nationaux, la vieille momie remue encore, dirait-on. Oui, mais ce que je lis sur le personnage, et notamment son rôle dans l'affaire Dreyfus, m'en détourne : trop sinistre. L'odieux l'emporte trop chez lui sur le ridicule. Et le brillant sur la bêtise. Il lui manque cette rondeur naïve qui fait les bonnes andouilles.

C'est en enquêtant sur lui que je suis tombé sur le personnage idéal : un de ses potes, bien oublié lui aussi — pour l'instant. Garde à vous, volkonautes impies, tandis que retentissent les vieux clairons poussifs et qu'émerge du tombeau dans un nuage de poussière, fière et titubante, la dépouille de Paul Déroulède !

Né en 1846, Déroulède commença militaire, se distingua par son patriotisme flamboyant et réprima la Commune sans douceur excessive. Trois ans plus tard un cheval anti-versaillais le jetait à terre ; estropié, contraint de quitter l'armée son épouse, Déroulède se consola dans les bras de deux maîtresses : Politique et Poésie.

Le politicien, devenu député d'extrême droite, revanchard obsessionnel, appelant la guerre de ses vœux, tenta en 1899 un putsch complètement foiré qui compromit sa carrière. Le poète fut le seul à connaître la gloire : ses Chants du soldat de 1872, couronnés par l'Académie française, furent lus, déclamés, chantés, achetés par tout ce que la France avait de Bons Français (plus de cent-cinquante éditions !).

Décidément malchanceux, le Barde mourut en janvier 1914, privé d'admirer l'immense carnage qui l'eût transporté d'allégresse.

Ce qui lui manque pour faire une parfaite andouille ? Il refusa d'entrer à l'Académie. Il ne chanta pas les louanges du colonialisme. Oiseau rare au sein de la droite, car antisémite modéré, il ne s'acharna guère sur Dreyfus. Sans doute ce «fieffé imbécile», comme il fut qualifié à l'époque, était-il moins méchant que somptueusement con.

Voici le début et la fin d'un de ses chefs-d'œuvre les plus éclatants, «Le Clairon» (1875) :


L'air est pur, la route est large,

Le Clairon sonne la charge,

Les Zou-aves vont chantant,

Et là-haut sur la colline,

Dans la forêt qui domine,

Le Prussi-en les attend -


(...)


Et cependant le sang coule,

Mais sa main, qui le refoule,

Suspend un instant la mort,

Et de sa note affolée

Précipitant la mêlée,

Le vieux Clairon sonne encor.


Il est là, couché sur l'herbe,

Dédaignant, blessé superbe,

Tout espoir et tout secours ;

Et sur sa lèvre sanglante,

Gardant sa trompette ardente,

Il sonne, il sonne toujours.


Puis, dans la forêt pressée,

Voyant la charge lancée,

Et les Zou-aves bondir,

Alors le clairon s'arrête,

Sa dernière tâche est faite,

Il achève de mourir.


Le grand chef-d'œuvre de Déroulède ne fut pas écrit par lui : c'est le pastiche qu'en firent, dans À la manière de..., les immortels Reboux et Muller. Mais «Le Clairon», c'est déjà rudement beau, avec ses rimes aussi erratiques qu'une charge de zou-aves éméchés, et son pas boiteux et martial de vieil invalide de guerre.

Il faut l'entendre, ce clairon ! C'est possible sur la Toile (www.chanson.udenap.org/fiches_bio/weber_henri/enregistrements/weber_clairon_le_1908.mp3), dans un enregistrement de 1908 où l'interprète, Henri Weber, donne à l'œuvre toute sa charge d'idiotie glorieuse.




Paul Déroulède.

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