RÉSERVE INÉPUISABLE


Encore une andouille politicienne sur le podium ! On jugera mon insistance partiale et paresseuse, on me fera remarquer l'admirable diversité prise par l'andouillerie à notre époque, et à toute autre époque d'ailleurs. Seulement voilà, l'actualité se fait pressante, nos bien-aimés dirigeants se surpassent, ils constituent, osons le mot, une réserve inépuisable.

On aurait envie, bien souvent, de leur décerner des récompenses collectives, mais ce mois-ci un nom se détache : Eric Raoult, ancien ministre, député-maire UMP du Rancy.

Les faits sont archiconnus, mais résumons-les pour les générations futures. Acte I, août 2009 : l'écrivaine Marie N'Diaye déclare dans un entretien qu'elle a quitté la France en partie à cause de la lourde ambiance qui règne chez nous depuis certaine élection. «Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux», conclut-elle, et personne alors ne relève ces propos d'évidence, qui de plus en plus traînent partout. Acte II, novembre : l'écrivaine reçoit le Goncourt. Acte III, le lendemain, M. Raoult adresse au Ministre de la Culture la question écrite que voici :


«Monsieur Eric Raoult attire l'attention de M. le ministre de la Culture et de la Communication sur le devoir de réserve, dû aux lauréats du Prix Goncourt.

En effet, ce prix qui est le prix littéraire français le plus prestigieux est regardé en France, mais aussi dans le monde, par de nombreux auteurs et amateurs de la littérature française.

A ce titre, le message délivré par les lauréats se doit de respecter la cohésion nationale et l'image de notre pays.

Il me semble que le droit d'expression, ne peut pas devenir un droit à l'insulte ou au règlement de compte personnel.

Une personnalité qui défend les couleurs littéraires de la France se doit de faire preuve d'un certain respect à l'égard de nos institutions, plus de respecter le rôle et le symbole qu'elle représente.

C'est pourquoi, il me paraît utile de rappeler à ces lauréats le nécessaire devoir de réserve, qui va dans le sens d'une plus grande exemplarité et responsabilité. Il lui demande donc de lui indiquer sa position sur ce dossier, et ce qu'il compte entreprendre en la matière ?»


Est-il besoin d'épiloguer quant au fond, après le déferlement de commentaires enthousiastes provoqué par ces lignes ? Issu de l'extrême droite, partisan de la peine de mort, homophobe militant, fer de lance de l'ordre nouveau qui cherche à s'installer, M. Raoult, déjà connu des spécialistes, pourrait bien devenir une gloire Nationale avec ce coup d'éclat, ce nouvel opus dont tous ont souligné la richesse. On a rarement goûté andouille plus grasse et juteuse.

Une chose m'étonne pourtant : tous les commentateurs que j'ai lus soulignent l'absurdité des arguments et la grotesque pesanteur de la pensée, à juste titre ; mais pas un mot sur le style ! Alors que cette question écrite, avec sa syntaxe erratique rappelant l'oral le plus calamiteux, constitue un véritable chef-d'œuvre du pataquès.

«Le devoir de réserve, dû aux lauréats du Prix Goncourt» : ce monsieur veut-il dire qu'un devoir de réserve s'impose aux lauréats, ou que tout le monde se doit de les traiter avec réserve ? Passons sur la ponctuation, que l'élu du peuple méprise ostensiblement. Peut-on être «amateur de la littérature» ? «Regarder un prix», ça veut dire quoi ? Et «plus de respecter» ? Glissons enfin sur le dernier paragraphe, où la seconde phrase dit merde à l'autre : qui c'est «il», qui c'est «lui» ?

Je m'avoue perplexe. Je me demande si tout cela est comique ou sinistre. Ces messieurs qui prétendent vénérer la France, et qui maltraitent si grossièrement la langue française ; ces hérauts de la bourgeoisie qui causent plus mal que les prolos.

Je scrute les photos de cet apôtre de la réserve, si peu réservé lui-même, pour essayer de comprendre. Visage massif, mâle assurance, les yeux moins visibles que les joues, le cou plus large que le front, vague ressemblance avec l'animal dont on fait l'andouille, voilà un homme qui n'a peur de rien, et surtout pas du ridicule.

Mais j'ai beau m'exciter après tant d'autres, en fait je ressens moins de colère que de compassion. Je comprends l'irritation, l'humiliation, le désarroi de cet homme qui n'a que mépris pour l'Afrique tout entière, à part peut-être le président Ben Ali, et qui se fait donner des leçons de français par une négresse, comme celles qui font le ménage dans sa mairie.

Et si je quitte M. Raoult avec, mais oui, une certaine tendresse, c'est que tout compte fait voilà un homme précieux, qu'il faut à tout prix faire connaître. Un de ceux dont l'indigence intellectuelle et morale, et pour tout dire la connerie flamboyante, sont à même de réussir ce dont la gauche toute seule est incapable : faire tomber la droite.



Pas gentil pour les bouledogues...
Eric Raoult.

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