ANDOUILLE EN PARACHUTE


La volonté de Dieu tout à coup verticale et sévère

Qui vous saisit par les épaules, vous arrache et qui vous lâche comme une pierre,

Afin que foudroyant, inopiné, à travers l'inconnu et le jonc,

On continue, puisque je suis fait pour ça, le combat de la France contre le Dragon.

Tout ça est pour attester aux gens une fois de plus cette bonne chose qui vient du ciel

(Cette bonne chose de tout le poids qu'on est à quoi l'on est attaché avec des bretelles),

Et que le Dragon n'a pas raison une fois de plus quand il essaye de discuter avec Saint Michel !

Salut, champion de l'Océan ! salut, gendarme de Dieu !

Représentant de tout ce qui là-haut dans le ciel, sur la terre, essaye de se faire comprendre comme il peut,

De tout cela universel qui a raison contre le particulier,

De tout cela spirituel qui a raison contre le séculier,

De tout cela rectiligne qui a raison contre l'entortillé !

Salut, guerrier plein de paix et confident de ce Père,

Puisqu'il n'y a pas moyen autrement, qui essaye de se faire comprendre à coups de tonnerre !

etc.


C'est intitulé «Saint Michel Archange, patron des parachutistes du corps expéditionnaire d'Indochine», daté du 16 juillet 1948, signé Paul Claudel, et cela se passe de commentaires.

On objectera que militarisme et colonialisme, deux des plus belles mamelles de la connerie (elle en a pourtant une sacrée collec...), ont souvent inspiré des andouilleries plus somptueuses encore que celle-ci. Tout de même, voilà un beau morceau.

1948. Paul Claudel s'apprête à souffler ses quatre-vingts bougies. Toute la famille se rassemblera autour du patriarche, lequel flambera lui-même l'omelette rituelle en déclarant comme tous les ans, avec le même rire sardonique, C'est ainsi que Gide rôtira en enfer ! Hin ! hin !

Que dis-tu, volkonaute ? Devenu gâteux, Papy Paul ? Je deviens trop âgé moi-même pour tolérer ce genre de remarque. Non, au contraire : après sa jeunesse brillante mais légère, tous ces chefs-d'œuvre finalement bien profanes, le grand homme a patiemment cultivé, obstinément aidé à s'épanouir en lui ce qu'il avait de plus précieux : la Foi en un Dieu brutal, dont la Patrie serait la fille préférée. Un Dieu qu'il a orgueilleusement façonné à son image : bête, méchant, mesquin.

Voici donc l'apothéose : cette andouille qui nous est livrée en parachute, joliment tricolore, bien grasse à l'extérieur, bien sèche et racornie côté cœur, et qui vous descend dans l'estomac, je cite, «comme une pierre».

Pourquoi m'acharné-je ainsi sur le saint homme ? demandera-t-on. Tous nos grands auteurs n'ont-ils pas, planquées au fond de leurs Œuvres Complètes en Pléiade, une ou deux splendeurs charcutières de ce genre, ou davantage ?

Sans doute. On va voir ça. Il y a du boulot. On est ouvert aux suggestions. Mais prenons d'abord congé du patriarche. Puis-je vous rappeler, Maître, la fin de votre poème ?


Cette terre où nous prenons pied, c'est la nôtre que nous avons payée cher

Et j'entends le clairon au clairon là-bas qui répond à travers la rizière...


Hélas, vous le savez, adieux rizières, couac le clairon.

Six ans plus tard, c'est Dien Bien Phu et la victoire inopinée du Dragon.

Quelques mois encore et le chagrin vous emporte loin de ce bas-monde cruel,

Et c'est là que vous attend une bien mauvaise nouvelle :

Le paradis ça n'existe pas !

L'enfer non plus, notez bien, et vu ce qui vous attendait c'est plutôt sympa...

Non, pas de Bon Dieu là-haut à qui votre foi obtuse pourrait donner la colique,

et ici-bas la charité chrétienne violée par vous a survécu, parfois même chez les catholiques !


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