«Ce goût du fric qui sera bientôt la pire des choses dans la doxa bien-pensante».
Que ceux qui ont compris lèvent la main. Dans la doxa ? Ce qu'il y a de pire selon la doxa ou parmi tout ce qui la constitue ? Le fric est-il le pire ennemi ou le pire ami des bien-pensants ? Moi, rien capté. Ce type-là écrit comme un manche.
Heureusement le contexte nous éclaire :
«Nous sommes bien d'accord que cette société nous opprime aujourd'hui non plus par des interdits moraux, politiques, religieux, mais par ce dogme pétochard qui va de la cigarette au préservatif, en passant par le nucléaire, les cinq légumes à consommer par jour, et couper l'eau pendant qu'on se lave les dents, et mettre sa ceinture, et instituer enfin une régulation sur les marchés financiers ; nous avons tous le sentiment que ce principe de précaution est la nouvelle arme fatale de l'aliénation.»
Si j'ai bien suivi, les bien-pensants sont ceux qui crachent sur le fric. Bobos, gauchos, écolos, ils ont l'air gentil, mais ce sont eux les affreux, néo-puritains, étriqués, trouillards. Un troupeau de sous-hommes. Face à eux, sonnez trompettes, voici les aventuriers de notre temps, les hommes libres, fumeurs ou traders, ceux qui ont des couilles.
Le héros de ce mois-ci cause comme celui de la dernière fois, se plaindra-t-on. J'en suis conscient. Même que je l'ai fait exprès pour montrer l'omniprésence, l'infinie banalité d'un discours qui pourtant se déclare anticonformiste. Peu importe l'identité du plumitif : c'est paru dans le Mondeudeu, c'est signé par Christophe Donner, mais est-ce vraiment Donner qui parle ? ÇA parle à travers lui, comme disait l'autre. Ça : la voix profonde, multiple, confuse et anonyme des Pourfendeurs de Pensée Unique. «Nous sommes bien d'accord...» Eh oui, «nous» sont nettement plus d'un, «nous» se comptent par millions. On entend là dans toute sa pureté ce discours si commun qu'il transcende les clivages : quoique fondamentalement de droite, il pourrait être prononcé (ou du moins pensé tout bas) à gauche ; et si sa provocation naïve ressort plutôt, ici, de l'adolescence prolongée, il apparaîtra chez d'autres, dans presque les mêmes termes, comme un symptôme de sénescence précoce.
Parlons-en tout de même un peu, de ce Donner, chroniqueur des livres dans le malheureux hebdomadaire susnommé, prolifique écrivain lui-même. Je ne l'ai pas lu, je parcours seulement ses papiers au fil des mois, où les diverses andouilleries que je repérais à l'occasion ne me semblaient guère assez protubérantes pour mériter le tableau d'honneur. On aurait même dit que Donner se désandouillait un peu ces derniers temps, mais là, crac, rechute grave.
Cela dit, restons prudents. Ce qui à première vue passe pour une andouillerie majeure est peut-être son contraire absolu. Attaquer au SCUD le dernier livre de François Bon, L'incendie du Hilton, dans un pécu d'une rare indigence, avouer au passage avec candeur qu'on n'avait jamais lu Bon auparavant, le traiter de «prêtre-ouvrier» (houla l'injure !), c'est peut-être le comble du ridicule, mais le ridicule touche parfois au grandiose, et pourrait bien cette fois valoir à son auteur, aux côtés des Nisard et des Lanson de jadis qui s'immortalisèrent en compissant Hugo, Stendhal ou Flaubert, une place dans l'Histoire de la Littérature que ses propres œuvres ne lui donneront jamais. Pas si conne, l'andouille !