L'article s'étale sur deux tiers de page dans le Monde des 5 et 6 juillet 2009. Il commence par un titre en lettres bien grasses : MERDE À L'ÉCOLOGIE !
L'écolo que je suis aurait tort de s'exciter. Le respectable quotidien, taxé parfois d'austérité, se dévergonde un peu de temps à autre en s'offrant un petit coup de provoc, demandant à une plume étrangère un point de vue paradoxal, politiquement incorrect, dont le but est d'étoffer le courrier des lecteurs. L'écolo ne va pas tomber dans un panneau si évident. Et même, vu la prolifération actuelle de discours écologistes, souvent mielleux et insincères, il pourrait trouver dans cette voix discordante — qu'elle-même soit sincère ou non — quelque chose de courageux, d'amusant, de rafraîchissant.
Le nom de l'auteur ? Antoine Senanque, mais qu'importe ? Ce médecin auteur de romans joue ici le rôle classique du malin à qui on ne la fait pas, anti-conformiste, pourfendeur de pensée unique — espèce largement répandue dont on retrouve un spécimen au moins à chaque dîner en ville, avec ses formules coup de poing, sa verve un peu forcée, son violent désir d'attirer l'attention.
Dans l'article, en fait, il n'est pratiquement pas question d'écologie — sauf pour nous révéler, à la fin, que ce n'est pas l'homme qui menace la nature, mais l'inverse ! L'écologie, l'auteur s'en fout et le dit textuellement. Le réchauffement climatique, la pollution, tout ça, rien à cirer, il vit très bien avec et voudrait bien continuer ainsi tranquillement. S'il s'énerve, c'est contre les écologistes, ces «bons petits qui pour nous sauver sont prêts à nous pourrir la vie», cette «armée d'inquisiteurs, pas plus rassurants que les premiers», «ces flics sans uniforme qui radarisent notre liberté».
Voilà donc le fond du problème : le discours écologiste est moralisateur, il cherche à nous culpabiliser. L'écologie «se désigne désormais comme l'incarnation du bien commun (le bien commun se définissant comme le bien que l'individu ressent mal). Incarner le bien commun impose des concessions à la tolérance et un détour obligatoire par les chemins de la culpabilité.»
Ne faut-il pas lire ici : «entorses à la tolérance» ou «concessions à l'intolérance», puisque l'écolo est comparé ensuite à un Savonarole harcelant ceux qui ne pensent pas comme lui ? Pardonnons le lapsus : ce qui rend l'auteur incohérent, c'est une sainte colère. La Morale, voilà l'ennemi. La culpabilité, ce joug bon pour le troupeau, est pour l'Homme Libre un frein insupportable.
Et c'est là que bêtement j'ai envie de bondir. La morale pour moi n'est pas un gros mot, au contraire, j'en ai une comme tout le monde, je la chéris, elle n'est pas pour moi le poids écrasant du passé, mais une force qui tire vers le haut vers l'avant. Derrière les pétulants discours, les nobles refus de la Morale, je ne vois qu'un nietzschéisme mal compris, l'égoïsme du chacun pour soi, la loi de la jungle et du plus fort, prêchés, on s'en doutait, par un privilégié — mandarin de la médecine en l'occurrence.
Allons bon. J'ai l'air de quoi en défenseur de la morale ! Comme dit M. Senanque, avec les écolos «la culpabilité est sortie des églises», «l'intolérance a quitté sa soutane», l'écologie n'est que le dernier avatar de la religion et son défenseur un ersatz de curé, désuet et ridicule. Un brave type, notez bien, plein de qualités comme un petit scout, mais «il [lui] en manque une, toujours, l'humour. Un écologiste avec humour intégré n'en est pas un.» J'aurais bien envie de dire que ce monsieur et moi ne fréquentons pas les mêmes Verts, mais je dois d'abord en convenir : c'est vrai, je manque d'humour. Je me ridiculise en prenant au sérieux le bouffon, ses vannes conçues pour faire s'esclaffer les beaufs, son morceau de bravoure appliqué, genre type invité pour la première fois au château, qui a chiadé à mort son numéro et en fait des tonnes pour ne pas rater son entrée. (Soyons charitable, n'essayons pas de dire à haute voix sa dernière phrase : «Il se pourrait que l'air pollué soit le dernier air respirable»...)
Quelles que soient les opinions politiques affichées, s'il en a, de l'invité du Monde, son numéro d'épate a cependant la vertu d'exposer de la façon la plus pure, sans la carapace d'hypocrisie habituelle, une idéologie omniprésente et triomphante aujourd'hui, parfaitement incarnée par ceux et celui qui nous gouvernent. Petit détail rigolo : comment ne pas reconnaître, en lisant ceci : «L'écologie, on avait plus le droit de s'en foutre. On a d'ailleurs plus le droit de se foutre de rien», le français déculpabilisé, débarrassé de ses négations comme d'un scrupule, le français libéré dans lequel se vautre notamment certain haut personnage, çui qu'aime pas la princesse de Clèves...
Et j'irais m'attaquer, Don Quichotte en miniature, à d'aussi puissants moulins à vent ?
J'avais, je l'avoue, commencé cette page en voyant dans le rôle de l'andouille l'homme qui écrit dans Le Monde. Erreur : le plus ringard des deux, l'andouille de ce mois, c'est moi.