J'ai longtemps hésité ce mois-ci, je l'avoue, entre deux géants.
D'abord, Léon Tolstoï, pas moins. On ne s'en étonnera guère : les génies sont extrêmes en tout, jusque dans l'andouillerie, et le grand Léon a au moins deux titres à nos suffrages. D'abord, ce baiseur invétéré prêcha la chasteté de façon incontinente, dédaignant ainsi la belle andouille dont le Bon Dieu, dans Sa profonde sagesse, l'avait pourvu ! Ensuite, il fit preuve toute sa vie d'une misogynie quasi pathologique, dont voici un bref échantillon :
«Considérant la société des femmes comme une nécessité bien ennuyeuse de la vie sociale, il faut s'éloigner d'elles autant que possible. Qui nous inspire, en effet, sinon les femmes, l'indolence et toute espèce d'autres vices ? Qui nous fait perdre nos qualités naturelles, courage, fermeté, bon sens, équité, etc., sinon les femmes ?»
Il est vrai que s'il écrit par ailleurs «Depuis soixante-dix ans, la femme, continuellement, baisse dans mon opinion», ou même, carrément, «La femme est la source du mal universel», il ne fait que développer la parole biblique : «Un homme qui vous fait du mal vaut mieux qu'une femme qui vous fait du bien» (Ecclésiaste, XLII, 14).
Oui mais voilà, une andouille russe, j'aimerais mieux éviter. J'éprouve une certaine tendresse, disons filiale, envers la Russie, ce pays de merde. Et je l'aime bien aussi, ce vieux Léon, malgré tout ce que me fit souffrir jadis l'interminable Guerre et paix, si génial fût-il — j'avais calé à trente pages de la fin.
Or j'ai trouvé lesdites citations par hasard dans un petit livre de mes parents, Sur les femmes, signé Henry de Montherlant, aux éditions du Palimugre, 1946. (Qui aimait donc Montherlant, mon père ou ma mère ? ou les deux ? Nul n'est parfait.)
Difficile de déterminer, à la lecture de cet opuscule, lequel de nos deux messieurs l'emporte en misogynie — mot que notre académicien orthographie mysoginie. Dans les deux cas, nous touchons à des sommets, et si Buste-à-Pattes (comme l'appelait Céline) l'emporte ici d'une courte queue, c'est grâce à une andouillerie supplémentaire : aux plus pulpeuses des femmes, il préférait les petits garçons. Eh oui : le monsieur louche à la sortie de l'école, avec son regard fuyant et ses bonbons, c'était lui...
De retour à la maison, il écrivait :
«Et faut-il rappeler encore qu'un homme supérieur, ou seulement un homme de valeur, a besoin de n'être pas distrait de soi-même ? Et qu'un homme qui n'aurait dans sa maison qu'une femme, un enfant, et un serviteur, est un homme enfermé dans une cage avec trois panthères, qui dépend de leur moindre saute d'humeur, et devra une partie de son temps, de son attention, de son énergie, à se défendre contre l'immense risque de déraison, de stupidité et de méchanceté qu'impliquent trois êtres humains ?» Et quelques lignes plus bas : «Les enfants d'un homme supérieur ne peuvent être que ses scories.»
Il préférait les enfants des autres.
Oublions un instant le contenu : notre homme supérieur ne se montre-t-il pas ici un écrivain bien surfait, avec ses procédés téléphonés, l'énumération ternaire qui revient trois fois pesamment, ces virgules en trop, soulignant les effets, ralentissant la phrase, nous sommant de mieux écouter la parole faisandée du maître ?
Quelques pages plus loin :
«L'âme de la femme, non seulement n'est pas «mystérieuse», mais est aussi claire à lire que le sont les évolutions de poissons derrière la vitre d'un aquarium.»
Et enfin : «La femme n'a pas de vie personnelle parce qu'elle n'en a pas besoin.»
Inutile d'insister. Une fois de plus, mépris des femmes et auto-adoration couchent ensemble. Qu'il me soit permis, en conclusion, de détourner légèrement une autre phrase du même ouvrage, tant elle s'applique bien à Montherlant lui-même et à ses frères en misogynie :
«L'homme veut la bêtise. En vain quelques hommes, de siècle en siècle, cherchent-ils à le rendre un peu intelligent : cet effort est éternellement perdu.»