RENAUD CAMUS, ANDOUILLE TRICOLORE


L'andouille, dit le dictionnaire, est une pièce de charcuterie à base de boyau de porc. L'andouille sent un peu la merde ; la pensée de nos deux premiers lauréats, par moments, aussi.

Une andouille, au sens figuré, est un imbécile. Or on ne peut dire que MM. Bégaudeau et Morand le soient. Ils ne sont déficients que dans un ou plusieurs domaines intellectuels précis — à commencer par cette arrogante bonne opinion de soi qui alimente une connerie profonde, laquelle coexiste souvent avec l'intelligence de surface.

M. Camus (Renaud) qui arrive à présent, d'un pas ferme et fier — sonnez trompettes, battez tambours — est doublement digne de les rejoindre dans notre ébauche de panthéon. Auteur prolifique, il publie entre autres chaque année, depuis 1987 — n'est-ce pas là aussi un signe d'andouillerie ? — le journal circonstancié de ses faits et gestes pour un public «admiratif et fervent» (Wikipedia dixit).

Notre héros a une spécialité : Camus renaude, c'est-à-dire qu'il râle, qu'il déplore, qu'il pourfend tous azimuts la moindre atteinte à un bon vieil ordre des choses ancestral — ne doutons pas qu'il ne soit ravi du retour de ce vieux mot délaissé. Nous pourrions le récompenser pour sa défense ombrageuse de la pureté de notre langue, ou sur ses légers griefs vis-à-vis de l'élément non-aryen de notre population, griefs qui lui valurent, voilà quelques années, une notoriété un peu gênante. Ce serait trop facile, et injuste à l'égard d'autres catégories de néo-Français. Élargissons le débat avec cette phrase tirée d'un essai, La grande déculturation (Fayard), publié en 2007 :


«Il faut bien voir que dans la société française métissée ou en cours de métissage, et dans laquelle ce processus de mélange généralisé est bien loin d'être achevé s'il doit l'être jamais, les Français les plus anciennement Français, les plus anciennement sur place, les "Français de souche", comme on ne sait plus comment dire, et comme on ne saurait le dire ainsi, semble-t-il (cela dépend des bouches, apparemment), les "souchiens", les sous-chiens, comme l'insinuent gracieusement tel ou telle, ainsi qu'on a dit les sous-hommes, ceux-là, les indigènes, les autochtones, font figure de bourgeoisie, "fonctionnent" (à leur corps défendant) comme une bourgeoisie, sont en position de bourgeoisie (avec les quelques avantages ultimes et les sérieuses menaces qu'implique d'ores et déjà et pour la suite pareille situation compromise) ; et cela d'autant plus nettement que le mot populaire, en novlangue, se mêle de signifier presque exclusivement à présent immigré, peuplé ou constitué d'immigrés ou de descendants d'immigrés, voire extraeuropéen, comme s'il était entendu une fois pour toutes qu'en France il n'y a plus de peuple que néo-français : les quartiers populaires, un soulèvement populaire, un «candidat qui devrait être aidé par son nom à consonance arabe dans une commune à fort électorat populaire».


Renaud Camus fait partie d'une élite. Il n'aime guère ceux qui n'en sont pas. Déjà, dans sa jeunesse, il publiait des Chroniques achriennes, textes homosexuels militants, ce qui ne me gêne en rien, mais sûrs d'eux-mêmes et dominateurs, qui donnaient au lecteur hétéro la vague impression d'être un sous-homme.

La phrase ci-dessus, long fleuve intranquille dont on n'a retranché ici aucun méandre, tortueuse, insidieuse, cauteleuse, bourrée d'insinuations, suant le dépit, la peur de l'autre, la haine cuite, recuite, remâchée, bourrelée de gêne aux entournures, avec son français pincé, empesé, alourdi par les ressassements d'une paranoïa lancinante, est un exemple quasiment idéal d'une certaine forme de prose d'extrême-droite — celle qui n'a pas le courage de dire son nom. Une phrase andouillomorphe et en même temps macaronique, à la fois sinueuse et raide, raide et molle, emblème et chef-d'œuvre d'une andouille camuse qui apparemment n'a pas fini de gonfler à la cuisson, et de nous gonfler du même coup.


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