Parfois, dans les livres, la presse écrite ou sur Internet, parcourant à toute allure la masse d'écrit accablante, notre œil blasé s'arrête soudain et s'allume. Au milieu d'un océan de discours sages et raisonnables, ennuyeux comme la vertu, il découvre une île enchantée : quelques lignes d'idées incongrues, voire franchement débiles, si possible débilement exprimées. C'est parfois si con que ça en devient beau, grand, flamboyant, on se dit qu'il faut recopier ça, le conserver, le ressortir en société, ça fera se bidonner tout le monde. Et on oublie de le faire. Ô faiblesse humaine.
Il faut que cela cesse ! Désormais, tous les mois, l'auteur de l'andouillerie la plus éclatante recevra de mes mains l'Andouille d'honneur. Et qui pouvait mieux ouvrir le bal que notre cher François Bégaudeau, dont j'ai déjà salué ici les exploits ? Approchez, mon jeune ami.
Bégaudeau a sa rubrique dans Le Monde, comme dans la plupart de nos journaux et magazines. Elle est consacrée au football. Dans celle du 27 janvier 2009, il entonne un vibrant éloge des footballeurs qui se pintent, conduisent bourrés, cassent tout autour d'eux, battent leur femme etc., clamant son «plaisir de se voir confirmer qu'un grand joueur n'est pas un gendre idéal, que le talent d'exception est amoral.»
Ça commence fort. Niveau Nietzsche, au moins. Et ça se précise :
«Voilà qui réjouit, oui oui, le spectateur las de l'hygiénisme qui sévit dans le sport. (...) Et si les sprinters américains étaient performants, non pas malgré mais grâce à leur désinvolture alimentaire ? On n'ira pas jusqu'à affirmer qu'une hygiène de vie irréprochable nuit à la santé, mais disons qu'elle vous communique une sorte de rigide droiture qui vous déshabitue au relâchement propice à l'exécution du geste sportif, à sa splendeur cool, à son swing.»
Inutile de s'indigner, d'objecter à l'auteur tous les grands champions sérieux dans leur pratique et humainement fréquentables — même dans le foot, peut-être. Inutile de s'écrier naïvement que proposer comme modèle aux jeunes des brutes arrogantes, mal élevées, puant le fric, et inciter ces mêmes jeunes à se biturer, c'est limite criminel. La jeunesse lit-elle Le Monde ? Quant aux lecteurs du journal, ils l'auront bien compris : on ne va pas prendre ça pour argent comptant. Le chroniqueur est payé pour livrer un petit bout de provoc, mettre un peu d'épices dans la soupe. Tout journal, si digne soit-il, se doit d'avoir aussi son coin défoulement, sa minute trash, sa rubrique footeuse de merde. Toute société a besoin de bouffons.
Ce qu'il faut plutôt reprocher à Bégaudeau, c'est de bâcler son pensum. Qu'on relise la dernière de ses phrases : c'est lourd et mou, ça manque tristement de swing. Quand Bégaudeau diététicien invite au relâchement, Bégaudeau l'écrivain ferait mieux de ne pas l'écouter.