TA CHAÎNE


— Bonjour, Aguicha.

— Bonjour... euh...

— Clara. Vous vous souvenez ? La critique littéraire de volkovitch.com. Je peux m'asseoir ? C'est quoi ce gros livre que vous feuilletez ?

— Un ouvrage des éditions Taschen.

Ta chaîne ? Ce n'est pas du sado-maso j'espère ? Faites voir... Forbidden Erotica... Vous alors... Vous avez acheté ça où ?

— On me l'a offert... Ça se trouve partout...

— Partout ? Pas là où j'habite, à Versailles... Il est vrai qu'à Versailles on n'a pas de librairies. Je peux voir ? Ils montrent tout, j'en suis sûre. Mais... mais... C'est incroyable ! Ces hommes ! Dévoiler les hommes dans un tel état de... d'excitation, non, tout de même ! Et là... là... Regardez-moi ce qu'elle fait, celle-là ! Et ces types avec cette femme ! Ce n'est même pas simulé... On ne peut pas simuler ces choses-là... Encore que, des dimensions pareilles, non, ça n'existe pas... Dites-moi, ça n'existe pas, n'est-ce pas ?... Pourquoi vous ne dites rien ?... Et d'où elles sortent, toutes ces vieilles photos ? Rien que du noir et blanc... Certaines ne sont même pas nettes...

— C'est un collectionneur qui les a rassemblées. Les plus anciennes datent du XIXe siècle, les plus récentes des années 50. Elles étaient totalement clandestines tout ce temps-là.

— Et les voici exhibées aux yeux de tous ! Bravo ! Jolie époque ! C'est révoltant. Dégradant. Les femmes ne sont même pas toutes belles, regardez-moi cette horreur... et cette poufiasse, là... Et celle-là, déguisée en bonne sœur... Et ces trois-là, page 138, que font-elles, mon Dieu ! L'imagination humaine est un gouffre sans fond... Baise Plascal... pardon, Blaise Pascal avait raison, «Ah ! que le cœur de l'homme est creux et plein d'ordure !» La pornographie n'est jamais tombée aussi bas... Mais enfin dites-moi, quel plaisir trouvez-vous à vous vautrer dans cette boue ?

— Désolée... Je ne suis pas choquée... Je vois des gestes de tous les jours, des gestes intimes qu'on voit rarement chez les autres... Des gens qui se caressent et se font plaisir, sans violence... Et quand ces gens sont plutôt moches comme vous et moi...

— Je vous remercie !

—... pardon... disons, comme moi, au lieu de ressembler à des déesses et des dieux de prisunic, eh bien c'est plutôt émouvant... Il y a aussi une intéressante préface, où le collectionneur raconte comment il a découvert ses premières photos, encore gamin. Il ne comprenait pas ce que ces gens faisaient, mais ils semblaient si contents qu'il s'en trouvait tout réjoui...

— C'est ça ! Embrigadez les enfants tant que vous y êtes ! Sordides. Ces images sont sordides. Mon grand-oncle Eusèbe avait bien raison de le dire : l'acte sexuel est une chose laide et ridicule à voir... Dites-moi, combien débourre-t-on... zut ! ...débourse-t-on pour s'offrir ces 500 pages ignobles ?

— Oh, presque rien. Même pas 30 euros. Les livres de Taschen sont à des prix incroyablement bas.

— Mmm... On se demande qui les soutient en douce pour répandre leur poison partout... Et ce petit volume sous votre jolie main ?

— Oh, un livre de recettes pour amoureux.

— Montrez voir... Hum... Mets moelleux... Pas mal, le titre, ça met l'eau à la bouche... Morue sur canapé... Tourte aux cailles... Conseils pour bien mastiquer... Pourquoi mastiquer si c'est moelleux ? Ils sont bêtes... J'espère que vous lisez aussi autre chose ! Dommage, une fille comme vous, si sympathique, attachante... Il faudrait que je vous prenne en main. Que je vous indique de bons livres... Nous pourrions aller dans une librairie sérieuse toutes les deux, pourquoi pas tout de suite ?

— J'attends quelqu'un.

— Un homme je parie, coquine... Alors une autre fois. Et pourrez-vous m'apporter alors votre exemplaire de ce... de cette...? C'est pour volkovitch.com, je veux faire un papier là-dessus qui en dégoûtera tout le monde, vous verrez. Je ne vais pas l'acheter tout de même, que diraient mes parents ?



Violemment déconseillés, deux livres infâmes :

— ***, Forbidden Erotica (Taschen).

— Elsa Valtoux, Mets moelleux (Calmant-Lévy).


Photo tirée de Forbidden Erotica, légèrement recadrée pour les âmes sensibles qui nous lisent.
À dada sur mon dadais.

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