Sonia Quéméner
Sonia Quéméner a suivi l'an dernier la formation à la traduction littéraire professionnelle de l'institut d'anglais Charles V à Paris VII, le fameux DESS devenu Master, où j'exerce. Elle y a manifesté un goût pour la versification pas si fréquent de nos jours, une rare virtuosité en prose comme en vers, et en plus elle a des choses à dire ! Elle a sa vision et sa voix propres. Parmi les nombreux textes qu'elle m'a donnés à lire, j'ai choisi un échantillon de prose et quelques uns de ses poèmes où la vigueur de la thématique n'a d'égale que celle de l'expression... Sonia n'a rien publié pour l'instant et cela ne saurait durer.
Un observateur
J'ai su que nous étions perdus quand nous avons forcé les nuages.
Cela en agaçait beaucoup qu'ils se baladassent n'importe où et s'épanchassent sans tenir compte de nos souhaits. Il nous fallait les dominer comme, croyions-nous, nous dominions déjà tout le reste. Alors nous agîmes.
Nous les attrapâmes au lasso magnétique et nous les traînâmes là où nous voulions qu'ils opérassent. Nous déclenchions à volonté leurs débordements. Les stations de ski en hiver reçurent leur quota de bonne neige, avec le moelleux inimitable des vraies chutes naturelles.
Il n'y eut plus d'interruptions intempestives des matches à Roland Garros.
Pour une raison difficilement cernable, les nuages se raréfiaient. Nous prîmes le problème à sa source : en greffant sur quelques satellites un miroir parabolique, nous dirigeâmes sur l'océan des faisceaux solaires ardents. L'eau bouillante s'élevait en vapeur tourbillonnante et retombait sans jamais atteindre les côtes. Des pêcheurs récupéraient les poissons cuits répandus autour de la zone et revenaient les vendre au port.
Nous installâmes nos lassos sur des porte-conteneurs et prîmes la mer, pour piéger ces nuées rétives. L'eau cessa de laisser échapper sa vapeur, même fouaillée pendant des heures par le feu concentré. Les poissons mouraient toujours. Les scientifiques alignaient des équations.
Nous arrêtâmes ces opérations trop coûteuses et inefficaces. Il y eut des manifestations de gens inquiets pour leur emploi.
Les rivières continuèrent quelque temps à se déverser dans les océans qui s'élevaient faute d'évaporation et engloutissaient sereinement tout.
Pour chercher des solutions, nous disposons de moins en moins de main d'œuvre qualifiée. Le savoir-faire meurt, entre autres choses.
Un prospecteur
Ce n'est pas très différent de ce que je faisais avant, il s'agit toujours de chercher un liquide souterrain, on a toujours des sonars telluriques et des derricks, et c'est toujours le flair qui compte plus que toutes les machines.
Je suis le premier à avoir su ré-étalonner les sonars telluriques pour qu'ils repèrent de l'eau et non plus du pétrole ; je sais même distinguer les nappes d'eau douce ou d'eau salée (eh oui, on s'est rendu compte qu'il y avait aussi des mers fossiles). Le tout sous brevet, bien sûr. Chaque fois que quelqu'un utilise mes paramètres, je touche ! Bonne opération. Et c'est normal, parce que sans moi tous ces richards pleurnicheurs en seraient réduits à boire leur pisse à l'heure qu'il est. C'est d'ailleurs ce qu'ils font ; ils peuvent toujours se gargariser avec le "recyclage", ils reboivent leur pisse et leur merde...
Et l'autre crétin qui veut recréer les nuages ! On parle de "réamorcer le cycle de l'eau", mais qu'est-ce qu'ils croient, avec leurs pauvres cuves ? Les quantités à mettre en jeu sont colossales, et on ne peut pas s'amuser à leur en laisser trop, à ces songe-creux ; les besoins sont criants, partout.
On a beau dire, c'est encore ma méthode la plus rentable ; les calottes glaciaires, oui, ça marche aussi, mais la capacité d'un tanker est tellement réduite : les pipe-line, c'est tout de même autre chose, et on a pu réutiliser une partie du réseau mis en place pour le pétrole...
Un découpeur
L'intérêt des calottes glaciaires, c'est qu'elles sont inépuisables.
Prenez la banquise : ce qu'on récupère une année n'ôte rien à la quantité de glace disponible, puisque la mer regèlera l'hiver suivant ! Quant aux réserves antarctiques, elles sont tout bonnement monstrueuses. Le problème serait celui du transport depuis l'intérieur du continent, une fois qu'on aurait retiré toute la glace des côtes, mais croyez-moi, ça n'arrivera pas de sitôt.
Oui, c'est vrai que le transport constitue notre goulot d'étranglement : la capacité d'un super-tanker reste dérisoire par rapport aux besoins. Mais au moins on n'a pas à mettre en jeu des moyens démesurés pour déjà trouver l'eau ! Elle est là, en plein air, directement accessible en surface. Il faut nous donner plus de moyens pour la rapporter, voilà tout.
Un accumulateur
Ces émeutes me rendent malade. Les gens ne veulent pas comprendre, ils sont mal informés et c'est comme s'ils tenaient à rester mal informés.
On a essayé des réunions, des tracts, des visites dans les écoles... Rien à faire. Personne ne veut admettre que ce que nous faisons ici est d'une importance capitale et que toute cette eau vaporisée sous pression représente la clef d'un redémarrage du cycle mer-nuages-pluie-rivières.
Les crédits se font de plus en plus rares ; d'après mes calculs, nous disposons actuellement de deux cent millièmes de la vapeur nécessaire pour relancer le cycle, une fois lâchée dans l'atmosphère. Et les cuves sont pleines ! Il nous faudrait construire d'autres centres un peu partout, mais les réactions du public sont les mêmes partout dans le monde : ils veulent démanteler les installations et distribuer leur contenu. Hier encore les gardes ont dû tirer sur la foule. Deux morts.
Je dois présenter mes résultats et mes perspectives au comité d'attribution des crédits dans une semaine. Plus guère d'espoir.
Un recycleur
Le recyclage est la seule solution sensée ! Nous avons déjà fait d'immenses progrès, en durcissant la législation. De 35 % de pertes sur l'eau mise en circulation, nous sommes passés en un an à 3 %.
Bien sûr, un tel résultat ne s'obtient pas sans douleur : port du distille obligatoire partout et pour tous en dehors des plages de temps planifiées par le Haut Hébergement Occulte, la peine de mort dès la deuxième infraction, avec récupération et recyclage des eaux corporelles du condamné... Chaque goutte compte.
Nous agissons en complément des différentes méthodes de moisson de l'eau, notamment la prospection et le découpage des calottes glaciaires ; il tombe sous le sens que, plus nous serons efficaces, plus les ressources planétaires dureront longtemps ! Nous entrons par nécessité dans une époque de véritable gestion de l'eau. Évidemment, seuls les pays développés possèdent des infrastructures humaines et techniques suffisantes pour maîtriser cette gestion. Les autres sont condamnés à s'enfoncer dans le chaos et la mort du plus grand nombre.
Un recéleur
J'ai tout de suite vu le potentiel. Bien sûr, en prenant conscience de la catastrophe, une bonne partie des michés se sont jetés sur les drogues habituelles, mais je savais que les meilleurs clients seraient bientôt morts, parce qu'une fois redescendus, sans eau, ils connaîtraient vite une autre espèce de manque.
La redistribution de l'activité s'imposait : continuer à fournir les dingues qui ne voulaient pas s'occuper de leur survie, et développer l'offre d'une demande qui ne baisserait jamais. Il a suffi de se concentrer sur la branche «organes» et de l'étendre à l'ensemble du corps.
Mon usine est au top ; le produit brut y entre vivant et en ressort réduit en poudre. Les fluides sont isolés, l'eau distillée et empaquetée pour distribution. Des sels minéraux intéressants apportent aussi un revenu secondaire. La matière première est partout dans la rue ! Mes escadrons de la mort quadrillent la ville.
L'eau, une des rares drogues à dépendance physique réelle. Une ère nouvelle s'ouvre !
Un agriculteur
...et nous creusions la terre que la sécheresse blanchissait. Certains disaient qu'elle était comme Féli, revenue toute pâle de la ville où elle se mettait des crèmes pour ressembler aux Blanches. Puis les plaisanteries se sont taries parce que l'eau s'enfuyait.
L'eau s'enfuyait toujours plus profond dans la terre et nous la poursuivions. Chaque jour elle s'enfonçait et nous allions plus loin dans la terre.
Le puits s'enfonçait avec l'eau qu'il n'arrivait pas à rattraper. Nous allions devoir partir. Alors des Blancs sont arrivés, des Blancs et des Noirs vêtus comme des Blancs et qui dormaient sous des moustiquaires. Ils avaient d'énormes machines et ils ont creusé profond, leurs machines forçaient la terre et ils ont rattrapé l'eau.
Ils ont creusé et ils nous ont dit que c'était en attendant, parce qu'ils avaient d'autres machines qui feraient venir les nuages et la pluie. Ils les ont installées.
Un ministre est venu le jour où ils ont mis leurs machines en route. Trois heures après la pluie arrivait.
La pluie venait quand ils le décidaient ; en général ils choisissaient la nuit, au matin nous nous levions et respirions l'odeur des plantes qui poussent. Les plantes poussaient et nous avions à manger.
Tout devenait plus vert autour de nous, et la terre était brune à nouveau. Un autre Blanc a ouvert un hôtel et des touristes sont venus. Nos femmes nettoyaient leurs chambres et nos filles rendaient d'autres services. Nous avons eu de l'argent.
Nous mangions bien, nos enfants jouaient et riaient. Ils étaient capricieux aussi, parfois, parce qu'ils voulaient plus de choses et maintenant nous avions de l'argent.
...et nous creusions de moins en moins la terre brune parce qu'il n'y avait pas vraiment d'argent dedans.
Puis ce fut la guerre. Nous avons appris que ces nuages qui venaient chez nous n'allaient plus à côté. À côté, on voulait détruire les machines qui volaient les nuages.
Les premiers réfugiés sont venus et nous les avons mal accueillis parce que nos cœurs avaient pris la couleur froide de l'argent. Ils étaient maigres comme nous n'étions plus et nous comprenions mal leur langue.
Pourtant certains sont allés leur parler et nous avons compris que la sécheresse, avant, avait été apportée par les Blancs et leurs machines folles. Nous avons compris que les Blancs voulaient réparer par des machines le mal provoqué par les machines.
Ensuite les nuages ne sont plus venus. Ils ne supportaient pas qu'on leur dise où aller, et ils ont cessé de quitter la mer leur mère.
...et nous creusons la terre, mais cette fois l'eau est partie et nous mourons.
Tu pleures et, dans un parfait cercle vicieux, l'angoisse créée par le simple fait de pleurer accroît tes larmes ; tu hoquettes.
Enfin cela cesse, subitement, comme cessaient les averses quand il y en avait. Maintenant tu es en colère : tu as craqué bêtement en voyant le soleil briller sur l'œuf répandu par terre (toute cette humidité !), et il va falloir payer.
Les capteurs de moiteur de l'appartement ont fait leur travail et ont noté 22 ml d'eau corporelle lâchée dans l'atmosphère hors des plages de temps (trois fois cinq minutes quotidiennes) prévues pour ta miction. En conséquence, demain ta ration distribuée sera amputée de 220 ml.
Un verre ! Tu peux aussi étaler ta dette sur dix jours amputés de 25 ml. Tu coches le choix 220 ml d'un coup.
Tu sens ta peau tirailler là où les larmes se sont vite évaporées dans l'air sec. Tu te rappelles les nuages, la brume, l'époque où l'eau flottait en suspension. Il ne faut pas pleurer encore.
Tu te rappelles ce rituel du dimanche soir : suivre la météo de la semaine suivante à la télé. Cette émission n'a plus lieu d'être, bien sûr ; le ciel reste toujours bleu, bleu, bleu à pois jaune, le pois lourd et brûlant du soleil.
Quand on annonçait de la pluie tu grognais un peu, parce que ce serait moins pratique d'aller travailler à vélo. En même temps, tu ne détestais pas franchement ces gouttes sur ton visage, la grêle de coups légers et vifs, ces impacts à vélocité variable. Le vent à présent charrie sans fin des poussières qui traversent les meilleurs filtres et se changent dans tes narines en boue suffocante !
Les nuages, tu les as toujours aimés sans réserve, chacun unique et pourtant tous familiers, confortables, qu'ils passassent loin au-dessus de ta tête ou condescendissent à se poser par terre et à émousser gentiment les contours acérés du monde. La lumière jouait inlassablement sur eux, et tu pensais «ciel flamand», toi pour qui la pointe septentrionale extrême se situait à Bruxelles. Et tu admirais ces océans d'eau douce quand ils survolaient aisément les terres.
La plus grande réserve de liquides que tu connaisses désormais, c'est ton corps, réceptacle d'impuretés : sang poisseux, larmes salées, salive écumeuse, urine toxique. Tu as honte de contenir ces souillures, de n'être qu'un sac de pollution.
Que sais-tu de l'orichalque ? De l'onyx, de l'améthyste, de l'opale et de l'agate ? As-tu touché l'albâtre, caressé la calcédoine ?
Tu es entouré de béton, mais tu sais que, très loin, il y a la beauté. Tu sais aussi, par tes cours d'histoire, qu'avant le Désastre Hydrique il y avait des plantes partout, et qu'elles étaient vertes. Des animaux vivaient en plein air, parfois hors du contrôle humain, et de toutes les couleurs !
Elle est hors de portée, dans le temps et dans l'espace, pourtant tu aimerais tenir la beauté juste une fois, même celle, lointaine, des pierres.
Un jour, bien sûr, ils reviendront. Un simple hoquet finalement à l'échelle géologique, deux cents ans. Même la mémoire humaine n'aura pas encore été effacée, si bien qu'il y aura somme toute peu de mouvements de panique et un nombre tout à fait acceptable de suicides lorsque ces grands voyageurs gris et blancs reviendront survoler les continents et y déverseront : l'eau.
Les semaines suivantes seront stimulantes ; certains jetteront leur distille par-dessus les moulins et iront se vautrer nus dehors, interface vivante entre ce qu'il faudra bien, après tout ce temps, appeler la «pluie» et la terre étonnamment meuble. Il y aura de l'amour (et des viols aussi), des enfants conçus hors de toute régulation démographique, des pneumonies qui verront les médecins démunis. On découvrira un Syndrome Hydrique, nez pris, toux, yeux rougis, jusqu'à ce que quelqu'un retrouve dans un antique dictionnaire médical le mot «rhume».
La discipline féroce qui aura permis à l'humanité de survivre ne sera pas tout de suite abandonnée, les différents gouvernements autoritaires de la planète ne renonçant pas si facilement à leurs abus de pouvoir. Quelques révolutions, guerres civiles, guerres, se produiront. Mais on redécouvrira l'agriculture. Encore quelques décennies et les choses retrouveront un équilibre.
Pendant des siècles, on se gardera de seulement penser aux cycles de l'eau, sans parler d'effectuer des recherches sur le sujet !
Jusqu'au jour oublieux où.
La douce chaleur amniotique,
Quand je chiais dans la matrice,
Aspirais l'eau bienfaitrice,
C'était bon, intime, érotique !
Quand je chiais dans la matrice,
Petit embryon despotique,
C'était bon, intime, érotique !
Maman, cosse salvatrice,
Petit embryon despotique,
Je la pompais, destructrice !
Maman, cosse salvatrice,
Vaste cathédrale gothique,
Je la pompais, destructrice !
Incomparable domotique,
Vaste cathédrale gothique,
Ô, demeure tentatrice...
Incomparable domotique,
Jamais rien ne te flétrisse,
Ô demeure tentatrice...
La douce chaleur amniotique !
L'ovule Terre va son train
Dans la matrice des cieux,
Fécondé, douillet, précieux,
Œuf fourré de vie, fier écrin.
L'homme fou s'en croit le parrain !
L'arrogant se voit le preux
Chevalier servant. Quel creux
Fat, baudruche imitant l'airain !
Sachons-le, notre planète
A connu maintes saynètes,
Catastrophes, désastres, drames.
L'espèce futée mais stupide
Qui chemine vers son suicide,
Elle y survivra, la Dame...
Chacun de nous contient une usine chimique,
Un vrai chaudron du Diable où des poisons mijotent,
Où le sel règne en maître, où l'acide grignote,
Où rage à chaque instant une bataille épique !
Un vrai chaudron du Diable où des poisons mijotent,
Notre corps, ce champ clos d'agitation panique
Où rage à chaque instant une bataille épique,
Un équilibre instable, une frénésie sotte !
Notre corps, ce champ clos d'agitation panique,
S'essouffle obstinément à tenir sa marotte,
Un équilibre instable, une frénésie sotte.
Qu'il cesse de courir et c'est catastrophique !
S'essouffle obstinément à tenir sa marotte
Ce pauvre amas de chair inconscient, pathétique...
Qu'il cesse de courir et c'est catastrophique,
Tout se défait, tout se délite et part en crotte !
Ce pauvre amas de chair inconscient, pathétique,
Où le sel règne en maître, où l'acide grignote :
Tout se défait, tout se délite et part en crotte...
Chacun de nous contient une usine chimique.
Chacun de nous contient une usine chimique,
Un vrai chaudron du Diable où des poisons mijotent,
Où le sel règne en maître, où l'acide grignote,
Où rage à chaque instant une bataille épique !
Un vrai chaudron du Diable où des poisons mijotent,
Notre corps, ce champ clos d'agitation panique
Où rage à chaque instant une bataille épique,
Un équilibre instable, une frénésie sotte !
Notre corps, ce champ clos d'agitation panique,
S'essouffle obstinément à tenir sa marotte,
Un équilibre instable, une frénésie sotte.
Qu'il cesse de courir et c'est catastrophique !
S'essouffle obstinément à tenir sa marotte
Ce pauvre amas de chair inconscient, pathétique...
Qu'il cesse de courir et c'est catastrophique,
Tout se défait, tout se délite et part en crotte !
Ce pauvre amas de chair inconscient, pathétique,
Où le sel règne en maître, où l'acide grignote :
Tout se défait, tout se délite et part en crotte...
Chacun de nous contient une usine chimique.
Les glaciers vêleront pendant des millénaires
Et les mers s'enfleront. Leurs flancs enfanteront
D'écumeux Everest impurs. S'écrouleront
Les immeubles humains aux siècles de colère !
Il n'y aura plus de frère, il n'y aura plus de père :
Les hommes démunis seront tous des démons
Ne reconnaissant plus que la voix des canons
Qu'on entendra tonner de repaire en repaire.
La Nature altérée dans son sommeil serein,
Comme un dormeur meurtri par un mauvais terrain
Changera son assise. Elle écrabouillera
La vaine humanité et son règne éphémère,
Nuisibles nains grognons qui emmerdaient leur mère.
Ensuite, ricanants, nous croqueront les rats.
En te donnant la vie je t'ai donné la mort,
C'est la loi infrangible,
Insensible, terrible.
Il faudra te forger ton propre réconfort,
C'est la loi infrangible !
Tu ne peux échapper à cet ignoble sort,
Il faudra te forger ton propre réconfort,
Affronter l'indicible.
Tu ne peux échapper à cet ignoble sort,
C'en est même risible...
Affronter l'indicible,
Tu l'as dû, tu le dois et le devras encore,
C'en est même risible !
Faire face au bonheur, au malheur, au dehors,
Tu l'as dû, tu le dois et le devras encore,
Et avoir l'air paisible.
Faire face au bonheur, au malheur, au dehors
Insensible, terrible,
Et avoir l'air paisible !...
En te donnant la vie, je t'ai donné la mort.
Avec une vie si facile,
Tu oses gémir, si lasse,
Traîner ta grosse carcasse
De bête femelle imbécile.
Tes ancêtres avaient voulu
Le progrès pour leurs enfants,
Des lendemains en chantant.
Leurs fils devinrent des Poilus !
Tu arrives en fin de race,
Migraineuse, dépressive,
Geignarde, fausse, passive,
Molle, d'une paresse crasse.
Tous ces siècles de dur labeur,
De fierté pauvre, sereine,
Pour faire de toi la reine
Graisseuse des mottes de beurre !
Au cœur de la clarté se niche la noirceur,
Son velours obscur,
Têtu comme un mur.
Dans l'éclatante joie s'insinue la douleur !
Son velours obscur
Assombrit froidement les jardins et les fleurs,
Dans l'éclatante joie s'insinue la douleur.
La blême guipure
Assombrit froidement les jardins et les fleurs,
Déterminée, sûre.
La blême guipure !
Elle enserre, elle étouffe, à la fin on en meurt...
Déterminée, sûre,
D'une étreinte glacée, douce et gluante sœur,
Elle enserre, elle étouffe, à la fin on en meurt,
Les os en fêlure.
D'une étreinte glacée, douce et gluante sœur,
Elle te pressure,
Les os en fêlure !
Au cœur de la clarté se niche la noirceur.
Oh, mets tes mains sur moi,
Enlaçons-nous, aimons-nous,
Soyons heureux, soyons fous,
Vautrons-nous dans la soie !
Enlaçons-nous, aimons-nous,
Solipsistes et cois !
Vautrons-nous dans la soie
Comme cochons dans leur soue,
Solipsistes et cois !
Faisons d'amoureux remous,
Comme cochons dans leur soue.
Qu'en vibrent les parois !
Faisons d'amoureux remous,
Savourons ces émois,
Qu'en vibrent les parois !
Caressons-nous, mon doux,
Savourons ces émois.
Soyons heureux, soyons fous,
Caressons-nous. Mon doux,
Oh ! Mets tes mains sur moi !
Dans un sari safran je te vois, belle et frêle,
Ange dégringolé d'un lointain firmament !
La soie sur ta peau mate invite des amants
À murmurer, émus, des serments éternels.
J'invente tes yeux clos : des fleurs de pimprenelle
Doivent y mijoter dans leur rouge dément,
Pétéchies provoquées par ton étranglement !
Je regarde mes mains et leur force rebelle...
Tu ne savais donc pas que l'Orient m'excitait,
Somptueuse salope, et que ton corps parfait,
Je devais le soumettre à mon vouloir brutal ?
Je t'ai noyée de sperme et traînée dans la boue,
Mais, sublime, tu gis, ennoblissant l'égout !
Je vais te démembrer, te rendre enfin bestiale...
Tes rêches poils pubiens m'écorchent la margoule
Quand je veux t'honorer d'un bon cunnilingus.
Un ours hirsute, ton barbu, malgré l'astuce
De défricher au coupe-chou quand tu es soûle !
Je rêve quelquefois de lécher une boule
De billard plutôt que ton sexe. Mon phallus
N'ose plus se frotter à ton foutu cactus :
Si je suis impuissant, c'est ta faute, ma poule !
Pour que madame enfin sorte de sa déprime,
Je devrais m'empaler la biroute ? Quel crime !
Mais non, je ne m'énerve pas, je suis très calme...
Les onguents ne servent à rien ; la lanoline,
L'amande, l'aloé ? Mais pourquoi tu t'échines :
Pour te débroussailler, il n'y a que le napalm !
«Raclure de bidet», c'est la bonne apostrophe,
Celle qui te convient, qui cerne ta nature.
J'y ai pensé un soir d'homérique biture
- Pas très original, j'en conviens, et puis bof ! -
Ton corps entièrement est une catastrophe,
Flasque, obèse, graisseux, évoque une friture
Mal faite, suintant l'huile. Une caricature :
Sur ce sujet visqueux, j'en écrirais des strophes !
Tu glisses et reluis comme une otarie moche
(Les moustaches y sont, et la laide bidoche).
Leur exemple devrait carrément t'inspirer :
Sur ton ventre vautrée, tu irais bien plus vite,
Slalomant dans la rue. Vois : les passants t'évitent,
Ton sillage gerbant trace un ru de diarrhée !