Diane Meur


Toute jeune encore, Diane Meur a déjà publié quatre romans — un par an depuis 2002 : La vie de Mardochée de Löwenfels écrite par lui-même (Sabine Wespieser), Le prisonnier de Sainte-Pélagie (Labor), La dame blanche de la Bièvre (Labor) et Raptus (Sabine Wespieser). Elle s'est en même temps fait remarquer par une activité de traductrice impressionnante en quantité comme en qualité, avec Heine, Buber, Auerbach et Nizon à son tableau de chasse. La fourrure de la truite de ce dernier, dont on vient de beaucoup parler, c'est elle qui l'a mise en français.

Je m'étais juré de lire son dernier roman avant d'accueillir Diane ici ; les circonstances m'ayant retardé, je me suis contenté de sa nouvelle «Liberté chérie», sur le site www.bon-a-tirer.com. Épatant ! À partir de trois fois rien — une jeune femme dans un compartiment de train, quelques comparses —, Diane Meur nous tient en haleine par mille fines trouvailles. Raptus, je le lirai bientôt...



UNE MAUVAISE JOURNÉE


Il torturait la lanière de son cartable. Il n'avait pas appris sa leçon, il serait puni, il le savait.

Il descendit du bus et marcha tête basse vers l'entrée du lycée. Au-dessus des toits montait le disque du soleil : il allait faire beau. Mais déjà la cloche sonnait.

Dans le couloir, quelques élèves de sa classe le dépassèrent en riant.

«Tu viens ?»

«Dépêche-toi !»

Pourquoi se dépêcher ? Il ne savait pas sa leçon.

Il entra dans la classe en retard. Le professeur le transperça des yeux :

«Asseyez-vous et taisez-vous ! Ouvrez votre livre.»

Le cours commença. Dans la classe toutes les nuques étaient penchées, les plumes grattaient. Derrière les vitres, le soleil était éclatant et l'air à l'intérieur devenait tiède, presque chaud.

Puis on referma les livres et un premier élève fut appelé au tableau : un autre. Il respira, mais à peine : bientôt son tour viendrait.

Ce matin sa mère l'avait grondé parce qu'il n'avait pas rangé sa chambre, il avait répandu le lait du petit déjeuner, et en partant il avait oublié d'emporter son goûter du soir. Et il ne savait pas sa leçon.

Et l'autre élève se rasseyait, libéré, avec un petit sourire modeste.

Il regarda involontairement vers les vitres, derrière lesquelles le soleil flamboyait. Il paraissait énorme.

Il retira son pull, et mal lui en prit :

«Vous, là-bas ! Venez donc, puisque vous vous êtes mis à l'aise.»

Il s'avança jusqu'au tableau, le cœur cognant. Dans la classe, la clarté devenait aveuglante, la chaleur presque insupportable. Il transpirait.

«Divisibilité par neuf», jeta le professeur du bout des lèvres.

Il avala sa salive, ouvrit la bouche ; mais à quoi bon ? Il n'avait rien à dire.

De désespoir il regarda vers la fenêtre.

«Eh bien !»

Il sursauta et regarda ses pieds, mais ses yeux revinrent vers la fenêtre car il avait cru y apercevoir une chose étrange et anormale, une chose incroyable : le soleil était devenu gigantesque et il grossissait encore, presque à vue d'œil, au-dessus des cimes des marronniers.

«Répondez, ou je vous mets zéro.»

Il faisait maintenant une chaleur atroce et quelques têtes se tournèrent à leur tour vers les vitres, des cris fusèrent, le professeur descendit de l'estrade et examina le ciel puis recula avec horreur : le ciel entier était une fournaise qui s'étalait, s'étendait, se rapprochait de seconde en seconde.

La fin du monde ! Il était sauvé !

Un éclair de joie le traversa pendant que de formidables explosions retentissaient et que s'embrasait déjà le sommet des plus hauts immeubles ; et il eut le temps de penser :

«Que c'est bête ! Voilà que je me souviens : Sont divisibles par neuf les nombres qui...»

Mais déjà un océan de feu liquéfiait les vitres, déferlait au-dedans, et la lumière envahit tout.



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