Ginette Dugand


VACANCES ET COMPAGNIE


Si la mère s'appelait Labry, si le père s'appelait Labry, c'est sous ce nom qu'ils devaient un jour apparaître. C'est sous ce nom qu'ils étaient inscrits, foi de registre, et nul ne les avait jamais vus. Elle, elle passait sur les dix onze heures, vélo allant vélo rentrant, déjà bien chavirée, chargée de baguettes déprimées qui retombaient dans les rayons de chaque côté de la ficelle. Le père véhiculait par le même moyen des cageots de salades. Il nous servait d'horloge les soirs d'été, toujours en direction du centre, à croire qu'à force d'aller il ne revenait jamais. La route s'arrête chez nous, un chemin s'en saisit, des ornières. Des petits Labry, que les maîtresses appelaient vainement à chaque début d'année, il en courait là-bas dans des tonneaux et des potagers de personne, de personne précisément puisque nous ne comprenions pas ce qui fondait dans ces quartiers périodiquement inondés les règles de la propriété. Il y avait des grilles mais elles coupaient une haie de poireaux et elles tombaient. Des palissades placées là, semblait-il, pour servir d'étai à des tables qui les enjambaient. Rien jamais entre le chemin de terre et ce que ma tante appelait les terres. — «Ne va pas courir dans les terres.» Ce pluriel désignait une herbe en rosette, qui était du blé, et qui nous ramenait au Pays, chez ma grand-mère qu'on parlait de désenclaver ou qui venait de l'être. C'est ça, elle l'a été plus tard et en attendant je souhaitais de toutes mes forces qu'elle ne le soit pas, jamais jamais. Ou bien de si petite route, comme celle qui court au ciel par temps d'orage, quand on a sujet libre. De si petite route qu'on ne la voie pas. Que deux chats n'y croisent pas moustaches en balai. Pour qu'on descende à fond de train nous les filles à travers champs vers notre oncle qui rentre d'en bas. Parce que là-haut, il y a un haut et puis un bas, au lieu qu'ici on a le loisir de fermer les yeux, de serrer et un point c'est tout rien ne se passe. Puis d'aller aux violettes vers chez les Labry, qui ont des ribambelles d'enfants, au moins trois, au moins quatre, et qui les cachent. C'étaient deux sortes de blé, celui d'ici, trouant la terre, débrouillard, asthmatique, éternuard, et l'autre, celui du Haut, que je n'avais jamais vu que doré. Non pas deux sortes : une unique espèce, l'explication nous avait sidérées, emportées loin, très loin dans les rêveries de l'un et de la dualité, engagées pour notre malheur dans le devenir. Mais ma tante, qui était dépositaire de ce savoir, si elle respectait le blé, savait dénicher les masures et à ma mère nous ramenions des brassées de lilas. Il mettait longtemps à faner. On lui racontait ce qu'on avait vu, surtout ce qu'on n'avait pas vu. Des barques dérivant sur le fleuve, avec un couffin, vide le couffin. À ce quartier grouillant de choses, on rajoutait des choses. Un volant de tracteur emmanché d'un balai, signé Labry junior. Cet épouvantail jambes en l'air, écartées, était fils de leurs œuvres. Maman tartinait sans cesser de coudre, cessait enfin pour boire une tasse de thé avec Suzie. Elles se parlaient lentement, de ce Pays qui les taraudait, elles aussi, mais à l'absence duquel elles s'étaient résignées, entretenant le peu qui reste, soufflant dessus, ayant compris à force qu'à trop s'attacher à la permanence, les choses vous quittent plus vite, plus tôt, plus mal. L'après-midi se terminait par le rappel du titre : c'était Blod, d'où on venait, le quartier, désert aux heures ouvrables, et pourtant, on le savait, habité comme une citadelle, grevé d'inavouables présences, et il devait son nom à une tour, donc à un château, dont elle témoignait, coiffée d'un très joli toit de tuiles rondes, ronde aussi la tour, comme un pigeonnier mais tour, avant le fossé. A cette heure on se regardait, ma sœur et moi, et on se taisait. Suzie laissait un bas qui avait filé, un ourlet à refaire. Les jeudis finissaient. Le fleuve coule en proportion inverse de la route, lui s'amplifiant, elle allant jusqu'à perdre en champs sa qualité de route : dès le lendemain notre mère remontait l'axe. Elle y trouvait matière à nous alimenter, au moins en viandes puisque le Casino apportait le reste à domicile, y compris le journal et le vendredi poisson et pain de campagne, mais il y avait bien mieux au carrefour que les écoles et la boucherie chevaline. Chez la mercière Maman caressait furtivement des combinaisons, je l'ai vue reporter une pelote de laine pour faire ouvrir deux boîtes qui n'avaient pas été déballées la semaine précédente. Qu'on attendait. Elle réglait une bobine de fil et saisissait sa fille par la main en passant la porte. Elle n'en laissait jamais pénétrer qu'une à la fois. Ce qu'elle faisait de l'autre demeure obscur. Ma mère a connu de brefs bonheurs entre l'heure de l'école et le dîner et la sortie des mêmes. Quatre fois huit cent mètres le matin, et autant l'après-midi. Pourtant ses plaisirs elle les casait tous dans les matinées bousculées avant le retour de notre père. Possible que les après-midi, les longs après-midi, elle se serait abandonnée dans la boutique aux charmes de la ruche et du petit piqué. Alors sitôt les filles lâchées à la grille elle rentrait précipitamment. Pour nous elle cousait. Tu aimais les lettres, ma mère. Tu nous les brodais en mouchoirs et sur les oreillers. Après le certificat d'études la maîtresse avait proposé de te pousser couturière. Ça n'aurait coûté qu'une demi-douzaine d'œufs par-ci. Les temps n'étaient pas mûrs. Le Casino une fois démarré - notre impasse lui était une manière de terminus, il ne se répandait qu'en pays civilisé - le pain traînait encore sur la table, toi si rangée, tu te précipitais sur le journal et au bout de quatre à six semaines, le feuilleton terminé, tu me regardais avec le sourire de celle à qui on ne la fait pas : — «C'est rien, c'est des amourettes». Mon privilège d'aînée était de recueillir cette confidence. Aussi bien j'ai fait tout ce que j'ai voulu derrière la porte de l'armoire qui ne fermait pas. Tu ne voyais rien. Sauf l'honneur. Cette libéralité venait d'une grande âme. Ta vie était ce qu'elle était parce que tu n'avais pas eu d'école, ou pas assez, à laquelle de toutes tes forces tu avais aspiré. Et moi j'en faisais à ma tête, le moins possible, j'aurais toujours pu mieux faire. Elles étaient là-haut, côté mercerie donc, les écoles, la mienne imbécile semée d'acacias quinconcés, celles de ma sœur déjà plus coquettes, la maternelle, une nouvelle génération de bâtiments — j'ai peut-être bien eu droit à l'annexe de la poste, avec un marronnier des temps de Salomon, tranché par le milieu, en figurant de la bêtise humaine, une sorte de mur des lamentations pour petites filles de juin, serties dans l'ombre noire, décidées à n'en pas découdre, échouées. Peut-être bien. Mais c'était ma prime enfance, et à l'époque dont je parle elle avait déjà figure de temps préhistoriques. Dans celle de ma sœur, aux maîtresses pimpantes, habillées en confection, il fallait ajouter, au moins le bruit en courait, des tables en plastique de toutes les couleurs, qu'on pouvait retourner, inlourdes, infragiles, et dont les aléas étaient au moins aussi drôles que ceux de la pâte à modeler. Nicole passa dans le nouveau groupe primaire. L'ancien nous était échu, à mes contemporaines et à moi, mais je m'en suis tirée. J'ai soupçonné Maman de préférer Nicole pendant un trimestre, au vu de la nouvelle lingerie qui avait ouvert à côté. Puis notre mère est retournée chez la mercière, malgré le détour que cette fidélité lui imposait. Enfin je m'instruisais, comme les copines, le plus souvent par leur intermédiaire, j'étais tout le temps malade, elles venaient soupirer dans ma chambre aux volets tirés : — «C'est pas à moi que ça arriverait...» Je dois mon savoir à Isabelle, à Martine, à Marie-Hélène, surtout à Marie-Hélène. Dans mon lit j'étais une élève appliquée. Je ne ratais pas une écriture, comme si j'avais dû mériter le bonheur que c'est là d'être couchée. Dès la première otite je fus d'une probité absolue, et j'ai appris tout ce qu'un enfant est en droit de connaître, et bien d'autres choses parce que ce qui manquait sur le cahier il fallait bien le susciter. Mon lit était la vertu même, mélancolique, sauvée dès le moment où le roman d'aventures fut de la partie, honteux d'abord, glissé en annexe au programme, puis installé en conquérant, avec l'aval des autorités compétentes. J'en fus une pionnière. Suzie, qui n'était point riche, tirait les volumes de je ne sais quel fonds d'inépuisable bonté. J'aurais rédigé des fiches de lecture si j'avais su que ça existait. Je me contentai avec les exercices supplémentaires, puis avec l'invention de méthodes d'apprentissage. Il est possible que subsistent en ma mémoire deux ou trois périodes géologiques excédentaires, entre le jurassique et le crétacé supérieur, qui restent à découvrir un de ces jours. Maman ne se mêlait pas de nos affaires de jeunes filles. Quand il était l'heure, ce qu'elle considérait comme l'heure, un coup discret et sa voix douce : «Marie -Hélène, maintenant il te faut partir.» C'est à la maman de Marie qu'elle pensait, aux devoirs de la petite, elle ne demandait pas si ç'avait été. Notre mère à nous n'a jamais, semble-t-il, songé à s'instruire par ses filles. Elle était restée trop loin ? En deçà de la science ? Trop loin dans le désir inassouvi, si loin qu'aller le chercher, c'était encore souffrir ? Elle s'en remettait de ces questions à la mère de notre père, qu'elle vénérait. Puisqu'on m'envoyait forcir le premier juillet. Ma grand-mère avait décidé que nous étions deuxième en tout, parce que première c'est prétentieux et mieux vaut deuxième partout que première quelque part. Personne n'ayant cherché à la détromper, elle en voulait des preuves dans la mémoire des noms que je retenais. Du coq au bétail du voisin il y en a du monde dans une ferme. Ce qui n'en portait pas, je le baptisais, les escargots, les doryphores, surtout ce qui avait vocation à être tué : le veau du matin, le lapin qu'on vendra sur le prochain marché, la tripotée des chats que les ruraux préfèrent escamoter. Je serinais mon oncle jusqu'à ce qu'il cède : combien il y en avait, et leur derrière, de quelle manière leur derrière était disposé ? En deux mois je faisais le plein pour l'année, puisque le monde du bas demeurait comme moi fade et lâche, qui malade qui indisposé, n'ayant pas su désigner pièce à pièce à deux pas de chez nous les enfants Labry au sexe indifférencié. Parmi ceux qui allaient durer il y eut un hérisson nommé Groseille, qui partageait avec moi la faculté d'hiberner. Embranchement des vertébrés, ordre des insectivores, famille des érinacéidés, il c'est-à-dire elle avait été vue un soir de lune vieille suivie de trois modèles qui la répétaient à l'identique — postérieur inclus ? — au calibre inférieur. Nous étions assis sur l'escalier et même l'oncle aurait récité des vers s'il avait eu matière. Faute de quoi tous se taisaient et passèrent derrière Groseille, Grand Clerc, le Petit Olivier, Soi et Son Maître, ce dernier à vrai dire tirant l'arrière gauche de manière qui trahissait le mauvais élément. Un an plus tard, même heure. Appel silencieux de l'oncle, pour identification. Je remis la réponse au lendemain. J'avais besoin de consulter les ouvrages. Il y en avait trois, chez ma grand-mère, qui me les avait donnés, avant que j'aie su lire, assez tard il est vrai mais définitivement. Et qui les sortit du papier de soie pendant dix années de suite, à chacune de mes arrivées. C'étaient Montcalm, roman historique, La Faulx du Roy, roman espagnol, Gladys, roman. Mon oncle m'attendait à la nuit tombée. Groseille, puisque c'était elle, en était à sa quatrième portée et migrerait l'année suivante dans une autre région. — «Avec ou sans les enfants ?» — «Avec.» Au bout d'un temps : — «Moi non plus je n'aurais pas aimé l'école.» Personne à ce jour n'avait touché si juste. Il avait dans son lot qu'on ne la lui avait pas proposée. Pendant quelque temps je me contentai de nommer des sommets qui ne l'étaient pas encore ou pas à mon goût. Sa collaboration m'était précieuse. Nous chipotions sur des ombres. Il m'en remontrait dans l'observation directe. Je l'imaginai, petit, rusé, pas encore taré, pas advenu encore, et n'ayant d'autre figure à lui donner je réutilisai le patron Labry dont le rapprochait déjà cette dispense d'instruction publique : une lune pâle entourée d'un duvet filasse, et qui ne vivrait pas longtemps. Sauf que lui avait duré. — «Demain, dit-il un samedi à ma grand-mère, on va aux Nods. Elle et moi.» Je montai sur le siège avant où il avait étendu une serviette pour protéger mes fesses de la brûlure du contact. Dans la benne une paire de bêches nous dispensaient de la conversation. Le père Laurent — Prosper — avait étrenné l'école trois quarts de siècle avant en talochant ma grand-mère. La commune lui avait cédé le bâtiment quand le ramassage scolaire était arrivé. C'était un petit personnage sémillant, issu d'un conte de la Forêt Noire. Il avait transformé la carcasse en deux maisonnettes superposées. Une treille plusieurs fois coudée montait du jardin par trois séries d'escaliers. Il fallait être Prosper ou moi pour passer le linteau sans s'y frotter, rabattu fort en dessous de la hauteur réglementée par la République. Nonnette se leva, glissa entre des meubles, servit. Sœur, épouse, âme, servante, j'éprouvai un vif bonheur à l'idée que Prosper ne passait pas seul le chiffon sur les surfaces en ronde-bosse qui luisaient dans la pénombre. Derrière l'armoire, c'était la chambre. D'encriers, de ce qui va avec, pas. — «Elle veut voir le grenier», dit mon oncle après le deuxième petit verre. L'escalier était au fond. J'entrevis deux petits lits en passant le buffet. — «Tiens-toi à la rampe.» C'étaient juste des clayettes rehaussées de planches avec la production de l'année. — «Tu veux une pomme ?» Prosper était arrivé directement de l'École Normale. Nonnette, on l'avait vue depuis, assura ma grand-mère. Eh bien... eh bien ma foi, elle s'était créée de rien, toute instruite de la côte de Prosper, ce n'était pas bien difficile. Mes parents vinrent me chercher. J'avais à penser pour un billion de bronchites. Marie-Hélène m'apporta les décimales, les fractions et la puissance. La maîtresse, la nôtre, se lavait les mains des programmes. C'était au moins ce que disait la maman de Marie. Les nombres m'enthousiasmèrent. Et l'enseignement à distance que nous avions rodé. Je m'ouvris quelque peu à ma compagne. Elle, ce qu'elle aimait, c'est enseigner : — «Tu comprends, comme je suis une mauvaise élève...» S'il y avait un point qui nous mettait d'accord, c'était notre commune détestation de l'école. Elle ne partageait pas mon assurance sur la possibilité de s'en passer. Sa mère. Elle soupirait. Un soir d'amitié confidente je fus sur le point de lâcher : — «Tu vois bien, les Labry...» Un grêlon me retint à point sur la vitre. Les Labry sans visage... Déjà Marie trouvait que j'exagérais. Et puis les Labry avaient au moins une mère, sacrément voyante, bien le double de celle de Marie-Hélène, pimpante et puéricultrice, qui par malheur n'entendait pas arrêter là l'ascenseur social. Après les Labry, j'aurais été entraînée à parler de l'oncle, qui n'était pas un modèle de famille. Qui sait, peut-être aurais-je trahi notre secret, l'école des Nods en vacances perpétuelles, sans mettre au clair, tant la détresse de mon amie était profonde, ce qui faisait que les uns oui les autres pas. — «Je ne veux pas être médecin.» Ce n'est pas à moi qu'on aurait proposé ça, qui m'y connaissais pourtant en maladies. Chez nous on disait «le docteur», et notre avenir ne paraissait tourmenter personne. — «Où elle a appris à coudre, ta mère ?» Justement elle n'avait pas appris. — «Le pire, tu sais, je dois faire du cerceau et rentrer mon ventre.» Si on finissait comme ça dans les écoles de mères... Ma maman toquait toujours au bon moment : — «Allez les filles... Tu ne veux pas que je te raccompagne ?» Marie-Hélène avait une manière exquise de remercier. Je rêvassais dans son odeur d'imperméable mouillé. Ces choses-là s'acquéraient à trop haut prix. Elle usa de parfum. Encore sa mère. — «Mais c'est un parfum de jeune fille.» Pauvre Marie, obligée de s'excuser pour le professeur de piano, le parapluie télescopique et qui ne trouvait même plus de plaisir à faire du vélo. Enfin on passerait tous en sixième et Dieu reconnaîtrait les siens. Dans des établissements différemment cotés de la ville voisine, sur une échelle dont les plus nouilles avaient pris la cruauté en pleine figure. Ma grand-mère me recommanda une dernière fois de rester modeste. C'était le premier juillet. Devant la cuvette de patates j'étais blottie contre son tablier et j'étais triste. Ma Mémé avait cessé de donner du torchon parce que quelque chose ne gazait pas. J'hésitai à parler de Marie, que je verrais de loin, qui m'avait demandé pourquoi je ne l'invitais pas à la montagne, qui me croyait comme fer que c'est la santé. — «Je dirai à Raoul de t'emmener chez Prosper.» Je ravalai mon chagrin. Eux ne quittaient pas les leurs. On venait à eux, nous autres. Je crus bon de philosopher : — «En Bas c'est plus terrible.» Je sentis une main légère sur mes cheveux. Une main que je ne connaissais pas. — «Tu veux que je mette le couvert ?» Je lus mes trois livres d'un coup ce soir-là. Il restait du jour encore. Le chant des grenouilles monta. Les enfants finissent par s'endormir. Nonnette allait mourir dans l'été mais nous ne le savions pas. L'année prochaine apporterait les nombres premiers avec l'équation à une inconnue suivie de près par l'infini. Eric me l'avait révélé, qui avait remplacé sa sœur un soir de compo. Mais un infini qui ne conférait pas l'éternité ne me retenait guère. Il était trop beau pour moi Eric, les filles qui allaient aux écoles connaissaient des garçons aux traits définitifs, capables de repousser ainsi la couverture pour s'asseoir plus commodément sur mon lit. Il m'embrassa sur les deux joues comme ça se fait. Vint le matin, là-haut dans le galetas de la mémé. Pour la première fois je ne me jetai pas au volet en m'éveillant. Je rêvai un moment à Eric. Puis je m'en fichai. Je laissai s'effilocher son image qui s'en alla rejoindre dans les limbes la lune écrasée des petits Labry. Ils avaient fait long feu, ceux-là, ils ne me portaient plus à penser. Tiens, je ne me serais pas dérangée s'ils avaient passé là en bas dans la calade, au lieu que c'étaient les chèvres. Déjà je galopais derrière, et le Grand Bouc qui saignait. J'étais petite petite, je venais de finir ma primaire. Je ne grandirais jamais. Il n'en était pas question. D'ailleurs j'allais m'arrêter de manger.


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Ginette Dugand persiste à rester dans l'ombre. Vivant à l'écart, écrivant de même, juge-t-elle la publication comme un acte lourd, un peu grossier, un peu vain ? Dommage pour nous : ses antennes ultra-sensibles captent le moindre souffle, le moindre frisson de réalité. La moindre de ses pages fait entendre une voix discrète, aussitôt reconnaissable, qui s'impose en douceur. Pour en lire davantage, il faudra se procurer les numéros 424, 438-439, 450-451 et 466 de la revue NRF...


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