Màximos Osỳros



LA ROUTE DE LA SOIE


Il fallait que tout argument disparaisse

du centre des funérailles Il fallait

que soit vide ma place à côté du cercueil

et que le moindre des célébrants se doute

qu'il avait servi mes desseins

Qu'entrent ces funérailles dans l'espace du cœur

et que le fil de ses rouges convulsions

tranche de tout comme il convient

Que seul apparaisse le char

de la chasse des rois Et qu'un peu

de son gibier d'une écriture obscure

dans les parfums du sarcophage palpite

Puisque je n'ai pu m'y rendre Et que le temps

ne permet pas que se répète

cela dont la préparation dura

toute une vie Essaie disais-je

avec des mots ce qui survint après notre départ

et lui Toute chose à son heure

et maintenant le dîner attendait

Mais si j'avais encore le temps de me laver

Il avait terminé Mis les linges

et l'eau était prête Et même

si je voulais qu'il m'aide Et moi

j'avais dû disais-je agrandir

les bains jusqu'à sa porte Abattre le plafond

et supprimer les murs intermédiaires

Que l'eau soit au centre et autour

à mes heures un espace ouvert

J'aurais voulu devancer son retour

mais trop de jours avaient passé à l'attendre

Puisque je n'ai pu m'y rendre Et que le temps

n'a pas permis que se répète

cela dont la préparation dura

toute une vie Qu'il montre à présent disais-je

avec des mots l'En-même-temps immense

apparu par dessus mon épaule Eclatant

Ô aveuglement

Posant le bouclier de son ombre sur moi

aussi exacte que le cuivre

Alors je la voyais en blanc suivie de ses amies

derrière le cercueil et les fleurs

qu'elles y avaient mises Aux rires

et aux voix étouffées des vierges

on pensait qu'elles ignoraient

ce qui avait manqué pour le couteau dissimulé

dans le linge et le sang qui voulait jaillir

Ô apparu par dessus mon épaule

éclatant immense Appelant les instants

de sa couronne perpétuelle

j'avais vu le rituel d'identique façon

répondre à la gnostique angoisse de ma cendre

Et l'on voyait deux villes identiques disait-on

comme des seins resplendissantes

sur l'une j'ai à dire

l'autre je pense était fausse

Et aveugle s'était levé

le lionceau de la semence

qu'au seuil de la cérémonie j'allais répandre

Il avait pris la route en hâte disait-il

suivant ma volonté empruntant par la mer

mon chemin d'autrefois La jeune dame

avait prié qu'il l'accompagne

au cénotaphe ouvert

séchant au centre de l'église

comme les ronces autour d'eux Arrivant

quelques jours à l'avance il n'avait trouvé

de logement qu'en dehors de la ville Et personne

à rencontrer Pourtant la veille

ils allèrent chez lui se plaindre de l'absence

de nouvelles C'est moi qu'ils attendaient Et lui

dit que j'étais présent quand même Ils répondirent

qu'il ne pouvait ainsi habiter seul Ils tenaient prêt

mon logement Si bien

qu'il habita en leur compagnie

le plus discrètement qu'il put Ils eurent soin

de l'inviter à leur dîner

avec de grands honneurs

Et moi j'avais gardé lui dis-je en mémoire

la jeune dame et un peu de la chaux

des arcades aux bains D'elle et de son amie

Quand j'eus l'idée que d'autres foulaient cet espace

dont mon jeune âge voulait qu'il fût mien

Que je vis comme un signe de deuil

en ces rumeurs de fièvre tenace

qui passèrent sans rien laisser

dans ces rapports que j'écartais

Vite je revins c'est là qu'ils me trouvèrent

tout seul avec l'erreur de mon retour

La jeune dame la première

ayant compris qu'il fallait agir

mais ne le pouvant seule Songeant

à son amie qui l'attendait la fit venir

Et l'autre accourut lui montrer

qu'elle pouvait Et comme à vive allure

elles gagnaient la distance où nu

j'affrontais les ronces Elle dit

J'ai vu passer lycurgue le facteur en grève

Je n'ai rien dit Dommage Ils auraient dû

sans tarder près de moi dans la cendre s'asseoir

Et j'ai gardé aussi dans les arcades

et le fronton un peu du silence

de nous trois sur la rive Et du corps

que j'avais soulevé autrefois dans mes bras :

Tourmentée jadis par ma bouche

tourmente-moi par ton écume

Donne aux coups

de ton marteau l'éclatante rudesse

que t'apporta ma bouche

par ses coups perpétuels

Qu'ainsi la raison pure avance

et n'ôte qu'au chantier

laissant les convertis sous la pluie fine

Maintenant que ma bouche

sombre en tes eaux profondes

et que toi vague noire

en sa cendre retournes

Laisse le fruit que je t'avais donné

avancer aveugle pareil

au laurier dans l'affirmation

réitérant sans cesse le sens

Je disais qu'alors mon erreur

fut de rentrer voyant le deuil

Au bout de cette fièvre Et encore

que j'avais espéré les trouver soucieux

de cette puanteur qui commençait

et qu'il aurait fallu l'ensevelir

Je disais qu'il t'appartenait pour moitié

l'autre moitié lui revenant

d'avoir tous deux permis mon retour

Que tu voulais que je le voie

rager en moi quand sans être invité

j'irais attendre où je ne devais pas Lui-même

se fût réjoui de me voir languir

ignoré dans les antichambres

Et je croyais que cette invitation venait de toi

quand je fus demandé loin de la ville

et tienne aussi l'inclinaison infime

au sable du talus tandis que je montais

foulant les traces d'un enfant

Et que j'avais soufflé moi aussi jadis

le lin en cet endroit de son passage

qu'il m'avait emporté jusqu'au temps de l'agneau

jamais pourtant si haut que toi

Je parlais de ce lin où l'on m'attendait

à la même distance en face

et de la riche couleur

Toute chose touchée par mon souffle était tienne

et je disais la main tendue sera coupée

Elle semblait toujours se tenir

à distance de moi

Et avant même de penser en vue du tamaris

que je n'arriverais jamais Voici l'entrée

La toile relevée son ruban parallèle

au sol et tu avais j'imagine veillé

à ce qu'à mes côtés j'entende le pas

de celui qui jamais ne m'avait laissé

Il imposa le calendrier sanglant

dont le disque demeurait sans entaille

ET la loi voulue par toi toute en lumière

il la laisse à l'ennui Si tu veux

l'ajouter en dernier

il s'est glissé dans chacun des moments

si bien qu'on ne peut tenir compte avec lui

Mais lorsque tu m'imposes de me taire

il arrive à mes lèvres un appel à la foule

Enfant de père illustre et de mère inconnue

être ignoble et pourtant inspiré

La toile relevée et son ruban parallèle

au sol ayant ouvert

aussitôt sa trame aux couleurs

ma gnoséologie je crus l'entendre

était à voir d'en haut Des bruits

couraient sur mon savoir indigne

d'attention Ma durée couvrant à peine

la période des pluies Et pourtant

j'avais le droit d'entrer en moi qui avais laissé

un passage au voisin Je leur dis

que ma richesse était perdue

et je n'avais plus rien à proposer

que le pas de l'aveugle

et la soutane à mes épaules

Ô ils avaient de père en fils appris

les humeurs du vent éprouvé leur savoir

de la toile sachant bien

Ce qui n'est rien devant le grain de sable

et ce qui soulève une ville dans l'azur

Car aussitôt passée la toile blanche la première

en ellipse je vis

l'ocre de sa répétition

que tous les trois mètres des mâts

tenaient droite Et sans toucher le sol

pour que le moindre vent

puisse agiter le tissu du toit

et que l'intrus s'en étonne

Et la lumière à travers tant de formes

tel du miel à l'ombre d'une pyramide

aboutissait au nombre figuré

par des mains d'homme inaltérée dans les humeurs du vent

Il t'appartenait donc disais-je pour moitié

l'autre moitié lui revenant

d'avoir ainsi permis mon retour

Tu m'as voulu aux frontières disais-je

pour neuf années encore atteint par les nouvelles

d'un printemps consacré au luxe

et aux plaisirs que j'ignorais Tu as voulu

que l'autre se déchaîne en moi

quand leur printemps se mit à pourrir

et que je puisse décider

de mon retour Mais non Car il est vrai

que j'avançai pour finir

descendant l'avenue droit sur lui

Comment oses-tu demandais-je

Comment oses-tu Et lui

dans le coin chuchotant

c'est de toi que me vient ma force

La cendre aux bâtiments de l'avenue

à gauche du canal cachant la mer

La cendre sur l'avenue le canal

et l'ellipse qu'ils décrivaient

très à l'écart de la côté La cendre

allant vers la jetée au bout du canal

La cendre où l'avenue se prolongeait

comme un tapis de blé par dessus le pont

courant vers les collines Entre les potagers

passé les entrepôts des combustibles

Mais comment oses-tu comment oses-tu

Je ne voyais que très peu d'ouvriers

dans les installations immenses Sur le blanc

de la cendre laissée par la chaleur et par les roues

C'est jour férié sans doute disais-je gardant

l'image bien connue des usines du sud

au travail incessant Et là dans son silence

une étendue s'offrant bras ouverts

que soulevait sans poids le grain de la cendre

Au même canal Infime

Dans l'avenue les potagers Grain de lumière

Et lui tranquille rappelait notre retard

Et le repas tout prêt depuis longtemps

et si j'avais besoin de lui encore Il avait

terminé tôt les tâches domestiques

et puis tardé dans la cuisine un peu

Et moi parlant du point central de la cuisine

résumé du hasard Lequel

pour le dernière fois me mettrait face à face

avec l'ange à l'épée de l'arbre en fleurs

Tandis que demeuré sur les dalles

je ruminais leurs jugements

si finement par eux dissimulés Là-bas

la brique en cendre cuite du haut mur

où le sein m'effleura Les urinoirs

tout proches et l'eau partout robinets entr'ouverts

Et tout au fond de l'école ô les bains

Dans les bras de satin du givre descendait

le neutre vers les roses du pubis

En cette réunion compagnons disais-je

près des portails fermés souvenez-vous

que la raison est impuissante

à dominer son maître Et tente seulement

de s'accorder à ce qui l'abolit

dans l'oubli pour nous laisser les planches sèches

Sinon point de pouvoir sans soumission

et point d'espoir d'exécuter ceux-là

dans la cendre En ce coin passé de cette ville

en ces miroirs ces arcades ces bains

longtemps après les eaux chaudes d'aujourd'hui

souvenez-vous disais-je Comment par mes mots

tout le cérémonial du maître et de son aide

est passé dans ce bras de l'âme

et ce malgré leurs interdits Leurs hommes

avaient suivi disais-je tous mes gestes

ignorant le rituel qu'ils célébraient alors

et ma surprise à voir qu'un autre

avant moi dirigeait l'office

Mêlé à ce lilas qui mit une pluie fine

aux funérailles À cette larme en étalant la toile

Et la douleur de consentir au quotidien

Le bruit de l'œuf Au point central

de la cuisine la promesse pour le corps

que le hasard disais-je allait résumer

tandis que l'ignoraient mes mots Et comme

il leur parut plus mûr que vieillissant

ils voulurent partir du rayon de miel noir

de la bouche entr'ouverte Ils s'arrêtèrent

à Père-tout-puissant J'avais trouvé disais-je

sa chambre ce matin nette et tranquille

et s'il pensait plutôt dormir

dans le grand lit Mais lui

me dit en remerciant qu'il aimait mieux

rester au même endroit Et moi

que rien ne l'obligeait à sortir le dimanche

et lui me remerciant me dit

qu'il n'allait pas bouger Je demandais

s'il l'avait pas de mal à s'asseoir à table

avec moi Comme vous voulez

Il avait mis lainages et lavande

en la plus grande armoire et pour lui mon idée

était bonne le lieu s'en trouvait élargi

Alors je lui parlai des funérailles

et des neuf ans tranquilles

qui précédèrent et des pages publiées

vers la fin décrivant

une guerre appelée civile

Je lui demandais si lui aussi

avait appris les éternelles vantardises

de leur auteur Il affirma

que des rumeurs sans fin suivraient sa mort

Et moi je rappelai les pages consacrées

à cette action dont il avait gardé le sens

aigle lourd à côté du destin

d'hommes qu'il ignorait Parlant

à la troisième personne

c'est à lui-même pourtant qu'il voulait

donner forme en des marches sans fin

sous la lueur nocturne de ses morts

Sans doute il connaissait les pensées des amis

mieux que les intentions des ennemis

et mieux les stratégies des siens

que les ruses des adversaires Il avait

par d'incessants déplacements

chargé tous ceux qui le suivaient

d'une dette sans autre but

que de le rendre inaccessible Et toujours agressif

il répétait ses propos sur la paix

en attendant que le hasard lui donne

d'être le seul aux années suivantes

Et je disais que l'esprit du guerrier

échappe aux passéistes imbéciles

Ô mer Mes eaux profondes

qui dans tes apostrophes as gardé la question

et le retour Si c'était une erreur

qui l'avait fait me vouloir aux frontières

Et s'il avait suffi que parfois je la voie

ou se plaisait-il à le croire

Et s'il avait appris ma position

quand certains de ses gens

avaient refusé le travail qu'il offrait

Ou quand ce jeune enfant

qu'ils avaient cru tenir en main

s'était sauvé malgré tous leurs papiers

allant mourir entre les mains d'amis S'il concédait

que je voyais les ouvriers davantage

Ô mer Mes eaux profondes

La transparence de tes morts a fait que je réclame

quelque coin dans ses bains Ou peut-être a-t-il vu

de l'arrogance en mes yeux détournés

ou dans ma position lors des actes sanglants

Moi je donnais aux amants des avis

sur la façon d'approcher la bien-aimée

Avis brefs chuchotés

pour choses brèves qui tiendraient

dans un étroit tiroir Et je les complétai

plus brefs encor quand il parla

de tolérance envers les gens inaccessibles

et de justice pour tous

Et ils passaient de lèvres en lèvres

plus facilement que ses pages

qui ramenaient à des années

inconnues de nous Les jeunes couples

au loin vivraient dans leurs prairies

Et quand il me chercha parmi ces gens

ils lui disaient Vous le verrez parmi les zélateurs

puis à voix basse que peut-être

elle pourrait nous aider

Mes eaux profondes Mes funérailles

J'ai tenu un peu dans ma main

vos nombres toujours près de se dissoudre

Eux dont les langues de soufre

au bord de cette règle m'ont laissé Mes funérailles

Et lui me dit que la nouvelle de la mort

était venue à l'heure où perdait tout son sens

mon volontaire séjour aux frontières

car se voyait trop bien ces derniers temps mon désespoir

à la répétition d'événements

que nous voulions chasser Mes doutes quant aux autres

et leur capacité d'endurer l'imprévu

éclipsaient les nouvelles Et d'après moi des étrangers

fréquentaient nos endroits familiers Dans mon lit

disait avoir dormi avant d'aller en scène

la jeune fille qui tant nous charmait

et le savait Chantant pour un vaste public

les vers de ce poète ermite disait-on

qui pour elle avait rompu son silence Elle avait

bien répondu à ces êtres d'élite

que toujours elle était proche d'eux et eux d'elle

pour la même raison et qu'elle était la même

en scène en sa maison dans la rue dans son bain

qu'elle était loin d'avoir fini gardant pour eux

ce qu'elle cachait de plus beau dans son cœur

et leur apporterait son trésor le

char en or tiré par quatre lions

et l'on avait fini pour ce soir-là mais elle

continua dit-on conduisant nue

le char aux lions vers le repas

donné pour elle Et il disait

La dépouille de la chèvre Mes heures

au-dessus de l'avenue dans la pluie

dont l'éclat gardait le secret

Et que même privé d'impressions familières

tandis que j'observais d'en haut les parapluies et même

si leurs sombres couleurs n'éveillaient pas en moi

une bouche aux mots noirs parmi tant d'autres closes

je ne prétendais pas être à l'écart de ses

répétitions pas plus que lui de mes disparitions

Qu'il revoyait les hauteurs où j'étais

quand je lui demandai qu'il me protège En un sourire

nous la prendrons à deux dit-elle avec l'autre fille

vous savez qui travaille à la machine en bas

Elle non plus n'est pas mariée Pour le prix qu'ils demandent

on pourra visiter des églises très loin

Et que j'aurais voulu ajouter quelque chose Et elle

à vous seul j'ai parlé Que je gardais

l'or des passants de l'avenue

en haut des bains et la roue s'enfonçait

Que lui n'avait pas vu mes deux amours Que l'une

l'ayant voulu me rencontrait en robe de mariée

déplorant de me voir sans uniforme Et que rie

n'était encore avec l'autre fini

mais depuis qu'elle était au travail

je ne la voyais plus Il fallait disait-il

que tout argument disparaisse du centre

des funérailles Et qu'il voyait ainsi les choses

quand j'avais demandé qu'il écrive aux miens

que dans mon coin thomas était ma seule compagnie

et dans ces quelques pas jusqu'au temple sans prêtre

c'est à aimé que je pensais Que des feuilles pourries

l'eau jaillissait sur les tombeaux des saints dormants

par nous vidés Qu'ils embrassent

constance en robe de mariée

déplorant de me voir sans uniforme Après

un an d'attente une minute avait tout fait

Le point où s'épanouit la grâce du chagrin

dont je fus pris en Asie

était le gouffre aussi de leur chute sans fin

Et qu'il parle de côme hermas maxime

et des autres à qui je pensais dans la cour

où je passais mes heures avant la nuit Alors

il dit avoir écrit suivant ma volonté sachant

qu'elle m'avait cherché peu avant du dehors

d'une voix qui tremblait

l'hémorragie n'avait cessé de la soirée Pourtant

l'intervention pouvait être évitée

mais quoi qu'il arrivât pas question de le perdre

à moins qu'elle en décide autrement Tout cela

ne regardait personne et pourquoi m'avait-elle

cherché Puis de nouveau disant que c'était son affaire

et qu'elle allait décider seule Et disait-il

quand pâle je touchais du pied l'amour touffu Très sûr

comme si j'avais dit qu'on jette aux chiens l'enfant

je cherchais des amis Puisqu'il avait serré mon linge

dont j'avais désormais moins besoin

et d'ailleurs ce n'est pas le danger disait-il

qui pousse à se montrer l'ami zélé La brume

de lumière épuisée dans l'espace de mon cœur

Il parlait de m'aider dans mes préparatifs

Et la table dressée m'attendait

ou si je préférais les bains ils étaient secs

Et je lui dis que nous étions passés d'abord

entre les aquariums aux rares visiteurs

Et cette fois j'avais bien entendu

Comme ce matin-là cherchant dans le miroir

un peu du bleu accumulé dans mon cœur

j'avais cru entendre : et si je tombe

Ou je m'étais trompé Mais on eût dit

que le descellement l'emportait sur le bruit

Quel est donc ce monsieur que j'accompagne

Qui n'a pas d'yeux pour les couleurs

que l'abysse a fait naître au flanc d'un cétacé

Plus beau que toi Prends garde

il sera davantage aimé Mots si terribles

que je n'osai pas voir leur auteur S'ils étaient

dans la marche au tambour future un pas perdu

quoi d'étonnant si mon sang s'est glacé La question

était la même et donnée la réponse

oui ou non Mais tel n'était pas son but

en nous montrant séparés par ce gouffre

Il m'ignorait moi qui suivais contre moi-même

et agissais contre ma haine Moi qui hésiterais toujours

même sans autre choix Moi qui croyais

en ignorant le sens d'un rayon de sang

J'aurais dû suivre sa nature

Et laisser sa raison mettre en place la route

qui se sépare en mille autres pareilles Et m'humilier

devant le mouvement qui donne vie

au vide couronné de sang Que reste lisse

au frais loin de toute invention

le bord des broches palpitant dans la couleur

du jaune d'œuf Et qu'à la fin

de l'artère pulmonaire et plus loin

la mer vienne noyer le zèle l'inertie

et l'espérance Étant cause première

Il a fallu encore un léger coup

écho des précédents comme un fruit vide

pour que bouge le sang Comme si l'ombre de l'enfant

dans la précision du viseur

de mon admirable machine

était passée Quelle allégresse alors

s'il m'avait demandé son obole enfouie

je lui aurais montré l'enfant et le poisson gelé

dans ses bras Une gauche ainsi la nomme-t-on

que sans arrêt les suspects refusaient

jugeant de leur devoir comme ils avaient laissé

pourrir en eux la paix et la richesse

de rejeter tout dessein J'aurais montré

mes papiers blancs s'il m'avait demandé

de leurs actions le point commun car la méthode

et l'effort leur étaient étrangers

Croire qu'ils avançaient en suivant la pensée

de leur observateur

ou tout l'inconsistant de l'hypothèse

c'était aller de leur côté

J'aurais montré le chœur des saints

étincelant sur mon calendrier sanglant

car sachant qu'être riche revient à soustraire

ils avaient fait s'enfuir ses biens Et j'avais cru

que l'inertie de l'époque dernière

les avait tués mais je les retrouvai

où ils devaient m'attendre

Et après cet enfant et son poisson un peu

dans l'ombre du viseur Il passait le fil

et courait dans les bras d'une mère Et voici

l'immense mer substantielle Ô le sang

C'est toi qui le soulèves Et je disais c'est une erreur

mais cette fois j'avais bien entendu

N'oublions pas et si je tombe

Oui j'avais entendu car aucun

des visiteurs n'avait compris

Lui se disait heureux que je n'aie plus

besoin de lui car tout ce temps passé ensemble

avait fait naître hors de nous l'En-Même-Temps

cause première de nos cœurs

Et que pour me laver j'arrivais trop tard

car il fallait nous asseoir à table

Et moi disant que l'observant depuis l'enfance

je connaissais son moindre geste Et j'avais pu

en son absence aux bains

comme pour la poussière et la cuisine

J'avais pris soin s'il revenait soudain

que tout fût bien en place

Et lui qu'il ne m'avait jamais quitté par la pensée

cherchant un lieu en attendant

le jour des funérailles Et quand

il fut prié d'habiter auprès d'eux

il pensait pleurant plus encore

à mes heures tout seul Enfin l'enterrement

Il me disait le mur de l'enceinte intérieure

bas blanchi à la chaux défini

par la bête du sacrifice

et le roseau brisé Mur bref

tout à côté du champ du potier

où s'arrêtaient les chuchotis L'épine

sans laisser trace le touchait

Et rien d'autre à se souvenir

sinon dans la riche lumière

le mur intérieur cette fois Répété

À la même hauteur mais fait de pierre nue

et les mêmes entrées dont trois ouvertes

et fermée la dernière où veillait le figuier

Or dans l'infime profondeur de la première

était la maison de celui

qui devait l'habiter d'abord avec son chien

De tous les coins l'on pouvait voir

l'espace entier le temple partout

au milieu du mur intérieur

et le tombeau où la cérémonie

s'en allait aboutir Il attendait disait-il

près des linges observant le cortège de loin

jusqu'à cette première entrée

Puis quand ils approchèrent il suivit le cercueil

à tous les arrêts vers la deuxième cour

et enfin l'entrée de l'église

Et devant le portail fermé dans le silence

il put remarquer combien peu

restaient dans la chaleur d'un soleil couchant

Seule des familiers la jeune dame

avait pris le verrou croyant le temps qu'on ouvre

entendre du premier instant

la graine dans la chaux Le début d'un corps

dès la jeunesse oublié Dans l'espace

où le corps s'imposa elle cherchait en vain

le clou Et quand ils ouvrirent avant même

que tous aient pu passer

elle vit s'ajouter à eux certains visages

inconnus Maintenant nous savons

qu'ils étaient des amis

j'avais toujours pressenti leur présence

Ils s'en allaient mener le service funèbre

sans que nul n'ose y ajouter

mais surtout ils allaient infléchir le rituel

qui en nous venait de mûrir

avec les mêmes gens les mêmes choses

Et quand ils eurent laissé derrière eux

à droite à gauche de la porte tel un ange

des mots qui n'avaient pas le droit d'entrer

ils restèrent sans voix dans l'espace intérieur

Si vaste près du mort à l'arcade achevée

si court qu'allait se perdre la ligne du sol

en cette place vide où attendait

le cercueil Ils avaient disait-il

creusé de la vraie terre en eux et terminé

au chêne du portail Plus tard se promenant

avec la jeune dame en son jardin Parlant

des friandises d'autrefois données

en des instants pareils Elle l'avait prié

de rester quelques jours encore

Mais il disait qu'il lui fallait rentrer

près de moi au plus vite Et elle

lui dit merci d'avoir tant fait pour moi

Pas un mot entre nous sur les jours à venir

Le sarcophage de la jeune neige

au passage des ans au tourment des saisons

laissait sa place en nos mémoires

à la bruine de mai ultime

dite du premier des élus

Et le rituel abrégeait son texte

en l'intervalle chaud suivant l'équinoxe

Et la lumière opulente avançait

vers les heures de la nuit Les matins

amenaient une pause brève bien avant

le lever du soleil Et ce qui dominait

le service funèbre sans fin

c'était un sentiment d'irrémédiable

et l'allégresse car plus rien

n'allait arriver Maintenant

comme autrefois le temps ne s'offrait qu'en ce lieu

Et le rite se déroulant

deux jeunes gens s'accorderaient

n'ayant à répéter rien d'autre Je pouvais

me préparer seul Et descendre

à l'aube et dès le crépuscule

jusque tard dans la nuit Portes ouvertes

et le calme de l'air impuissant à mouvoir

la flamme autour de nous des cierges

qui s'allumaient Je voyais une mère

entre tous ceux restés près de moi

donnant le sein L'autre enfant à ses pieds

endormi le haut de la tête

luisant d'une huile familière

Et l'on voyait tombé d'entre ses mains

le fil de soie passé

dans la pièce de bois Puis à midi

je monterais me laver me changer

afin de prendre ma place le soir

Et je passais entre eux attentif

comme il advient à une vieille connaissance

dont le nom seul est ignoré

La saison des gazes cachées



*



Màximos Osỳros, né en 1943, l'un des poètes majeurs de sa génération, mais peu connu dans son propre pays, fait cependant partie des quarante poètes présents dans l'Anthologie de la poésie grecque contemporaine publiée chez Gallimard en 2000. Auparavant j'avais traduit en 1988, aux Cahiers du confluent d'Yves Bergeret, l'œuvre d'Osỳros la plus impressionnante sans doute : La route de la soie, datant de 1982.

Voici ce que j'écrivais à l'époque :


Un grand personnage vient de mourir. Un poète, exilé par lui autrefois, est invité aux funérailles ; il y envoie son serviteur. Celui-ci, à son retour, lui décrit ce qu'il a vu. La route de la soie est le souvenir de leur dialogue.

C'est en même temps le lieu d'une recherche aussi bien spirituelle que formelle, où Osỳros, reprenant l'ancienne route entre l'Occident et l'Orient, réinvente en chemin, à l'écart de toute mode, la poésie narrative et philosophique.

Mais La route de la soie, c'est aussi l'envoûtement des mots, qui se déroulent tel un immense et lent cortège.


La traduction de ces 647 vers énigmatiques fut un travail ardu. Le poète s'y associa, rédigeant des notes explicatives abondantes, elles-mêmes pas toujours limpides. La réception fut confidentielle, on s'y attendait. Mais Lorand Gaspar, grand poète et traducteur de grec lui-même, m'écrivit ceci : «La Route de la Soie est presque une religion pour moi... Ce texte m'a ''salutairement'' secoué. Je n'y suis pas entré sans mal...»

J'ai compris ce jour-là qu'avoir un seul lecteur suffit, parfois, pour se sentir exaucé.

L'extrait présenté ici correspond au premier tiers du poème. En attendant la suite prévue pour les mois prochains, on peut lire quelques pages sur Osỳros dans mon livre Elle, ma Grèce (publie.net).



Màximos Osỳros
Màximos Osỳros

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