La vigne
C'est une joie de voir
ta tête blanche
dépasser dans la vigne
et de la perdre de vue
par moments quand tu te penches
pour soutenir les gourmands
ou relever
les lourdes grappes
dont le poids
leur fait toucher terre
puis la voir à nouveau
entre les pampres
quand tu ramasses
tristement
les tiges nouvelles brisées
encore un coup des chats sûrement...
Ton visage s'assombrit parfois
cela n'a pas été une année faste
sans doute la faute
aux vents du sud
le Sirocco ou le Garbis peut-être
l'Apiliòtis, le...
Ne te désespère pas cela va passer
l'année prochaine sera bénie
et les temps seront doux.
Ce qui me suffit à moi c'est la joie
de voir tes cheveux blancs
ébouriffés par la brise marine
tandis qu'en moi je murmure :
Seigneur, Seigneur, veille sur nous de là-haut
et vois
et visite cette vigne
plantée par ta main.
Pàros, août 2014
Felouque
Je n'ai pas vu cette fois encore
la felouque
cela fait trois jours que je guette
sa petite voile
qui gonfle blanche
dans la brise du matin
robe claire de jeune fille
que soulève
indiscret
le vent du nord joueur...
Légère elle fend les vagues
sa proue fière
se soulève
et la felouque file à présent
traînant derrière elle
tout un chapelet de barques blanches
et ivres
de rêves insaisissables
de vains espoirs
d'attentes
passagers clandestins errants
voyageant sur les vagues
sans jamais atteindre
l'abri d'un port.
Pàros, août 2014
Personne
Eh bien je suis Personne
celui d'Homère, moi ?
En tous cas pas Chacun
l'Everyman de Philip Roth !
Mes amis et connaissances m'ignorent
la radio les blogs Internet.
Mes ennemis m'ont oublié,
mes parents
n'ont de moi aucun souvenir.
Seules m'aiment les bestioles de Dieu
qui me suivent joyeusement
les abeilles boivent
dans ma main
les coccinelles accourent et me saluent !
Et cette escorte bien-aimée
m'accompagnera toujours
et quand viendra l'heure de partir
tristement me suivra
jusqu'à ma dernière demeure...
Pàros, 2011
Phòtis
Au petit bar de Phòtis
tous les soirs
nous causions nous les vieux amis
attablés près des vagues
avec sur les murets
des coussins blancs et doux
qui sentaient bon.
Phòtis tout joyeux
entrait-sortait
trop débordé pour prendre
toutes les commandes
et il secouait dans son shaker
en cadence
ses légendaires cocktails
le summum étant l'Alexander.
C'est un cocon bien clos
le petit bar à présent
et à la porte
Phòtis l'archange
tient son shaker
et nous appelle
par nos prénoms :
Pètros, Ilìas et Niòvi
Okeanis, Thanàssis et Krimèa
Nikòlas, Chrysavyi et
Niòvi
Pàros, 14.11.2017
Niòvi ne nous livre que son prénom. Ce n'est pas que son nom de famille lui semble trop long ; elle souhaite seulement s'effacer derrière l'homme qui le lui a donné : son époux, superbe écrivain, fort apprécié en Grèce — et au Miel des anges.
La poésie de Niòvi, discrète elle aussi, simple, limpide, chaleureuse, conjugue l'expérience de l'âge et la fraîcheur que certains êtres ne perdent jamais. Elle nous parle à mi-voix et en la lisant on a l'impression de faire partie des amis de Niòvi et Ilìas.