Les nuits étaient très courtes
le jour les mots restaient en suspens
personne pour les ouvrir.
Je venais, repartais,
villes et îles, avions vers d'autres cieux,
une fois coupées
toutes
les lignes qui menaient vers toi.
Je sautais joyeusement les vides
d'un écran l'autre étincelaient
les cailloux montrant le chemin
je les ramassais, les portais
au cou, aux oreilles, aux doigts,
pour arriver autre, éblouissante,
comme une enfant devenue femme.
Dans les poches intérieures
du cerveau
se concentrent des mots épars
ceux qui n'ont pas trouvé leur place
dans les discussions les poèmes
et de temps en temps apparaissent
quand on cherche autre chose.
Tu ne les regardes pas
tu sais que d'un regard
ils te feront plier
tu chercheras à leur faire de la place
à déformer la phrase en cours
pour qu'ils y entrent
et alors ils prendront leur revanche
jetant une ombre sur toutes choses
disant ce que tu ne voulais pas dire,
les ingrats.
Les pluies se sont mises
à tomber
les feuillages ont proliféré
des herbes poussaient partout
et des bêtes hurlaient.
Comment suis-je devenue
cette forêt tropicale
où je prospère en moi ?
Moi qui étais un lieu sans eau
Où poussaient des épines.
Sur la doublure du manteau
que je porte depuis des années
j'ai remarqué une déchirure.
C'était au début
un fil qui pendait
que j'ai tiré en hésitant
et qui est parti dans un zig-zag
hypnotique, pas moyen de m'arrêter.
Depuis des mois je dévide
le matériau dont je suis fait
pour voir ce qui se cache dessous
et quel sera le prix :
une couronne d'épines
?u de fleurs d'oranger
Je voudrais que tu sois
une prière
comme celle du Pèlerin
qui s'accorde
aux battements du cœur
et coule dans le souffle
sans aucune pensée.
Mais tu es une langue étrangère
pleine d'exceptions
de mots à double sens
à la syntaxe compliquée.
Je n'écrirai jamais «couramment»
dans mon CV
en face de ton nom
Où se trouve la source de la poésie ?
Faut-il monter ? Descendre ?
Creuser la boue, la terre, les mers ?
Ouvrir dans la montagne intérieure
des tunnels ?
Boire à la petite cuiller
son propre sang ?
Marcher nuit et jour
en usant
des chaussures de papier, de toile, d'acier ?
Faut-il avec une pioche frapper
précisément ?
Placer, ôter, déplacer
Mots, lettres, phonèmes,
cris inarticulés ?
Ou bien mener sa vie
comme ci comme ça
tant bien que mal
en attisant de temps en temps avec une plume
la braise pour l'empêcher de s'éteindre tout à fait
avant que l'eau bouille
et qu'apparaissent les bulles ?
Myrsìni Gana a de qui tenir : elle est la fille de Mihàlis Ganas, l'un des plus grands poètes grecs vivants. Elle a étudié à Athènes et Bruxelles et exerce le métier de traductrice d'anglais et de français. Jeune encore, elle fait déjà entendre une voix bien à elle dans ses deux recueils publiés, Les régions plus loin (2017) et Il y a d'autres choses que j'aime (2020).