Les oiseaux de l'autre monde
Του κάτω κόσμου τα πουλιά
Dans un recoin de l'autre monde avec patience
le temps t'attend plein de poison dès à présent
chômeur depuis plus de mille ans sa récompense
sera couler ton arche et boire tout ton sang
T'accueilleront des fouettards et des Symplégades
une fiancée couchée sur l'or de ses coussins
elle a pendu à ses oreilles des Cyclades
et son divan est un repaire d'assassins
Ils sont secrets les mots amers dans la coquille
les sortilèges de la mer au vent du nord
et la veilleuse à la maison déjà vacille
il n'y a pas là-bas de porte et nul n'en sort
Tous les oiseaux de l'autre monde s'agglutinent
pour te coudre un habit de lumière et de nuit
et les défunts grinçants aiguisent leur canines
prêts à bondir et te saisir si tu t'enfuis
Mànos Eleftherìou, Stàvros Kouyoumtzis, 1974
Sous l'auvent
Κάτω απ΄ τη μαρκίζα
Je n'ai gardé de toi que peu de chose
une photo de quatre sous toute pâlie
toi qui n'oses pas sourire tes lèvres closes
et derrière toi la plaine sous la pluie.
Je te vois parti très loin d'ici sans doute
malgré ton air de flâneur insouciant
où que tu ailles et quelle que soit ta route
tu n'arriveras jamais où je t'attends.
Et quand après toutes ces années d'attente
sous cet auvent tu reviens t'abriter
tes yeux sont gris comme la pluie battante
mais comme toujours tu ne veux pas parler.
Je t'interroge encore et je m'entête
je voudrais savoir enfin si tu vas bien
mais toi qui en sais autant que la tempête
c'est sans espoir à moi tu ne diras rien.
Mànos Eleftherìou, Γιάννης Σπανός, 1977
Paroles de chagrin
Παραπονεμένα λόγια
À l'école de la misère
sur les bancs de la pauvreté
on voit que la vie est amère
on apprend la société
Nos chansons et leurs paroles
d'injustice et de chagrin
disent que rien ne nous console
du berceau jusqu'à la fin
Dans ce monde on se promène
quelques pas derrière des murs
car c'est ça notre domaine
une petite cour obscure
Mànos Eleftherìou, Γιάννης Μαρκόπουλος, 1979
Le testament
Η διαθήκη
Quand l'heure d'écrire le testament sera venue
et que chacun aura son lot dans le grand partage
laissez-moi donc la seule richesse qui m'est due
ce petit chemin où je marche seul mon héritage
car moi je suis comme le vent libre qui divague
je n'ai que faire de vos slogans de vos drapeaux
moi mes amis sont les montagnes et les vagues
mes frères à moi ce sont les fleuves et les oiseaux
Votre héritage n'est rien pour moi il faut m'exclure
je suis pour vous depuis toujours une fourmi
mais moi pour qui le moindre rien est une blessure
de quelques miettes j'ai appris à nourrir ma vie
Mànos Eleftherìou, Chrìstos Nikolòpoulos, 1984
Écouter les anges
Στων αγγέλων τα μπουζούκια
Des amis à nous dans l'ombre des drôles de bonshommes
qui nous voient et nous font signe là-haut dans le ciel
viennent vers nous dans la nuit noire des rôdeurs en somme
ils souffrent et ils chantent d'une voix dolente
et nous racontent leurs chagrins éternels.
Allons vite vite écouter les anges
on dirait que reviennent les jours byzantins
tes beaux habits sombres il faut que tu les ranges
pour faire entendre à ton âme les voix des humains.
Certains inconnus dans l'ombre, condamnés à vie
à monter tout le temps la garde devant le paradis
chantent là-haut dans la nuit noire leurs chansons bénies
chansons caressantes et ensorcelantes
pour nous ils les chantent tout en pleurant sans bruit
Mànos Eleftherìou, Chrìstos Nikolòpoulos, 1993
Mànos Eleftherìou (1938-2018) a écrit des pièces de théâtre, des nouvelles, des livres pour enfants, mais il est surtout connu comme auteur de chansons — l'un des plus populaires en Grèce. On pourra lire une vingtaine d'entre elles dans Cent chansons, à paraître au Miel des anges en 2022.