À une jeune fille
élevée dans un couvent
Belle dans ton couvent, je viens te regarder ;
Montre-toi aux barreaux, que tu me voies chanter.
Du fond du cœur mes vers partent vers toi très doux ;
Que le mur laisse faire et ne soit pas jaloux.
Sauve-toi si tu peux, viens vite, je le veux ;
Rien ne vaut un baiser pour éteindre mon feu.
Belle dans ton couvent, sur moi tu peux compter,
Je n'irai pas m'en prendre à ta virginité.
Le rêve
J'ai rêvé de toi, mon âme
Ma déesse de beauté :
Une nuit dans la campagne
Je marchais à ton côté.
Nous avons suivi la route
Vers un jardin délicieux.
Les étoiles brillaient toutes
Et tu regardais les cieux.
Étoiles, voyez ma belle,
Regardez briller ses yeux.
Entre vous toutes, laquelle,
A jamais pu briller mieux ?
Avez-vous vu la merveille
De sa chevelure ailleurs,
Pareil pied ou main pareille,
Face d'ange ensorceleur,
Corps si beau que, c'est étrange,
On s'écrie dès qu'on le voit :
Si vraiment elle est un ange,
Où sont ses ailes, dis-moi ?
Je chantais mon adorée,
Mais soudain que vois-je là ?
Des jeunes filles parées
Par la lune et son éclat.
Se tenant la main, légères,
Ces filles dansaient en chœur
Tout en se faisant la guerre
À qui me prendrait mon cœur.
Tes lèvres se sont ouvertes :
— Toi, comment les trouves-tu ?
Malgré ces beautés offertes,
— Bien laides, j'ai répondu.
Alors ton rire angélique
M'a donné un tel plaisir
Que dans ce moment magique
J'ai cru voir le ciel s'ouvrir.
À l'écart je t'ai conduite
Sous un rosier tout tremblant,
Et suis tombé vite, vite
Tendrement dans tes bras blancs.
Tes baisers en sont la cause :
Dans la nuit, à chacun d'eux,
Venait éclore une rose
Sur le rosier bienheureux,
Éclore encore et encore,
Et aux premières lueurs,
Nos visages dans l'aurore
Avaient la même pâleur.
Ce rêve, avec ses délices,
Mon âme, il ne tient qu'à toi
De faire qu'il s'accomplisse
Et te souvenir de moi.
La petite âme
Comme une brise
Tout en douceur
Qui souffle sur
Un champ de fleurs
Le tout-petit
A rendu l'âme.
Et tout de suite
Volant dans l'air
L'âme est montée
Jusqu'à l'éther
Tremblant comme une
Petite flamme.
Et chaque étoile
Vite l'appelle
Mais si chacune
La veut chez elle
L'âme apeurée
hésite encore.
Mais là un ange
Par un baiser
Vient lui offrir
L'éternité
Et sa joue brille
Comme l'aurore.
L'inconnue
Mais qui est-elle
De blanc vêtue
Et descendue
De tout là-haut ?
Dès que la fille
Vers nous s'en vient
L'herbe devient
Fleur aussitôt.
Le pré déploie
Ses beaux atours
Et sans détours
Sa tête agite ;
Il est pour elle
D'amour touché
Et à marcher
Sur lui l'invite.
Et l'émerveille
Sa belle bouche
Aux lèvres rouges
Comme les roses,
Quand la rosée
Vient au jardin
Tôt le matin
Et les arrose.
Sur sa poitrine
Descendent, longs
Ses cheveux blonds
Qui étincellent ;
Et son regard
Est si radieux
Qu'elle a les yeux
Couleur de ciel.
Mais qui est-elle
De blanc vêtue
Et descendue
De tout là-haut ?
La Blonde
Je l'ai vue hier la Blonde
Elle quittait notre île,
Je l'ai vue hier sur l'onde
S'en aller vers l'exil.
Les voiles toutes blanches
Se gonflaient dans le vent
Comme un oiseau qui penche
Ses ailes déployant.
Ses amis malheureux
Lui disaient au revoir ;
Elle disait adieu
Agitant son mouchoir.
Alors, avec patience
Des yeux je l'ai suivi
Avant que la distance
Cache la voile aussi.
Car à la fin nous fûmes
Incapables de voir :
Ce n'était que l'écume
Ce point blanc sur l'eau noire.
Voile et mouchoir enfuis,
Rien sur l'eau, sous les cieux,
Et les pleurs des amis
Et moi pleurant comme eux.
Cette voile sur l'onde
Me fait pleurer sur l'île.
Je pleure cette Blonde
Qui s'en va vers l'exil.
Dionỳsios Solomos (1799-1857), né dans une famille noble des îles Ioniennes, étudia en Italie avant de retourner vivre en Grèce à vingt ans. Il maniait l'italien avec plus d'aisance que le grec, mais c'est dans sa langue maternelle qu'il a écrit ses poèmes majeurs, où le souffle romantique voisine avec le souvenir des traditions populaires.
Il est le père fondateur de la poésie grecque moderne. Ses poèmes, limpides par la langue et souvent obscurs par le sens, étrangement inachevés pour la plupart, sont restés une source toujours fraîche pour les Grecs d'aujourd'hui, poètes ou lecteurs de poésie. Il faut voir la façon dont ils parlent de lui, avec un mélange de respect, d'affection et de gourmandise.
Je rêve de consacrer un jour prochain tout un volume du Miel des anges à ses œuvres. Ces quelques poèmes de jeunesse en sont le prélude.