Dionỳsios Solomos



À une jeune fille

élevée dans un couvent


Belle dans ton couvent, je viens te regarder ;

Montre-toi aux barreaux, que tu me voies chanter.


Du fond du cœur mes vers partent vers toi très doux ;

Que le mur laisse faire et ne soit pas jaloux.


Sauve-toi si tu peux, viens vite, je le veux ;

Rien ne vaut un baiser pour éteindre mon feu.


Belle dans ton couvent, sur moi tu peux compter,

Je n'irai pas m'en prendre à ta virginité.






Le rêve


J'ai rêvé de toi, mon âme

Ma déesse de beauté :

Une nuit dans la campagne

Je marchais à ton côté.


Nous avons suivi la route

Vers un jardin délicieux.

Les étoiles brillaient toutes

Et tu regardais les cieux.


Étoiles, voyez ma belle,

Regardez briller ses yeux.

Entre vous toutes, laquelle,

A jamais pu briller mieux ?


Avez-vous vu la merveille

De sa chevelure ailleurs,

Pareil pied ou main pareille,

Face d'ange ensorceleur,


Corps si beau que, c'est étrange,

On s'écrie dès qu'on le voit :

Si vraiment elle est un ange,

Où sont ses ailes, dis-moi ?


Je chantais mon adorée,

Mais soudain que vois-je là ?

Des jeunes filles parées

Par la lune et son éclat.


Se tenant la main, légères,

Ces filles dansaient en chœur

Tout en se faisant la guerre

À qui me prendrait mon cœur.


Tes lèvres se sont ouvertes :

— Toi, comment les trouves-tu ?

Malgré ces beautés offertes,

— Bien laides, j'ai répondu.


Alors ton rire angélique

M'a donné un tel plaisir

Que dans ce moment magique

J'ai cru voir le ciel s'ouvrir.


À l'écart je t'ai conduite

Sous un rosier tout tremblant,

Et suis tombé vite, vite

Tendrement dans tes bras blancs.


Tes baisers en sont la cause :

Dans la nuit, à chacun d'eux,

Venait éclore une rose

Sur le rosier bienheureux,


Éclore encore et encore,

Et aux premières lueurs,

Nos visages dans l'aurore

Avaient la même pâleur.


Ce rêve, avec ses délices,

Mon âme, il ne tient qu'à toi

De faire qu'il s'accomplisse

Et te souvenir de moi.






La petite âme


Comme une brise

Tout en douceur

Qui souffle sur

Un champ de fleurs

Le tout-petit

A rendu l'âme.


Et tout de suite

Volant dans l'air

L'âme est montée

Jusqu'à l'éther

Tremblant comme une

Petite flamme.


Et chaque étoile

Vite l'appelle

Mais si chacune

La veut chez elle

L'âme apeurée

hésite encore.


Mais là un ange

Par un baiser

Vient lui offrir

L'éternité

Et sa joue brille

Comme l'aurore.






L'inconnue


Mais qui est-elle

De blanc vêtue

Et descendue

De tout là-haut ?


Dès que la fille

Vers nous s'en vient

L'herbe devient

Fleur aussitôt.


Le pré déploie

Ses beaux atours

Et sans détours

Sa tête agite ;


Il est pour elle

D'amour touché

Et à marcher

Sur lui l'invite.


Et l'émerveille

Sa belle bouche

Aux lèvres rouges

Comme les roses,


Quand la rosée

Vient au jardin

Tôt le matin

Et les arrose.


Sur sa poitrine

Descendent, longs

Ses cheveux blonds

Qui étincellent ;


Et son regard

Est si radieux

Qu'elle a les yeux

Couleur de ciel.


Mais qui est-elle

De blanc vêtue

Et descendue

De tout là-haut ?






La Blonde


Je l'ai vue hier la Blonde

Elle quittait notre île,

Je l'ai vue hier sur l'onde

S'en aller vers l'exil.


Les voiles toutes blanches

Se gonflaient dans le vent

Comme un oiseau qui penche

Ses ailes déployant.


Ses amis malheureux

Lui disaient au revoir ;

Elle disait adieu

Agitant son mouchoir.


Alors, avec patience

Des yeux je l'ai suivi

Avant que la distance

Cache la voile aussi.


Car à la fin nous fûmes

Incapables de voir :

Ce n'était que l'écume

Ce point blanc sur l'eau noire.


Voile et mouchoir enfuis,

Rien sur l'eau, sous les cieux,

Et les pleurs des amis

Et moi pleurant comme eux.


Cette voile sur l'onde

Me fait pleurer sur l'île.

Je pleure cette Blonde

Qui s'en va vers l'exil.





Dionỳsios Solomos (1799-1857), né dans une famille noble des îles Ioniennes, étudia en Italie avant de retourner vivre en Grèce à vingt ans. Il maniait l'italien avec plus d'aisance que le grec, mais c'est dans sa langue maternelle qu'il a écrit ses poèmes majeurs, où le souffle romantique voisine avec le souvenir des traditions populaires.

Il est le père fondateur de la poésie grecque moderne. Ses poèmes, limpides par la langue et souvent obscurs par le sens, étrangement inachevés pour la plupart, sont restés une source toujours fraîche pour les Grecs d'aujourd'hui, poètes ou lecteurs de poésie. Il faut voir la façon dont ils parlent de lui, avec un mélange de respect, d'affection et de gourmandise.

Je rêve de consacrer un jour prochain tout un volume du Miel des anges à ses œuvres. Ces quelques poèmes de jeunesse en sont le prélude.



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