Choses tues, choses muettes
Les feuillages ont fait place
et se tiennent immobiles
afin que passe la rivière verte
qui se gonflant tendrement les caresse.
le pont d'un côté s'appuie
sur un rocher sans tête
et de l'autre
sur une cachette sans corps pour oiseaux
une étoile que possède la Pléiade
quitte sa mère
pour voyager dans la nuit.
Dans l'air ciseaux d'argent
les flèches des martinets
coupant des langues
d'éclairs en plein vol.
Des papillons dorment sans ailes
dans le cocon d'un poème.
Le chemin du buisson mène
à la grotte
où incube un verbe céleste.
Dans le sillon plus loin
serpents d'eau, fleurs d'eau
un moulin oublié
dans le courant du temps
Ailes rouges, liée à la patience
une Histoire attend l'Éternel
Retour pour commencer.
Pour elles cette joie
et secrète cette magie
choses tues, choses muettes
heureuses dans le silence.
Une chauve-souris crie au-dessus des ossements
pour chasser le mauvais sort.
Marcheuse la lune
l'a suivi rattrapé
au bord de la rivière.
Un rayon poignard d'argent
transperce l'inespéré
L'espoir menue monnaie
glisse et pleure hameçon
accroché par la profondeur
Bête sauvage sa solitude aboyait à la Pleine Lune rouge
elle la trompait lui jetant un morceau de rêve.
Là sur le bord se désaltère un serpent noir
Clapotis ronds dans l'eau déliés
troublent la surface
les esprits jouent aux billes
et au grand méchant loup
qui dévore l'histoire.
Souffles, tremble le vent, tremble la terre
c'est l'heure pour eux de s'aimer
à l'ombre de la lune.
Et lui heureux dans la solitude
qui tient la voix de basse...
Rêves
Des rêves joyeux, des rêves malheureux
des testaments de Morphée jaillissant
intemporels et incolores
dans leur densité propre
nous font voyager aux paysages de l'âme
sous la deuxième et la troisième identité.
Ensorcelés nos yeux
regardent par leurs fenêtres
les images attelées au char du temps qui bougent
avec lenteur ou vite ou pas du tout
et se perdent au fond de nulle part
l'histoire qui se fige
dans l'attente angoissée
que quelque chose arrive
une solution au «drame».
Des rêves frégates
baignent de sueur le dedans du sommeil
voix trafiquées
pour l'échéance, destins
dans des cadres étanches
dans la pénombre ou la lumière
un présent incohérent.
Eros et Thanatos et leur partie d'échecs
suivant les règles de l'esprit assoupi
unions inattendues sur des chemins bordés de saules
avec des morts dans des steppes désertes
distribuant des rôles
et réclamant des vivants responsables.
L'inconscient qui se reflète
au-dessus de lacs
et dans ses processus nocturnes
se justifie de ses utopies.
— Quand l'âme vous a-t-elle trahi ?
Rêves indéchiffrables
dans votre autonomie
vous ne précisez rien
mais de vous-mêmes décidez
de la profonde absurdité de la vie...
Les quatre saisons
Mon désir me maintenir dans la terre sèche
tronc nu racines enfouies
dans une âme de granit
Deux par deux vénérables feuilles
tombent les espoirs
un par un se brisent les rameaux de la patience.
Les tournesols en rangées tranquilles
sont courbés par un vent de colère.
Les grandes mauves sans fleurs.
Dans le buisson pousse du fil métallique
et cette année les mûres
ont le goût de la rouille.
Où est parti le cramoisi des roses
dont les épines ont cessé de faire des trous ?
Un lien de sang
est devenu exsangue.
Le ciel envoie un jardinier
négocier les semaisons des étoiles.
Une plainte d'automne pleut doucement.
La répartition des terres du rêve n'était pas juste.
Une cétoine dorée croisée à un scorpion
bourdonne vengeance.
Le soleil entre dans la Vierge
et le vieil olivier sortant ses racines
retombe en enfance.
Par ici dans ces champs
comme la vie a vieilli !
Et comme cette campagne est devenue laide !
La faute à l'hiver...
son passage un vent mauvais
...et à l'été
allumant son feu.
Et avril ?... Mai ?
La jeunesse n'est jamais coupable.
La porte nord
La porte nord
à un battant
te mène
à un abri bleu ciel
à un firmament aveugle
derrière la maison
à des mousses, des herbes et des serpents
qui poussent dans les détours du temps.
Lorsque tu l'ouvres
tu la crois hostile
elle te lance dans le tourbillon du vent.
N'aie pas peur
elle tient la tempête
qui ne veut rien que te noyer
et elle retient le temps
le transgresseur qui ronge tes limites.
Elle ne cesse de penser
à ce désir enfermé
sous la trappe.
La porte nord à un battant
garde la maison
...et les coins déserts.
Teinture d'iode
Et soudain de la teinture d'iode
venue d'une éclipse de soleil
a coloré notre petite ville
murs blancs, routes empierrées
eucalyptus.
Chemins de terre, comme pleins de soufre.
La Presse l'avait clamé en première page
suspendue toute jaune au fil par une pince à linge
Sur la place une grande affluence
armés de miroirs de verres fumés
ils cherchent leur visage l'Autre
et l'anneau pourpre du soleil
un nœud coulant pour attraper
ce qui leur fait mal.
Et là au bout de la colline
où prend fin le silence dialectique
le regard d'une odalisque noircit
lorsque tombe devant elle
le désir jaune d'un incestueux
et à côté le cyprès idiotement indifférent
— son seul souci atteindre les étoiles —
et ingénu
face aux renversements
qui ont duré à peine.
Il y a beaucoup d'avocats parmi les poètes grecs, et peu de magistrats. Stavroùla Dimitrìou, elle, a été juge. Elle est l'auteure d'un recueil de nouvelles, de deux romans, dont L'âme du miroir que je viens de traduire, à paraître chez publie.net, et de deux recueils de poèmes. Cinq d'entre eux, choisis par elle-même, nous introduisent dans son univers imprégné par les paysages de son enfance, ouvert à l'infime comme à l'infiniment grand, et parcouru par un grand souffle lyrique.
Stavroùla Dimitrìou |