Stavroùla DIMITRÌOU




Choses tues, choses muettes


Les feuillages ont fait place

et se tiennent immobiles

afin que passe la rivière verte

qui se gonflant tendrement les caresse.

le pont d'un côté s'appuie

sur un rocher sans tête

et de l'autre

sur une cachette sans corps pour oiseaux

une étoile que possède la Pléiade

quitte sa mère

pour voyager dans la nuit.

Dans l'air ciseaux d'argent

les flèches des martinets

coupant des langues

d'éclairs en plein vol.

Des papillons dorment sans ailes

dans le cocon d'un poème.

Le chemin du buisson mène

à la grotte

où incube un verbe céleste.

Dans le sillon plus loin

serpents d'eau, fleurs d'eau

un moulin oublié

dans le courant du temps

Ailes rouges, liée à la patience

une Histoire attend l'Éternel

Retour pour commencer.

Pour elles cette joie

et secrète cette magie

choses tues, choses muettes

heureuses dans le silence.

Une chauve-souris crie au-dessus des ossements

pour chasser le mauvais sort.


Marcheuse la lune

l'a suivi rattrapé

au bord de la rivière.

Un rayon poignard d'argent

transperce l'inespéré

L'espoir menue monnaie

glisse et pleure hameçon

accroché par la profondeur

Bête sauvage sa solitude aboyait à la Pleine Lune rouge

elle la trompait lui jetant un morceau de rêve.

Là sur le bord se désaltère un serpent noir

Clapotis ronds dans l'eau déliés

troublent la surface

les esprits jouent aux billes

et au grand méchant loup

qui dévore l'histoire.

Souffles, tremble le vent, tremble la terre

c'est l'heure pour eux de s'aimer

à l'ombre de la lune.

Et lui heureux dans la solitude

qui tient la voix de basse...






Rêves


Des rêves joyeux, des rêves malheureux

des testaments de Morphée jaillissant

intemporels et incolores

dans leur densité propre

nous font voyager aux paysages de l'âme

sous la deuxième et la troisième identité.

Ensorcelés nos yeux

regardent par leurs fenêtres

les images attelées au char du temps qui bougent

avec lenteur ou vite ou pas du tout

et se perdent au fond de nulle part

l'histoire qui se fige

dans l'attente angoissée

que quelque chose arrive

une solution au «drame».

Des rêves frégates

baignent de sueur le dedans du sommeil

voix trafiquées

pour l'échéance, destins

dans des cadres étanches

dans la pénombre ou la lumière

un présent incohérent.

Eros et Thanatos et leur partie d'échecs

suivant les règles de l'esprit assoupi

unions inattendues sur des chemins bordés de saules

avec des morts dans des steppes désertes

distribuant des rôles

et réclamant des vivants responsables.

L'inconscient qui se reflète

au-dessus de lacs

et dans ses processus nocturnes

se justifie de ses utopies.

— Quand l'âme vous a-t-elle trahi ?


Rêves indéchiffrables

dans votre autonomie

vous ne précisez rien

mais de vous-mêmes décidez

de la profonde absurdité de la vie...






Les quatre saisons


Mon désir me maintenir dans la terre sèche

tronc nu racines enfouies

dans une âme de granit


Deux par deux vénérables feuilles

tombent les espoirs

un par un se brisent les rameaux de la patience.

Les tournesols en rangées tranquilles

sont courbés par un vent de colère.

Les grandes mauves sans fleurs.

Dans le buisson pousse du fil métallique

et cette année les mûres

ont le goût de la rouille.

Où est parti le cramoisi des roses

dont les épines ont cessé de faire des trous ?

Un lien de sang

est devenu exsangue.

Le ciel envoie un jardinier

négocier les semaisons des étoiles.

Une plainte d'automne pleut doucement.

La répartition des terres du rêve n'était pas juste.

Une cétoine dorée croisée à un scorpion

bourdonne vengeance.

Le soleil entre dans la Vierge

et le vieil olivier sortant ses racines

retombe en enfance.

Par ici dans ces champs

comme la vie a vieilli !

Et comme cette campagne est devenue laide !

La faute à l'hiver...

son passage un vent mauvais

...et à l'été

allumant son feu.

Et avril ?... Mai ?

La jeunesse n'est jamais coupable.






La porte nord


La porte nord

à un battant

te mène

à un abri bleu ciel

à un firmament aveugle

derrière la maison

à des mousses, des herbes et des serpents

qui poussent dans les détours du temps.

Lorsque tu l'ouvres

tu la crois hostile

elle te lance dans le tourbillon du vent.

N'aie pas peur

elle tient la tempête

qui ne veut rien que te noyer

et elle retient le temps

le transgresseur qui ronge tes limites.

Elle ne cesse de penser

à ce désir enfermé

sous la trappe.


La porte nord à un battant

garde la maison

...et les coins déserts.






Teinture d'iode


Et soudain de la teinture d'iode

venue d'une éclipse de soleil

a coloré notre petite ville

murs blancs, routes empierrées

eucalyptus.

Chemins de terre, comme pleins de soufre.

La Presse l'avait clamé en première page

suspendue toute jaune au fil par une pince à linge

Sur la place une grande affluence

armés de miroirs de verres fumés

ils cherchent leur visage l'Autre

et l'anneau pourpre du soleil

un nœud coulant pour attraper

ce qui leur fait mal.

Et là au bout de la colline

où prend fin le silence dialectique

le regard d'une odalisque noircit

lorsque tombe devant elle

le désir jaune d'un incestueux

et à côté le cyprès idiotement indifférent

— son seul souci atteindre les étoiles —

et ingénu

face aux renversements

qui ont duré à peine.




*


Il y a beaucoup d'avocats parmi les poètes grecs, et peu de magistrats. Stavroùla Dimitrìou, elle, a été juge. Elle est l'auteure d'un recueil de nouvelles, de deux romans, dont L'âme du miroir que je viens de traduire, à paraître chez publie.net, et de deux recueils de poèmes. Cinq d'entre eux, choisis par elle-même, nous introduisent dans son univers imprégné par les paysages de son enfance, ouvert à l'infime comme à l'infiniment grand, et parcouru par un grand souffle lyrique.


Stavroùla Dimitrìou
Stavroùla Dimitrìou

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