Costis GUIMOSSOÙLIS



Le sexe du sommeil


Des pommes surnagent dans ton sommeil.

Couvrent de baisers le bagage de tes lèvres

sur des chameaux chargent des troupeaux de morts.


Ta jambe, le départ l'enveloppera d'une gaze.

Une espèce de Dieu tout en nerfs — son visage

à ton visage se frottera —


Ta sœur, telle une prostituée

sera enveloppée d'un sommeil.


Un sommeil homme. Il bâtit l'eau

et dresse des murs autour.






L'ombre est la privation de lumière —

Oui la lune est rien n'est réciproque


Ce soir train rouge ne s'arrêtera pas

à la station Théséion.


Des petites filles accrochent des ex-votos

avant de s'endormir en bêlant

dans les bras des infirmes.


Les moines cachent des téléphones d'amour

au creux de la main

pourchassent les ombres avec des cuillers de bois.


Un troupeau de chevaux sauvages dort dort sur le balcon.


Aux pâques russes le poète tient le cierge

et la peinture mord.


Les nuances balade en car avec les cages

dans la soute

c'est la mort qui tenait le micro.


Sa voix petite pelle à remplir tant qu'on peut

ce soir où gesticulent de petits aveugles aux bracelets

de folie en or massif.


Ils se dressent à minuit dans les berceaux

pour que touchent au rivage rubans noirs les anges

et toutes les ailes.


Ce soir on allongera sur des oreillers blancs les promesses.






La maladie samedi


Je prête mon corps communautaire

et son affreux tatouage au front.


À travers la peau et ses feuilles tièdes

par vagues vient mourir

la boule de graisse des mots.


Humbles médecins les anges

se penchent pour lécher la babiole

que je garde depuis ma petite enfance —

le mot samedi.


Il s'est fait tuer disent-ils

eux qui comme les humains

ne font pas confiance à la mort.


Il ne coagule pas eux le boivent

ivres et enroués

au fond de mes yeux.


(La fièvre bûcheron)






apophyse du fémur


Les talons à musique et les robes suantes de la nuit. La blessure de l'insomnie et la lumière lépreuse du sommeil. La canicule des cheveux surnage sur l'oreiller. Sur le fouet des cieux et la grêle des rêves. Déluge de remords sur les murset dans l'œil. Les habits dégringolent. Des raisins sauvages qui gémissent pleins de fer et de sel. Le jet d'eau de l'ouïe fouette mon lit.






sternum


Le petit Emmanouïl douze ans mord les herbes et se plaint. De la religion cet abîme et de la poitrine des anges amoureuse. Les fronts des saints sur le toit et l'ombre s'afflige. Vois le martyre de la parole. Les récipients de cuivre du langage quand les fait rouler la terreur. La larme a séché rouge sur mes cuisses et l'accouchement nous fend. Il faut que je parle un jour à l'aigrette de la foi. Rêve de ma ceinture : un mot et un oiseau tourmenteur au gouffre de la taille. Crac. Le cierge de la voix se casse. La sueur dort dans l'orgueil des vêtements. Crac. Les gri-gris du toucher captif et le mois égorgé en larmes. Crac. Les os et les baisers de la pudeur d'enfance et les saignements du rêve sur le lit terrifié. Dans l'aisselle la plus craintive le désir coquille immature. Crac crac. Tu entends ? La nuit les morts se coupent les ongles. Des petits bouts d'ongle barques terribles flottent sur le dos dans le coma et la végétation du sang.






radius et cubitus


Je serre l'encre sainte et mes cheveux allumés. Car le cœur terrifié s'est changé en eau. Océan de terre sur l'œil farouche et le corps qui a pensé. Que je ne dois pas occuper ce terrain et l'âme s'ouvrant petite boîte se regarde au front et s'admire. Etudier les saints cultiver les morts dur labeur et me voilà fumant de honte. Chère encre sainte je suis une âme aussi noire que toi je taille ma prière debout.


(L'encre sainte)






Ce visage est peut-être moi. Je le vois. Je ne décide pas. Ne l'habite pas. Encore lui. Le crâne mou. Le front d'écaille molle. Seules les orbites me sont familières. Les deux lacs de la vie. Elles au moins sont à moi et aussi toute humeur en mon corps. Qu'ils sont soudains les yeux dans un visage. La vie, rien que de l'eau. Quelle vie soudaine mes deux yeux dans un visage vide. Tout respire alentour avec une vitesse rouge. Sur les murs au plafond pousse une eau frisée. Les plantes n'arrivent pas à pousser. N'arrivent pas à suivre cette eau verte. Que l'eau est vive à bâtir ! Elle soutient son innocence et dit : Chassons la pesanteur et libérons les choses. Je vais innocenter les choses de cette injuste destinée. Que toutes elles volent ! s'écrie l'eau. Et moi je dis : Prenez-moi mes yeux ! Je ne peux me faire à mes yeux. Qui mettent ma vie au grand jour. Et que les yeux de tous les autres brûlent aussi. Si le monde ne peut se changer en œil immense. Si je ne peux devenir œil et eau.






But du sommeil peut-être


Eh bien ! qu'ils me soient rendus. Ici dans ma chambre vide. Qu'ils me soient rendus à l'instant. Débris de verre. Cristaux de matin amour des lèvres. Quelques sistres de mémoire. Quelques vêtements vides.


Qu'on me les rende. Car cela seul suffit.


Que l'image suivante apparaisse : face à ton corps deux panthères pensives. Poudre de lumière hors de la bouche noire. Ou un détail perdu d'un geste de toi. À peine apparent dans l'air à la craie dessiné.






Diapason céleste


Brisant les carreaux le jardin est entré. Sans bruit éclats de verre mou. Seul vêtement de ton corps le vent. Un ciel docile, chose étrange. Et l'on ne risquait rien pour l'instant. Nous avons joint nos tempes et très haut dans le dôme de l'eau. On voyait la verdure glisser. Le plafond des yeux s'éparpillait. Palpitation légère. Des feuilles descendaient vivantes lentement. Miel troué de lumière. Aux bouts mouillés de nos seins.


(La bouche voleuse)






Un poème réussi


Si tu écris un poème réussi

cela ne veut pas forcément dire

que tu es au-dessus

des autres.


Et si

tu l'écris ce poème réussi

cela ne veut pas non plus toujours dire

que tu es un as.


Les as les vrais

c'est les artificiers

les croque-morts

les acrobates.


Si tu écris un poème réussi

cela veut dire une chose :


Tu soignes une dent cariée.


Autrement dit

tu prends une matière dure

pour boucher le vide

qu'envahit la douleur.


(Dangereux enfants)






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Costis Guimossoùlis, né en 1960, s'est affirmé très jeune, dans la lignée post-post-surréaliste, via son aîné Kondos, dans un grand jaillissement d'images folles. Il a publié en dix ans La fièvre bûcheron (1983), L'encre sainte (1983), La bouche voleuse (1986) et Dangereux enfants (1992), avant de quitter la poésie pour le roman.


Costis Guimossoùlis
Costis Guimossoùlis

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