Chrìstos LÀSKARIS



Van Gogh


J'aime les fous,

ils parlent à la lune,


tandis que nous dormons

ils se taillent les veines


ou l'oreille tendrement

pour l'offrir.






Elle est là


Elle est là,

comme un fruit mûr allongée

la gorge nue

la poitrine un jet d'eau


et toi

penché sur elle

comme sur un gouffre


tu veux boire

et sombrer.






Chacun dans sa tombe


Dans sa tombe chacun

descend seul.


Malheur à qui

mal préparé


sent sur lui

la première pelletée.






Brève biographie


J'ai fait usage des mots

en préférant les plus obscurs.


Avec eux j'ai œuvré,

avec eux et une peur —


Le mot Mort

qui m'a servi souvent

me semblait être

le seul vrai.






À la librairie


Feuilletant la réédition

des nouvelles de Vizyinos,

jeune homme au blouson de cuir,

tu ne sais pas ce que tu feuillettes.


Je te vois qui les déposes

avec la même aisance

qu'en les prenant.






Je rentrais


C'était une soirée douce

et je rentrais.

La rue à demi dans l'ombre,

les pas sourds et profonds.

Au loin, des aboiements.


Poussé par la nostalgie,

je rentrais

je rentrais sans cesse

vers ce qui

ne voulait pas revivre.






Le mensonge


Je me sentais avancer,

arriver quelque part bientôt.


Ce mensonge

a duré toute une vie.






Dans ces pièces-là


Dans ces pièces-là

tu finiras tes jours :

rangeant la bibliothèque

faisant du café dans la cuisine

ou farfouillant dans une armoire.

Assis au bord du lit

un gilet sur les épaules,

tu nettoieras tes lunettes

ou écouteras sur ton transistor

le sermon du dimanche.






Fillette face au miroir


Le silence du miroir lui fait peur :


avec une telle beauté en lui

rester à ce point pensif !


Il a dû voir quelque chose.






Art poétique


Voyons ce que fait l'arbre

quand vient la floraison.

Règle :

il ne garde jamais

toutes ses fleurs


mais les jette en abondance.






Le supermarché


Dans ce supermarché immense,

contre quoi se brisent

tous les rêves,

là,

dans les allées solitaires

tu me trouveras


errant avec mon chariot.






Fin des émissions


Il continue de vivre


comme

après la fin des émissions

la télévision


qu'on a oublié d'éteindre.






*


En 2006, Patras étant la capitale culturelle de l'Europe, on me commanda une anthologie des poètes de la ville. Je m'exécutai, mais si je me souviens bien, l'éditeur se contenta d'empocher les sous de l'Europe et ne diffusa pas l'ouvrage. Il y avait là pourtant de fort estimables poètes, même si manquait, pour des raisons obscures que j'ai oubliées, le plus remarquable d'entre eux : Chrìstos Làskaris. Né en 1931, mort en 2008, il est resté une gloire locale, en raison surtout du caractère discret de sa poésie. On parle à son propos de poésie de chambre, de photographie en noir et blanc — où dominerait le gris. Ses poèmes, nombreux mais brefs, disent l'ennui du quotidien, la peur de vivre, la nostalgie du passé, la mélancolie de vieillir, à mi-voix mais avec une grande force allusive. Làskaris mériterait d'être mieux connu.


Chrìstos Làskaris
Chrìstos Làskaris

*  *  *