Van Gogh
J'aime les fous,
ils parlent à la lune,
tandis que nous dormons
ils se taillent les veines
ou l'oreille tendrement
pour l'offrir.
Elle est là
Elle est là,
comme un fruit mûr allongée
la gorge nue
la poitrine un jet d'eau
et toi
penché sur elle
comme sur un gouffre
tu veux boire
et sombrer.
Chacun dans sa tombe
Dans sa tombe chacun
descend seul.
Malheur à qui
mal préparé
sent sur lui
la première pelletée.
Brève biographie
J'ai fait usage des mots
en préférant les plus obscurs.
Avec eux j'ai œuvré,
avec eux et une peur —
Le mot Mort
qui m'a servi souvent
me semblait être
le seul vrai.
À la librairie
Feuilletant la réédition
des nouvelles de Vizyinos,
jeune homme au blouson de cuir,
tu ne sais pas ce que tu feuillettes.
Je te vois qui les déposes
avec la même aisance
qu'en les prenant.
Je rentrais
C'était une soirée douce
et je rentrais.
La rue à demi dans l'ombre,
les pas sourds et profonds.
Au loin, des aboiements.
Poussé par la nostalgie,
je rentrais
je rentrais sans cesse
vers ce qui
ne voulait pas revivre.
Le mensonge
Je me sentais avancer,
arriver quelque part bientôt.
Ce mensonge
a duré toute une vie.
Dans ces pièces-là
Dans ces pièces-là
tu finiras tes jours :
rangeant la bibliothèque
faisant du café dans la cuisine
ou farfouillant dans une armoire.
Assis au bord du lit
un gilet sur les épaules,
tu nettoieras tes lunettes
ou écouteras sur ton transistor
le sermon du dimanche.
Fillette face au miroir
Le silence du miroir lui fait peur :
avec une telle beauté en lui
rester à ce point pensif !
Il a dû voir quelque chose.
Art poétique
Voyons ce que fait l'arbre
quand vient la floraison.
Règle :
il ne garde jamais
toutes ses fleurs
mais les jette en abondance.
Le supermarché
Dans ce supermarché immense,
contre quoi se brisent
tous les rêves,
là,
dans les allées solitaires
tu me trouveras
errant avec mon chariot.
Fin des émissions
Il continue de vivre
comme
après la fin des émissions
la télévision
qu'on a oublié d'éteindre.
En 2006, Patras étant la capitale culturelle de l'Europe, on me commanda une anthologie des poètes de la ville. Je m'exécutai, mais si je me souviens bien, l'éditeur se contenta d'empocher les sous de l'Europe et ne diffusa pas l'ouvrage. Il y avait là pourtant de fort estimables poètes, même si manquait, pour des raisons obscures que j'ai oubliées, le plus remarquable d'entre eux : Chrìstos Làskaris. Né en 1931, mort en 2008, il est resté une gloire locale, en raison surtout du caractère discret de sa poésie. On parle à son propos de poésie de chambre, de photographie en noir et blanc — où dominerait le gris. Ses poèmes, nombreux mais brefs, disent l'ennui du quotidien, la peur de vivre, la nostalgie du passé, la mélancolie de vieillir, à mi-voix mais avec une grande force allusive. Làskaris mériterait d'être mieux connu.
Chrìstos Làskaris |