Alors viens tant qu'on entend la musique
avec le soleil flambant, la lune claire
dans le tapis blanc d'un nuage.
Mes mots : des poulains — piétinement
dans le sang morsure au cœur. Prends garde
qu'on n'entende les avalanches en forêt
que les fauves ne franchissent les frontières —
les mots figés un clou dans l'œil
dans la langue baignée d'eau qui tournait
tel un moulin de rivière.
Mains liées, les chevaux ont peur
leurs yeux terrifiés s'écarquillent —
alors viens tant qu'on entend la musique
et les oiseaux qui chuchotent au crépuscule
dans les stalles du sommeil.
La maison était peinte en blanc, en indigo de mer profonde
(le noir m'effraie quand je reviens de loin).
Sur la forêt décapitée le coup de hache du loup, sur le verre
de la source le visage nouveau de l'incendiaire, le soleil
fond comme la cire au tranchant du couteau —
triple soleil. Le jour fronce les sourcils, la lune
s'ourle de noirs nuages, le piétinement ralentit.
Le cheval est arrivé boîtant et l'âme du cavalier
s'épuise alors que le torrent expire
dans un lac séparé de tout.
(Les anonymes)
Sur les routes
Sur les routes les morts ne me reconnaissent pas
me dépassent indifférents notant la pâleur du visage
la sécheresse du paysage, les mouches noires
sur l'eau de la source.
Là aux ravins de pierre la demi-vie
et la carcasse de char d'assaut excuse du versant
jouent jusqu'au soir. Casque et volant connus
comme la banque et ses employés de la nuit
sortant d'un trou dans la lumière chaque matin.
Toi tu dois être belle.
Compagnie
Les eaux rentrent quand la nuit tombe
le vent les routes, parfaits — à la maison. Le chien
prend son poste. L'entaille blanche de la Voie Lactée
au ciel. C'est l'heure de bien veiller sur le rêve
l'empêcher de s'enrhumer, de compter encore les clairières.
...Parfois
quelle coïncidence ! Tenez là-bas
le chêne dans la clairière. Les feuilles
du chêne et les rameaux
et le vent l'ombre le chant funèbre la mère —
que personne ne dise, personne, qu'il est seul.
(Chevaux sur l'hippodrome)
comme la nuit comme le jour la vie toujours s'en va
Cendre d'hiver et cendre de figuier encore
serpents lovés dans le silence et les ours du rêve qui bâillent
le sang des innocents comment parlera-t-il essences des choses muettes
déjà des âmes légères s'éveillent les oiseaux allument la lumière au briquet
le jour s'ouvre et la couleur change de cadence
drapeau blanc de la nuit la lune s'est rendue
dans le ciel un dernier coup de feu, hé le merle, debout
réveillez-vous les rats, morceaux de nuit là aussi
les chants du vagabond dans le vent rôdent un cyprès noir se lève avec le jour
sur la route au matin chante un petit oiseau poitrine qui palpite
do ré mi jasmin ami
et à la fenêtre la voix qui attend — parle-moi !
Le lait de la lumière a coulé dans l'ombre
la lumière est posée, marche donc.
Routes du sommeil routes du rêve routes de l'aube
je marche dans le sang et dans mon cœur
car tu ne sais rien sur moi tu ne me dis rien
la nuit tu dors au loin le jour je ne te vois pas
qui es-tu buisson de la route
qui es-tu étoile d'or dans le coin
arbre quel est ton nom ?
Tu pourrais, solitude, aimer toute fleur de rencontre
mais vaines sont les paroles du feu
là où rien n'est écrit aucun
bateau sur l'eau et tout
ce qui vole tourbillonnant dans la tempête en forêt
flamme des fleurs amoureuse tu as péri
dans un ballet qui plane et que nul ne voit
dans ces paysages tu bégaies mémoire du siècle
amante empoisonnée feuille dans la boue je meurs — parle-moi !
Chaud encore le poison aux lèvres
tu racontais, ne t'en va pas, n'arrête pas d'arriver
rêve d'oubli qui demeure
mémoire indéfectible et levain qui gonfle comme un sein
et voici le sein tourne et sans fin les caresses et le lait
(Les fantômes de la liberté)
Une fleur terrifiée se taisait, battement d'ailes d'oiseaux
au bord du toit, fermé une heure avant qu'un fleuve nocturne
inonde montagnes arbres maisons et les hommes
un chat cette bête du diable
criait maman montrant l'abricotier
et dans les branches qui caressaient la fenêtre — une panthère
une panthère sans pitié !
elle n'a même pas demandé comment s'était trouvée là et pas ailleurs
tel un soleil tonnant derrière les crêtes — une panthère noire !
elle ignorait le danger en chien fidèle aboyant partout et l'autre
léchant nos mains attendait — par ses cris éloignant le danger
elle a barricadé portes et fenêtres silence éternel car le père
était absent une fois de plus tuant les colombes rouge verdure depuis.
(Le mouchoir noir)
Après le séisme les églises les psalmodies dans les décombres et les banques sont florissantes à l'aube la ville remue avec ses vitrines ensuite l'appel factice les jeans qui se délavent mais l'heure n'oublie pas congestion fréquente une ruche partout des courses fatigue aux pieds aux mains pas d'ailes au cœur le sang qu'on entretient comme sur les murs le sang très ancien — la pluie faisait de la boue à l'œil nu aucune trace de mémoire armée morte les pins sont encore là sur la grande place dans la longueur Saint Dimìtrios à angle droit Venizèlos eh bien dans un kiosque au Palais de Justice j'ai rencontré Hàris mort il y a des années tant d'années et pourtant coupable de l'amour va-nu-pieds du néon la grande épée dans la poitrine oiseau tout blanc parfois dans l'infini néant opiniâtre il croasse.
(À l'ombre de la terre)
La berceuse de la vierge
C'est là que les paysans pieux embrassaient les saintes icônes
au front au cœur à la main qui bénit
demande à l'un des oiseaux qu'il te réponde
si le deuil les devance où s'ils connaissent déjà leur mort
si l'on verra leur nom entre parenthèses et au bas de la croix
aboiements jour et nuit sur l'autre rive des oubliés chantent dans l'oubli
les poissons aveugles dans l'eau où est la joie folle de leurs nageoires
rêves souterrains gémissants (mais toi dis que je suis mort ou que je n'existe pas)
avant temps magique des cerises papillons blancs à l'entrée
de l'hiver la vie semble peu de chose la mort énorme et obscure
comme un souvenir du chien et les os qui reviennent
quand le jasmin tôt le matin par le grillon qu'on oublie est fauché
(tu n'es jamais venu quand il faut l'eau me grondait en passant)
rythme de nostalgie poulains et lait blanc de jument aux pâturages
dans les usines du sommeil noms déchirés hommes incultes — brisés.
Ainsi scintillaient les vagues oubliant l'abîme
et les fers chauds fondants leurs larmes
les seins les lèvres et l'âme silencieuse en suspens
écarta le mal que vienne le vœu la berceuse bourdonnement immatériel
— Je t'en prie dis du bien aussi de notre famille.
(Saluts)
Né en 1935, Màrkos Mèskos a grandi et vécu en Grèce du Nord.
Obsédée par l'enfance et la nature, ancrée dans la tradition et en même temps ouverte à la nouveauté, sa poésie s'est élargie peu à peu, brassant tout le réel (ville et campagne, douleur et joie) en un lyrisme tourbillonnant d'images.
Il a publié dix-sept recueils ainsi que des livres de proses.
Les poèmes ici présents ont été publiés dans l'Anthologie de la poésie grecque contemporaine (Poésie/Gallimard).
Màrkos Mèskos |