Màrkos MÈSKOS



I


Alors viens tant qu'on entend la musique

avec le soleil flambant, la lune claire

dans le tapis blanc d'un nuage.


Mes mots : des poulains — piétinement

dans le sang morsure au cœur. Prends garde

qu'on n'entende les avalanches en forêt

que les fauves ne franchissent les frontières —

les mots figés un clou dans l'œil

dans la langue baignée d'eau qui tournait

tel un moulin de rivière.


Mains liées, les chevaux ont peur

leurs yeux terrifiés s'écarquillent —

alors viens tant qu'on entend la musique

et les oiseaux qui chuchotent au crépuscule

dans les stalles du sommeil.



VII


La maison était peinte en blanc, en indigo de mer profonde

(le noir m'effraie quand je reviens de loin).


Sur la forêt décapitée le coup de hache du loup, sur le verre

de la source le visage nouveau de l'incendiaire, le soleil

fond comme la cire au tranchant du couteau —

triple soleil. Le jour fronce les sourcils, la lune

s'ourle de noirs nuages, le piétinement ralentit.


Le cheval est arrivé boîtant et l'âme du cavalier

s'épuise alors que le torrent expire

dans un lac séparé de tout.


(Les anonymes)






Sur les routes


Sur les routes les morts ne me reconnaissent pas

me dépassent indifférents notant la pâleur du visage

la sécheresse du paysage, les mouches noires

sur l'eau de la source.


Là aux ravins de pierre la demi-vie

et la carcasse de char d'assaut excuse du versant

jouent jusqu'au soir. Casque et volant connus

comme la banque et ses employés de la nuit

sortant d'un trou dans la lumière chaque matin.


Toi tu dois être belle.




Compagnie


Les eaux rentrent quand la nuit tombe

le vent les routes, parfaits — à la maison. Le chien

prend son poste. L'entaille blanche de la Voie Lactée

au ciel. C'est l'heure de bien veiller sur le rêve

l'empêcher de s'enrhumer, de compter encore les clairières.


...Parfois

quelle coïncidence ! Tenez là-bas

le chêne dans la clairière. Les feuilles

du chêne et les rameaux

et le vent l'ombre le chant funèbre la mère —

que personne ne dise, personne, qu'il est seul.


(Chevaux sur l'hippodrome)






comme la nuit comme le jour la vie toujours s'en va


Cendre d'hiver et cendre de figuier encore

serpents lovés dans le silence et les ours du rêve qui bâillent

le sang des innocents comment parlera-t-il essences des choses muettes

déjà des âmes légères s'éveillent les oiseaux allument la lumière au briquet


le jour s'ouvre et la couleur change de cadence

drapeau blanc de la nuit la lune s'est rendue

dans le ciel un dernier coup de feu, hé le merle, debout

réveillez-vous les rats, morceaux de nuit là aussi

les chants du vagabond dans le vent rôdent un cyprès noir se lève avec le jour

sur la route au matin chante un petit oiseau poitrine qui palpite

do ré mi jasmin ami

et à la fenêtre la voix qui attend — parle-moi !


Le lait de la lumière a coulé dans l'ombre

la lumière est posée, marche donc.


Routes du sommeil routes du rêve routes de l'aube

je marche dans le sang et dans mon cœur

car tu ne sais rien sur moi tu ne me dis rien

la nuit tu dors au loin le jour je ne te vois pas


qui es-tu buisson de la route

qui es-tu étoile d'or dans le coin

arbre quel est ton nom ?


Tu pourrais, solitude, aimer toute fleur de rencontre

mais vaines sont les paroles du feu

là où rien n'est écrit aucun

bateau sur l'eau et tout

ce qui vole tourbillonnant dans la tempête en forêt


flamme des fleurs amoureuse tu as péri

dans un ballet qui plane et que nul ne voit


dans ces paysages tu bégaies mémoire du siècle

amante empoisonnée feuille dans la boue je meurs — parle-moi !


Chaud encore le poison aux lèvres

tu racontais, ne t'en va pas, n'arrête pas d'arriver

rêve d'oubli qui demeure

mémoire indéfectible et levain qui gonfle comme un sein

et voici le sein tourne et sans fin les caresses et le lait


(Les fantômes de la liberté)






I


Une fleur terrifiée se taisait, battement d'ailes d'oiseaux

au bord du toit, fermé une heure avant qu'un fleuve nocturne

inonde montagnes arbres maisons et les hommes


un chat cette bête du diable

criait maman montrant l'abricotier

et dans les branches qui caressaient la fenêtre — une panthère

une panthère sans pitié !


elle n'a même pas demandé comment s'était trouvée là et pas ailleurs

tel un soleil tonnant derrière les crêtes — une panthère noire !


elle ignorait le danger en chien fidèle aboyant partout et l'autre

léchant nos mains attendait — par ses cris éloignant le danger

elle a barricadé portes et fenêtres silence éternel car le père

était absent une fois de plus tuant les colombes rouge verdure depuis.


(Le mouchoir noir)






VIII


Après le séisme les églises les psalmodies dans les décombres et les banques sont florissantes à l'aube la ville remue avec ses vitrines ensuite l'appel factice les jeans qui se délavent mais l'heure n'oublie pas congestion fréquente une ruche partout des courses fatigue aux pieds aux mains pas d'ailes au cœur le sang qu'on entretient comme sur les murs le sang très ancien — la pluie faisait de la boue à l'œil nu aucune trace de mémoire armée morte les pins sont encore là sur la grande place dans la longueur Saint Dimìtrios à angle droit Venizèlos eh bien dans un kiosque au Palais de Justice j'ai rencontré Hàris mort il y a des années tant d'années et pourtant coupable de l'amour va-nu-pieds du néon la grande épée dans la poitrine oiseau tout blanc parfois dans l'infini néant opiniâtre il croasse.


(À l'ombre de la terre)






La berceuse de la vierge


C'est là que les paysans pieux embrassaient les saintes icônes

au front au cœur à la main qui bénit

demande à l'un des oiseaux qu'il te réponde

si le deuil les devance où s'ils connaissent déjà leur mort

si l'on verra leur nom entre parenthèses et au bas de la croix


aboiements jour et nuit sur l'autre rive des oubliés chantent dans l'oubli

les poissons aveugles dans l'eau où est la joie folle de leurs nageoires

rêves souterrains gémissants (mais toi dis que je suis mort ou que je n'existe pas)

avant temps magique des cerises papillons blancs à l'entrée

de l'hiver la vie semble peu de chose la mort énorme et obscure


comme un souvenir du chien et les os qui reviennent

quand le jasmin tôt le matin par le grillon qu'on oublie est fauché

(tu n'es jamais venu quand il faut l'eau me grondait en passant)

rythme de nostalgie poulains et lait blanc de jument aux pâturages

dans les usines du sommeil noms déchirés hommes incultes — brisés.


Ainsi scintillaient les vagues oubliant l'abîme

et les fers chauds fondants leurs larmes

les seins les lèvres et l'âme silencieuse en suspens

écarta le mal que vienne le vœu la berceuse bourdonnement immatériel

— Je t'en prie dis du bien aussi de notre famille.

(Saluts)



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Né en 1935, Màrkos Mèskos a grandi et vécu en Grèce du Nord.

Obsédée par l'enfance et la nature, ancrée dans la tradition et en même temps ouverte à la nouveauté, sa poésie s'est élargie peu à peu, brassant tout le réel (ville et campagne, douleur et joie) en un lyrisme tourbillonnant d'images.

Il a publié dix-sept recueils ainsi que des livres de proses.

Les poèmes ici présents ont été publiés dans l'Anthologie de la poésie grecque contemporaine (Poésie/Gallimard).



Màrkos Mèskos
Màrkos Mèskos

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