OÙ L'ON CROQUE LE PROF
Dessiner le prof pendant les cours ? Plus qu'un passe-temps, qu'un banal remède à l'ennui, c'est une tradition, un rite, un art. J'ai un profond respect pour ces artistes méconnus qui travaillent dans la hâte et le secret, gênés par des bruits parasites, à des œuvres sans cesse menacées de confiscation, de destruction.
En près de quarante ans j'ai dû être croqué des centaines de fois. La collection que voici ne représente que les débris flottants d'une Atlantide obscure. Pourquoi la moisson est-elle si maigre — en termes de quantité ? Je n'ai pourtant jamais persécuté mes portraitistes, au contraire : même si ma modestie m'empêchait de les inciter ouvertement, j'ai toujours accueilli leurs œuvres, quand je les repérais, par des compliments souvent sincères, et sollicité le don de l'original comme une faveur.
Ce qui m'intrigue surtout, c'est l'absence de documents pendant mes vingt premières années d'exercice : étais-je alors moins obsessionnel dans mes collections, ou peut-être moins chaleureux dans l'accueil que dans mon souvenir aujourd'hui ?
J'apparais donc à l'âge de quarante-cinq ans, doté d'un corps d'athlète, lequel, il faut l'avouer, tient largement du fantasme.
Anonyme, 1993. |
Avant de laisser voir l'image suivante, je dois préciser trois choses.
D'abord, l'auteur est un garçon (oublié son nom, hélas).
Ensuite, le dessin n'a pas été exécuté d'après nature. J'affirme solennellement qu'en dépit des apparences, je ne me suis jamais dévêtu, fût-ce partiellement, dans mes classes. (Juste enlevé mes chaussures, parfois, pour montrer de jolies chaussettes et/ou un sentiment de bien-être.)
Enfin, s'il m'est arrivé de fumer l'herbe qui rend nigaud — comme tout le monde, y compris les pères- et mères-la-pudeur qui font les lois, y compris les hommes en bleu qui font mine de les appliquer — ce fut avec modération (trois fois dans ma vie je crois), sans résultats spectaculaires et jamais devant les brebis innocentes qui eurent toujours en moi un très vertueux berger.
Anonyme, 1993. |
La star de cette glorieuse phalange d'artistes, c'est sans conteste celle que j'ai appelée Philippine Wong dans mes Transports solitaires et qui apparaît sur ce site, dans MES ÉCOLES, sous son vrai nom : Fei-Bi. C'est à elle que je dois mes avatars les plus mirobolants. On trouvera dans "La bande à Fei-Bi" (cf. ÉDUQUONS) le récit de ces deux années folles ainsi qu'une autre image du prof en gourou, proche de celle-ci :
Fei-Bi, 1996. |
S'il est vrai que Racine peint les hommes tels qu'ils sont, et Corneille les mêmes tels qu'ils devraient être, alors Fei-Bi est à la fois le Racine et le Corneille du crobard lycéen. Me voilà donc tel que j'étais alors, puis tel que je fus rêvé.
Fei-Bi... |
...1996. |
La même Fei-Bi m'offrit un jour plusieurs images des vacances, hélas imaginaires, que nous passâmes ensemble sous les cocotiers, elle, ses copines et moi.
Fei-Bi, 1996. |
Dans les PAGES D'ÉCRITURE, du n°13 au n°24, les admirateurs de l'artiste pourront se recueillir devant ses signes du zodiaque, dont voici le plus étonnant. Me voir en gourou, en superman, passe encore ; mais en sirène, ça je n'aurais jamais cru...
Fei-Bi, 1997. |
Je quitte le lycée de Brimeil pour celui de Chèvres. Adieu, visions glorieuses. Ce qu'on verra désormais, c'est le prof tel qu'il devient, vieillissant, binoclard, la décrépitude juste un peu atténuée par le crayon, dont le noir peine à rendre la nouvelle neige sur ma tête, et tout ce sel qui peu à peu ronge ma barbe. Merci charitable Charlotte.
Charlotte, 2008. |
Et merci Achille, grâce à qui j'apparais sur l'un de mes textes de terminale favoris : On the road (Sur la route) de Jack Kerouac.
Achille, 2002. |
Progrès de la technologie : celui-là, fruit d'un habile photoshoppage, merci Sébastien, me parvient par voie électronique.
Sébastien, 2004. |
Ces chers petits profitent de l'occasion, merci Mathieu, pour me donner de judicieux conseils.
Mathieu, 2007. |
Non, ceci n'est pas une auréole, et non, je ne me prends pas pour le Saint-Esprit : le troisième personne en question (cf. "Gestes" dans ÉDUQUONS), c'est celle du singulier au présent, qui en anglais prend un s — ce que rappelaient, à chaque omission, mes trois doigts furieusement dressés. And so the story ends...
Thank you Johan, thank you everybody, thank you so much.
Johan, 2007. |