SUPPLICES


Aujourd'hui, quarante ans après, il n'y a plus de profs terrifiants, ou presque plus, et les fantastiques chahuts d'antan, eux surtout, ne sont guère qu'un souvenir. Les deux phénomènes étaient liés : le Chahuté était l'ombre, le revers du Croquemitaine. Les élèves d'autrefois se défoulaient sur le faible de ce que le fort leur faisait subir. Soumis à la pression dans certains cours, ils lâchaient toute la vapeur dans d'autres. On passait d'un silence de mort à un vacarme assassin. Aujourd'hui, c'est le règne du bruit de fond : dans la plupart des cours, petits bavardages continus. La haine et la peur sont en chute libre. On va vers plus de démocratie. Certains le regrettent, bien sûr.

Et les violences physiques, dira-t-on, dont on parle dans la presse ? Bien plus rares que ne le souhaiterait TF1, et très éloignées des excès d'antan. Nos chahuts, rarement fins, souvent cruels, gardaient cependant une dimension ludique, rituelle, sociale.

Je n'oserai pas en faire l'apologie, mais je me dois de dire que jamais, pendant mes études, je n'ai vu un bon prof bordélisé. Ceux qui le furent n'étaient pas (ou pas encore, ou plus) à la hauteur. Ce qui m'étonne, c'est que les deux plus beaux spécimens de victimes que je repêche dans ma mémoire n'enseignaient pas des matières vulnérables, comme la musique ou le dessin, dont la plupart des élèves n'ont que faire, mais une où d'habitude on se tient à carreau : le français.

Tout avait si bien commencé pour moi ! En sixième et cinquième, deux excellents pédagogues fidèles aux traditions : Mme Gastoldi, M. Pinson. En quatrième et troisième, deux fins lettrés à l'esprit ouvert : M. Demerson, futur spécialiste de Rabelais, et Mme Kaloudjian. Mais au début de la seconde, Casnoy nous ostracisant, nous devenons une classe nouvelle à qui l'on doit trouver des profs en catastrophe.

La catastrophe, ce sera le français : on n'a pas trouvé mieux qu'un pion du lycée, titulaire d'une simple licence, qui n'a jamais enseigné. Le malheureux jeune homme, submergé, patauge avec pour seule bouée l'insipide Lagarde et Michard. Rendus exigeants par ses prédécesseurs, nous cessons bientôt de l'écouter. Les cours sombrent dans un foutoir indescriptible. Conversations, ricanements, cris d'animaux volent en tous sens au-dessus de la tête de l'effaré...

Quand j'y repense, je ne suis pas très fier de nous. D'autant que la plaisanterie, vu l'origine tunisienne de la victime, prit parfois, je le crains, un tour vaguement raciste.

L'infortuné avait pour seul répit les contrôles, appelés alors «compositions», qu'il surveillait d'un œil distrait tandis que l'autre s'évadait par la fenêtre ; ses doigts pianotaient rêveusement jusqu'à douze : l'étudiant écrivait des vers ! La grande caserne froide se changeait pour lui en antre douillet des Muses...

Il eut un autre instant de rémission, tout à la fin de l'année, et ce souvenir me fait rougir de honte. C'est une belle après-midi de juin, et par extraordinaire ces petits cornards, comme il nous appelle, ne font pas les zouaves. Pas très coopératifs, d'accord, mais au moins le bruit s'est calmé. Je m'améliore, se dit le pauvre diable, je commence à savoir les prendre, c'est dans la poche... Et au même instant, un éclair, une explosion !

La salle donne sur la rue, nous avons laissé une fenêtre ouverte, et l'immonde Guibert, passant par là — il sèche les cours une fois de plus —, a projeté dans la classe un pétard géant.

Je n'avais pas été, certes, le bras qui lance, mais l'une des mains qui cotisent... Depuis, pour qu'Allah me pardonne, je suis gentil avec tout le Maghreb.


*


Ces horreurs n'étaient qu'un simple échauffement...



Pour lire la suite, il faut désormais acheter (20€), ou emprunter, ou se faire offrir, ou alors voler, l'ouvrage suivant paru aux éditions des Vanneaux :


Et ça coûte 20 € ! La peau des fesses !

C'est quoi ce titre ? Eden au singulier, alors que dans son bouquin il y a au moins trois petits paradis... Environs de l'Eden, alors que ça vire bientôt purgatoire... Et pourquoi les colle-t-il ensemble, ces textes disparates ? Oui, l'autobiographie... Souvenirs d'enfance, de lycée, de khâgne... Encore le «misérable petit tas de secrets», encore un cas de nombrilisme aigu... Pitié ! On veut des Grands Sujets, du costaud, du viril, genre magouilles, viols, meurtres, guerres, catastrophes ! Du planétaire ! Du spectaculaire ! Et non ces petites histoires de banlieue, d'enfance banale, à peu près heureuse et tranquille...

Il a mis un peu de sexe au moins ?


*


M'sieur, je vous dis merde !
Juste avant le chahut.

*  *  *