GROSSES COLÈRES
L'homme que je veux saluer ici ne fut ni mon prof, ni mon collègue, mais un peu des deux. Jean-Claude Bellangue, qui enseignait l'anglais au lycée Hoche de Versailles, recevait chaque année des stagiaires, dont je fus en 1970. À peine trentenaire, mais déjà bien rodé, il transmit à notre petit groupe un savoir-faire simple et robuste qui me sert encore aujourd'hui, par delà les innovations pédagogiques aux chatoiements éphémères.
Notre mentor était un homme posé, respecté des élèves, que je n'entendis jamais élever la voix. Un jour, il nous raconte qu'il a piqué une colère avec ses petites secondes. C'est très bien, ajouta-t-il. Je devrais le faire systématiquement avec chacune de mes classes, une ou deux fois par an. Ça réveille les mômes, ils travaillent mieux ensuite.
Tuyau intéressant, qui pourra servir à d'autres. Quant à moi je fuis la colère : elle me prive de mes moyens. Je deviens bégayeur, ridicule. Connaissant Bellangue, ses explosions étaient sûrement calibrées, contrôlées, des modèles du genre ; mais quand je fouille mes souvenirs d'élève, ces colères exemplaires sont rares. La plupart des mouvements d'humeur n'ont pas grandi leurs auteurs ni fait avancer le travail.
M. Mafolli, qui nous enseigna les maths pendant deux ans, personnage plutôt jovial, aimant à plaisanter, était parfois sujet — Nom d'un chien de chien de nom d'un chien ! (boum du poing sur la table) — à de brusques éclats qui balayaient d'un coup les bavardages. Il n'en abusait pas, ce brave homme. C'étaient là des orages qui nettoyaient le ciel, pour le bien de tous.
Ou presque tous.
Moi, je souffrais plus que les autres. Assis au premier rang près de la porte, voyant Mafolli de profil, j'apercevais la fine couche de cheveux blonds dont il masquait sa calvitie naissante ; or ce blond mousseux me rappelait, couleur et texture, la toison cachée de certaine fille, qu'un hasard merveilleux venait de me laisser zieuter. Déjà, dans les moments calmes, une association aussi violemment incongrue avait de quoi provoquer ma gêne ; mais lorsqu'au dos de l'antre du plaisir — horreur anatomique ! — une bouche paternelle crachait soudain ses foudres, le spectre de la Castration se dressait devant moi.
Dieu m'avait vu voir ! Il venait me punir !
Je finis par fuir, tout au fond de la classe, le Buisson ardent.
En colère comme partout, il y a les pros et les amateurs, les artistes et les nuls...
Pour lire la suite, il faut désormais acheter (20€), ou emprunter, ou se faire offrir, ou alors voler, l'ouvrage suivant paru aux éditions des Vanneaux :
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C'est quoi ce titre ? Eden au singulier, alors que dans son bouquin il y a au moins trois petits paradis... Environs de l'Eden, alors que ça vire bientôt purgatoire... Et pourquoi les colle-t-il ensemble, ces textes disparates ? Oui, l'autobiographie... Souvenirs d'enfance, de lycée, de khâgne... Encore le «misérable petit tas de secrets», encore un cas de nombrilisme aigu... Pitié ! On veut des Grands Sujets, du costaud, du viril, genre magouilles, viols, meurtres, guerres, catastrophes ! Du planétaire ! Du spectaculaire ! Et non ces petites histoires de banlieue, d'enfance banale, à peu près heureuse et tranquille...
Il a mis un peu de sexe au moins ?
Dessin d'André Franquin |