BRÈVES
N°261 Juillet 2025
Qui dit juin à Paris, dit Marché de la poésie. Le Miel des anges y était, hébergé comme l'an dernier par la librairie Tschann, merci chers amis. Comme l'an dernier, j'ai tenu à rester présent tout au long des cinq jours. La chaleur, à certaines heures, changeait Saint-Sulpice en saint supplice, et l'on trouve parfois le temps long en attendant le chaland, mais quand il arrive enfin on croit voir l'oasis dans le désert.
J'aime faire le camelot, même quand mon boniment échoue à déclencher l'achat. Aux ventes, moins mirobolantes que l'an dernier mais pas déshonorantes non plus, s'ajoutent les rencontres diverses, amis retrouvés, nouvelles connaissances, acheteurs présents ou futurs. Ils ont une bonne tête en général, tous ces amateurs de poésie qui défilent devant le stand et parfois s'arrêtent. Il y a même des jeunes !
Nos best sellers, cette fois-ci : Traduire en vers ? et (agréable surprise) Chanson ou poème ?, dont les paroles de chansons, jusqu'ici, n'ont pas trouvé beaucoup d'oreilles.
![]() Paris, fin juin. |
Cette année, pour la première fois, le Marché accueillait la remise du prix Nelly-Sachs, le seul prix de traduction poétique en langue française. Notre jury a été impressionné par le travail du décoiffant Pierre Vinclair sur les poèmes d'Emily Dickinson dans Vision composée, aux éditions Exopotamie (cf Brèves de juin 2024), mais le prix est allé à l'auteur d'un autre tour de force, Hoa Hôï Vuong, qui traduit pour Arfuyen l'œuvre poétique intégrale de Dylan Thomas. Seul paru pour l'instant, le premier des deux volumes — la partie la plus obscure de l'œuvre, la plus difficile sans doute — nous a frappés par la force, la vitalité, le souffle de la traduction, remarquablement précise par ailleurs.
Lisant à haute voix l'un des poèmes, Patrick Hersant pour l'anglais et le traducteur pour le français nous ont offert une fête sonore d'une rare intensité, pyrotechnique, l'une des plus belles lectures de poésie que j'aie jamais entendues.
Once below a time,
When my pinned-around-the-spirit
Cut-to-measure flesh bit,
Suit for a serial sum
On the first of each hardship,
My paid-for slaved-for own too late
In love torn breeches and blistered jacket
On the snapping rims of the ashpit,
In grottoes I worked with birds,
Spiked with a mastiff collar,
Tasselled in cellar and snipping shop
Or decked on a cloud swallower,
Then swift from a bursting sea with bottlecork boats
And out-of-perspective sailors,
In common clay clothes disguised as scales,
As a he-god's paddling water skirts,
I astounded the sitting tailors,
I set back the clock faced tailors,
Then, bushily swanked in bear wig and tails,
Hopping hot leaved and feathered
From the kangaroo foot of the earth,
From the chill, silent centre
Trailing the frost bitten cloth,
Up through the lubber crust of Wales
I rocketed to astonish
The flashing needle rock of squatters,
The criers of Shabby and Shorten,
The famous stitch droppers.
Il était outre fois
Une mienne-psyché-épinglée-au-vol
Dans son p'tit bout de chair coupé-sur-mesure,
Costard à payer terme après terme
À chaque début de galère
De ce moi acquis cher, sué dur, doté tard
D'un amour de culottes en loques et veste à cloques
Au bord même du fossé de cendre et que ça claque,
Dans des grottes où je trimais avec mes oiseaux,
Serré dans mon collier de mâtin à clous,
Mes glands tassés au cellier, dans l'échoppe à ciseaux,
Monté au bastingage de l'avaleur de nuages,
Jailli en trombe d'une mer où s'agitent
Bateaux de liège et mousses en perspective réduite,
Moi, vêtu d'argile commune imitation écailles,
Petit dieu barbotant autour des jupes de l'eau,
J'ébahis ces tailleurs accroupis,
Renversai les tailleurs à face d'horloge, et, oh
Que classe et buissonneux sous ma perruque d'ours et ma queue
à morue
J'ai, tout fourré de feuilles et de plumes,
Sauté hors de terre par sa patte de kangourou,
Hors de ce centre transi et coi
Qui traîne à mes basques mangées par les frimas,
Crevant donc la croûte balourde galloise,
Je fusai haut, haut à étourdir
Les rocs trapus maniant l'éclair aiguille,
Ceux de chez Gueux et Peu qui poussent de hauts cris,
Fameux entre tous pour leur rafistolage.
![]() Dylan Thomas, 1952 |
Encore la poésie, encore la traduction, avec 19 manières de regarder Wang Wei d'Eliot Weinberg, traduit par Lise Thiollier chez Ypsilon. Il y a trop à dire sur cet épatant petit livre : le Carnet du traducteur de ce mois lui est tout entier consacré. On ne trouvera ici que la v.o., ci-dessous, petit cadeau à nos lecteurs sinophones.
![]() La v.o. |
Poésie et traduction s'incrustent : mon ami Stratis Pascàlis, l'un des plus grands poètes grecs de sa génération et traducteur de haut vol, me demande parfois d'éclairer un passage obscur. Cet homme que rien n'intimide affronte en ce moment Britannicus de Racine, qu'il traduit en vers, naturellement. Délaissant le Marivaux inscrit à mon programme, je me replonge pour l'aider, mais pour mon bonheur surtout, soixante après, dans cette lecture d'adolescence.
J'avais alors l'âge de Britannicus, adolescent aimé de Junie, que l'empereur Néron convoite aussi au point de faire empoisonner son jeune rival. J'avais oublié le bref et terrible duel oratoire, quasi cornélien, entre les deux hommes :
— Rome ne porte point ses regards curieux
Jusque dans des secrets que je cache à ses yeux.
Imitez son respect.
— On sait ce qu'elle en pense.
— Elle se tait du moins : imitez son silence.
— Ainsi Néron commence à ne se plus forcer.
— Néron de vos discours commence à se lasser.
— Chacun devait bénir le bonheur de son règne.
— Heureux ou malheureux, il suffit qu'on me craigne.
J'avais oublié la mère de l'empereur, l'ambitieuse Agrippine, et le sinistre Narcisse, conseiller du tyran, j'avais oublié presque tout, mais Néron m'était resté. Racine trace de ce «monstre naissant», comme il dit, un portrait extraordinaire. J'avais appris par cœur jadis le fameux passage où il décrit avec délectation l'arrivée de Junie qu'il a fait arrêter, l'arrachant au sommeil :
J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler...
Cette fois je suis également frappé par la réflexion sur la tyrannie en général, qui parcourt toute la pièce.
Toujours la tyrannie a d'heureuses prémices,
mais bientôt ça se gâte :
Mais, si de vos flatteurs vous suivez la maxime,
Il vous faudra, seigneur, courir de crime en crime,
Soutenir vos rigueurs par d'autres cruautés,
Et laver dans le sang vos bras ensanglantés.
Britannicus mourant excitera le zèle
De ses amis, tout prêts à prendre sa querelle.
Ces vengeurs trouveront de nouveaux défenseurs,
Qui même après leur mort, auront des successeurs ;
Vous allumez un feu qui ne pourra s'éteindre.
Craint de tout l'univers, il vous faudra tout craindre,
Toujours punir, toujours trembler dans vos projets,
Et pour vos ennemis compter tous vos sujets.
Plus actuel que jamais, Britannicus.
Et plus que jamais éclatante, la beauté de la voix racinienne. Chaque fois que je me délecte en l'écoutant chanter en moi, je repense aux moqueries féroces de Dostoïevski, dans Le joueur, à l'égard de Racine. Les plus grands génies disent parfois les pires conneries...
![]() Robert Hirsch en Néron... |
Lucie Delarue-Mardrus... Ce nom est un souvenir d'enfance. Je l'entends encore prononcé par Mme Clocheau dictant un texte de la dame à notre classe de septième, comme on disait alors. (Oublié ce que ça racontait.)
J'apprends aujourd'hui que la dame en question n'a pas seulement écrit pour les écoliers. Elle mena longtemps une vie mondaine et trépidante, aima les femmes autant que les hommes, publia beaucoup, fit scandale, et Gallimard réédite opportunément l'un de ses soixante-dix romans, L'ange et les pervers, de 1930. Très tendance, le sujet, en effet : le/la protagoniste mène une double vie, car cet ange a deux sexes — ou aucun ? Malgré une vie sociale bien remplie, elle se sent coupée du monde ; elle n'aura jamais aimé personne ; elle traite la chair de «boucherie nauséeuse». Difficile de s'attacher à ce.tte pauvr.e êtr.e, et à ce roman tout entier : l'histoire sent un peu l'artifice, la satire de la bourgeoisie artiste de l'époque est un peu convenue, et certaines belles pages sont gâtées par des gracieusetés devenues indigestes :
Elle prit une cigarette, et redonna de l'âme à son intérieur vide en y répandant les zigzags de sa fumée, compagnie inconsistante, danse de génies aériens.
Retombée, ses épaules véhémentes secouaient le lit.
Mon cœur était sucé par la ventouse du désespoir.
![]() Quel beau regard... |
Joseph Périgot, lui aussi, a écrit pour l'enfance, et son nom éveille des souvenirs : il fut le co-créateur, et le directeur pendant un temps, de l'inoubliable collection Souris noire, la série noire pour les très jeunes, que je lus tous jadis le soir à mes enfants, dans les lointaines années 80.
Périgot n'a pas seulement charmé la jeunesse : l'un de ses grands succès reste Le bruit du fleuve, roman pour les grands, paru en 1991. Calmann-Lévy le réédite et cette fois on dit bravo sans réserve. On y retrouve les ingrédients d'un certain polar noir à la française : de l'action, de la violence mais pas trop, un ancrage dans le quotidien du pays et de l'époque, une attention aux marginaux, un mépris de la morale bourgeoise, avec en plus énormément de tendresse.
Le fleuve, c'est la Seine à Rouen, où le héros, chauffeur de taxi, plus très jeune et picoleur, file le parfait amour avec sa sœur (cancéreuse, hélas), recueille un bébé né dans son taxi puis la très jeune maman, récoltant du même coup un tas d'emmerdes. C'est coloré, verveux, chaleureux, voire poétique, l'auteur en fait peut-être un chouya trop parfois mais ne chipotons pas, cela fait partie du charme. Petit échantillon :
Une ville sans fleuve, c'est comme une femme sans nichons. L'Afrique sans éléphants. Chartres sans la cathédrale de Chartres. Moi sans toi.
L'autre jour, il est arrivé quelque chose. Quelque chose de beau : un petit couple de clients a osé faire ça sur la banquette arrière. Mon rétro transformé en télé. J'ai mis Vivaldi. Concerto pour mandoline et cris de souris. Allegro. J'ai grillé quelques feux, pour qu'ils aient le temps de finir.
Adieu maison, fleuve, jardin. Je porte le couffin. Thérèse me croche à droite, Pélina à gauche. Je suis un vieil arbre qui va crouler sous le poids de ses fruits. Ya pas à dire, la vie est lourde. C'est un poids qui fait du bien.
![]() Son autre grand succès. |
Retour à Paris, que ces Brèves arpentent depuis quelques mois. Cette fois le guide est Jean-Christophe Bailly, allons-y de confiance.
Paris quand même (La Fabrique) rassemble une quarantaine de brefs chapitres qui sont autant de promenades. L'auteur s'y montre historien, architecte, urbaniste et en même temps flâneur, rêveur, poète.
Il nous fait voir une ville qui change, dont l'évolution, le plus souvent, le remplit de colère, mais qui en même temps lutte pour conserver son âme, si bien qu'il continue de l'aimer quand même.
Désormais les atteintes portées à l'esprit de la ville prennent rarement la forme d'une agression caractérisée, tout se passant comme si le temps de la destruction pure et simple était révolu et qu'à sa place s'étaient peu à peu imposées des techniques d'effacement et de neutralisation qui, tout en respectant les formes, les séparent de la vérité qui les fonda. La galerie Véro-Dodat, dont non seulement la structure mais les ordonnancements sont intacts, me semble exemplaire de ce type de transformation par dévitalisation : tout est là, et même parfaitement restauré, entretenu, mais plus rien ne subsiste de ce qui permettait aux lieux eux-mêmes de se souvenir et de rêver, car simultanée est la privation de passé et celle de futur.
C'est ce qu'il appelle un peu plus loin, joliment, une «patrimonialisation gélifiante».
Il se montre justement féroce avec les Champs-Élysées,
ce duty free shop en plein air où défilent ébahis les abonnés de ce que le tourisme de masse a de plus consternant,
tout entier soumis
à la loi de l'argent et au fétichisme exacerbé de la marchandise.
Ce qui l'enchante, ou du moins le captive, ce sont les quartiers nouveaux, le grand nord de Paris.
Cet espace encore incertain, qui a l'air d'être en train d'apprendre à se connaître, est traversé, régulièrement, non par de purs et simples usagers comme le voudraient peut-être les prévisions comptables et les algorithmes, mais déjà par des passants, par conséquent par les descendants proches ou lointains de ces êtres dont Baudelaire célébrait l'existence. Cette «explosion lumineuse des êtres dans l'espace» qu'il évoquait dans Le peintre de la vie moderne, voilà qu'elle est là ou qu'elle est revenue, un peu timidement encore peut-être, sur ce bord où la ville, avec de nouveaux noms, recommence à s'écrire.
Malgré quelques lourdeurs, ce livre est l'un des plus stimulants qui soient sur le sujet.
Rien ou presque sur la banlieue,
immense puzzle dépareillé (...),
archipel d'insularités plus ou moins affirmées, formant autour de la ville une recharge permanente d'énergie dont elle se nourrit,
mais la banlieue, ce serait un autre livre à elle seule.
![]() Porte de la Chapelle. Le parc Charbon. |
La grande lecture du mois : Le maître de Ballantrae, de Robert Louis Stevenson. Moins connu que L'île au trésor et Docteur Jekyll et mister Hyde, ce roman associe la richesse en péripéties de l'un à la profondeur psychologique de l'autre et l'on estime souvent qu'il les dépasse tous les deux. Tantôt confinés dans un château d'Écosse, tantôt ballottés d'un continent à l'autre, nous assistons au combat entre deux frères ennemis, le bon et le méchant, sauf que cette fois c'est Abel qui va tuer Caïn — à supposer qu'on puisse le tuer.
Le méchant Caïn, c'est le Maître : l'un des personnages les plus extraordinaires qui soient. Cupide, cruel, brutal, retors, mais en même temps habile, imposant, brillant, enjôleur — repoussant et séduisant à parts égales. La beauté du diable incarnée.
C'est vous qui êtes un démon, s'écria son père. Vous avez toujours été mon préféré, bien que j'aie honte de l'avouer. Et jamais, depuis votre naissance, vous ne m'avez donné un instant de bonheur ; non, pas un seul instant de bonheur.
Trois fois on le croit mort, mais il réapparaît, éternel comme le Mal ; la troisième fois, il semble ressusciter, ce qui fait planer sur l'histoire une ombre de fantastique. Lorsque son frère, le bon Abel — plutôt terne, pas très attachant — tente de le tuer, on a du mal à y croire, mais ici l'invraisemblance est bienvenue, elle ne fait qu'accroître le mystère.
Bonheur supplémentaire : les éditions de l'Arbre vengeur, hautement recommandables, ont réédité Le maître de Ballantrae dans une traduction nouvelle, excellente semble-t-il (je n'ai pas l'anglais sous la main !), due à une certaine Geneviève Maljean dont j'ignore tout. Une débutante, vraiment ?
![]() Stevenson. |
Allons, détendons-nous, batifolons un brin avec Clémentine Mélois, plasticienne et écrivaine, membre de l'Oulipo — une référence ! Elle aussi écrit pour la jeunesse. Ayant beaucoup apprécié l'originalité et l'humour perecquiens de Sinon j'oublie (Brèves de septembre 2017) et Dehors la tempête (Brèves de novembre 2024), je poursuis avec son premier livre, Cent titres (Grasset), encore un machin joyeusement inclassable : une série de couvertures d'ouvrages connus, dont le titre a été calembourisé ou contrepétifié, exemples :
Hervé Bazin, Hyper au point
Albert Camus, Lexomil et le royaume
Blaise Cendrars, Morovagin
Fiodor Dostoïevski, Crème et chat qui ment
Francis Scott Fitzgerald, Tendre elle m'ennuie
Karl Marx, Et ça repart
Boris Viande, Légume des jours...
Léon Tolstoï, Père et gay
Somptueux, n'est- ce pas ? Tout n'atteint pas ce niveau, mais ne boudons pas notre plaisir. (Déplorons seulement que ne soit pas mentionné l'emprunt du clou du recueil, l'admirable Maudit bic de Herman Melville, à La disparition de Perec.) L'exercice étant contagieux, apportons notre petite contribution et ne craignons pas la gaudriole, que l'espiègle titreuse évite pudiquement, hélas :
Nabokov, Adada
Garcia Marquez, Cent ans de lassitude
Queneau, S'assit dans le métro
Pascal, Provinciales & Pincées
Dumas, Les trois moustiquaires & Vingt taons après
Proust, La poissonnière
Verne, 20000 merdes sous les lieux
Notatole French, L'île des Penguin
Apollinaire, À la colle
Racine, Entre macs
Bernanos, Journal d'une compagne de curé
Pierre Nichon, Vits minuscules
Marcel Proutprout, Sauts d'hommes et gonorrhée
Perec, Lèche, ose !
![]() Encore une. |
La BD du mois : Au-dedans (404 Graphic), gros roman graphique de l'américain Will McPhail. Le héros, jeune bobo dessinateur de pub, peine à s'intégrer (comme l'héro.ïne de Lucie D.M.) et sa mère cancéreuse va mourir (comme la sœur chez Joseph P.), on dirait que mes lectures communiquent souterrainement à mon insu. L'histoire est belle, émouvante, contée avec finesse, le dessin superbe, avec un noir et blanc qui vire à la couleur quand l'émotion du héros culmine ; sa copine est d'une beauté renversante.
Pourquoi n'ai-je pas totalement adhéré ? À cause du tempo très lent, de façon un peu trop complaisante pour mon goût ?
C'est moi qui ai tort.
![]() Elle et lui. |
Nous voulions voir Fragments d'un parcours amoureux, de Chloé Barreau, aux 7 Parnassiens, mais la salle était pleine. Nous nous sommes rabattus sur le dernier Wes Anderson, The Phoenician scheme, dont je ne voulais pas, connaissant le monsieur. Oh, ce n'est pas mauvais du tout ! Les idées pullulent, la mise en scène au cordeau nous en met plein la vue, mais où est l'émotion, la chaleur, dans ce grand tape-à-l'œil ?
Les Fragments..., que nous avons découverts plus tard, c'est tout le contraire : un petit film fauché, fouillis, mais bouillonnant, d'une richesse humaine débordante. La réalisatrice, Chloé Barreau, qui filme sa vie depuis l'adolescence, nous montre en contrepoint serré ceux et celles qu'elle a aimés, tels qu'ils furent et tels qu'ils sont. Ils parlent desdits amours. Ils en parlent très bien. Ils sont restés beaux. La ferveur du public, dans la petite salle pleine du Luminor, était palpable.
Autre bonheur : Avignon, de Johann Dionnet, comédie sur le monde du théâtre, astucieuse, trouvailleuse, un régal pétillant servi par des acteurs peu connus, mais délicieux.
![]() Les tourtereaux d'Avignon |
Musique : Debussy toujours. Je l'ai écouté toute ma vie, mais jusqu'ici j'ai eu du mal avec son Martyre de saint Sébastien écouté sur vinyl, plombé par le texte grandiloquent d'une baudruche nommée d'Annunzio. Or voilà cette musique sans paroles enfin, sur youtube, et je l'entends pour la première fois, intense, recueillie, voluptueuse aussi, extatique, traversée d'ombres et de lumière, une splendeur. Profondément debussyste, avec cependant quelque chose de subtilement différent. Pour cause de confinement, les musiciens du Philharmonique (sauf les vents) et leur chef Mikko Frank sont masqués de noir, mise en scène involontairement géniale qui donne à cette exécution l'allure d'une cérémonie funèbre, d'un rite obscur et fervent.
![]() Debussy, 1904 |
Merci une fois de plus, livres, films et musiques ! Vous êtes l'antidépresseur qui atténue un peu l'horreur autour de nous. Il faudrait à chaque fois forcer la dose, puisque de mois en mois, ces derniers temps, la situation empire un peu plus, la violence insidieuse des négationnistes environnementaux, destructeurs de la planète, étant à long terme plus dévastatrice encore, quoique moins visible, que celle des bouchers de Russie ou d'Israël.
Merci encore et toujours à André Markowicz, qui réhabilite facebook avec ses chroniques au service des peuples martyrs, merci à ce juif qui n'hésite pas à dire, lui, ce qu'Israël est devenu.
Merci de nouveau à Stéphane Foucart, qui semaine après semaine, dans Le Monde, défend obstinément la planète contre les empoisonneurs d'icelle, sans cesse plus nombreux. Nos politiciens sont plus nuls que jamais, le combat est perdu d'avance, mais il faudra pouvoir dire, après, que malgré tout on s'est battu.
![]() Jusqu'ici... |
Au mois d'août : La Bruyère, de la Mare, Murat, Rabhi, Persitz, Souvay, Siouffi, Silberstein.
![]() Tom Gauld, La revanche des bibliothécaires.. |
(réponse sur le numéro de la citation...)
Il n'y a point d'ouvrage si accompli qui ne fondît tout entier au milieu de la critique, si son auteur voulait en croire tous les censeurs qui ôtent chacun l'endroit qui leur plaît le moins.
Le poème est une attente.