BRÈVES

N°259 Mai 2025



Décidément, ça ne va plus la tête. J'ai cru lire quelque part qu'Annie Saumont venait de s'éclipser, alors qu'elle l'a fait, discrète comme toujours, voilà huit ans déjà.

Sa disparition avait peu remué les foules, et je n'entends plus guère parler d'elle. Je parie qu'Annie Ernaux (à qui je souhaite longue vie) nous quittera en grande pompe, pleurée par son bruyant fan-club ébloui par les livres de son idole — plutôt ternes à part deux ou trois au début —, tandis que mon Annie préférée, à qui nous devons une flopée de petits bijoux étincelants, n'aura jamais vraiment quitté la pénombre. Le Nobel s'est trompé d'Annie.

Reparlons donc un peu d'elle. Avant de se consacrer à l'écriture perso, elle traduisit beaucoup, remarquablement, fréquenta longtemps notre confrérie et fut pour beaucoup d'entre nous une amie adorable. On se demandait toujours comment cette petite femme frêle et douce pouvait écrire des trucs aussi corsés. Ses histoires (elle n'a pratiquement écrit que des nouvelles), le plus souvent très dures, invitent la misère du monde, font défiler des paumés et des cabossés en tous genres, et la langue française elle-même n'en sort pas indemne, que bouscule et emporte une oralité débridée, une invention inlassable, éclatante.

Début de «La composition d'orthographe» :


Se levant. Les gamins en blouse noire. Sortant de leurs bancs à grand bruit de galoches. Et lui, le photographe, s'arrêtant un instant dans sa progression vers l'estrade. Disant, Bonjour les enfants. Derrière la fenêtre l'azur parfait du ciel.

Elle. L'institutrice, debout sur l'estrade écrivant au tableau et qui avait dit, Entrez, sans même tourner la tête...


La suite dans Je suis pas un camion, chez Seghers.

Il y a en même temps, dans ce rentre-dedans stylistique, une maîtrise, une finesse infinie. Annie est une fonceuse, une chercheuse, elle expérimente à tout va, change d'angle presque à tous les coups même si on reconnaît toujours sa patte (elle prend des risques et il lui arrive d'aller trop loin, de nous larguer un peu, mais c'est sans doute notre faute, pas assez agiles), et ses recherches ne sentent pas le laboratoire et le jus de cervelle, elle fouette la langue pour lui donner des couleurs, pour nous aider à voir, mais elle n'attaque pas ses personnages, elle les aime, ses histoires débordent d'émotion, elles ont de quoi séduire Margot en même temps que les happy few.

J'ai donc relu Je suis pas un camion, mais j'aurais pu aussi bien replonger dans un autre de ses grands recueils, parus à la fin du siècle précédent : Quelquefois dans les cérémonies, Si on les tuait ?, La terre est à nous, Moi les enfants j'aime pas tellement, Les voilà quel bonheur...


La revoilà quel bonheur !
Mon Annie préférée.

*


Samuel Beckett, lui, justement starifié de son vivant, reste présent une fois disparu, à preuve un nouveau livre à sa gloire : Les vies silencieuses de Samuel Beckett (Allia), signé Nathalie Léger. Un livre court, comme il sied s'agissant du moins bavard des écrivains, et bien senti, où la biographie reste à sa place (des pans entiers de sa vie restent dans l'ombre) au profit de notations plus essentielles — même si sa jeunesse tourmentée est déchirante à lire, même s'il n'est pas indifférent de se rappeler que le grand homme, peu engagé politiquement à première vue, prit une part active à la Résistance. L'important, c'est le travail de l'écrivain, ce que disent les textes et quelques anecdotes bien choisies sur «la tâche folle de trouver le silence non pas au bout de la parole mais dedans, au milieu des mots...»

Beckett en 1949 :


...il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu'il y en a, il faut les dire jusqu'à ce qu'ils me trouvent, jusqu'à ce qu'ils me disent, étrange peine, étrange faute, il faut continuer...


On est avec lui à des hauteurs (ou des profondeurs ?) vertigineuses, et en même temps au ras du sol, dans une lutte immense et terre à terre, tragique et dérisoire.

Pages frappantes sur l'amitié entre Beckett et le peintre Bram Van Velde, dont le mutisme et le dépouillement dépassaient encore les siens. Mais des pages frappantes, ce petit livre écrit de fort belle façon en est plein.

Et puis ceci, à méditer :


Il pose un jour un métronome sur la scène pour aider l'actrice anglaise de Oh les beaux jours à respecter le tempo de la phrase. Ce qu'il demande, c'est que l'actrice interprète musicalement le texte ; ce qui l'intéresse, ce ne sont pas les sentiments, c'est le minutage...


Les sentiments sont là, essentiels, bien sûr, mais ils passent par la musique.


Plus vrai que nature.
Himself / lui-même

*


Il faut que je l'avoue : face à Beckett je me sens complexé, n'arrivant toujours pas à lire L'innommable et Comment c'est... Qu'est-ce que tu attends, pauvre vieux ? Avec Olivier Rolin, par contre, pas de problème, je le pratique fidèlement et sans douleur. Il faut dire que nous sommes un peu frères : même âge, même études, mêmes goûts de lecteur ou à peu près.

C'est une fameuse idée qu'il a eue cette fois, l'aîné des Rolin : embarquer vers des îles quasiment inconnues entre Afrique et Madagascar, sur un vaisseau de la marine nationale, et le raconter dans un livre délicieux : Vers les îles Éparses, chez Verdier.

Deux voyages en un seul. Le premier lui (et nous) permet de découvrir une nature éblouissante, en grande partie préservée encore ; le second...


Intérieur et ironique, l'autre voyage est presque le contraire du premier : passager insolite à bord d'un bateau dont les marins ont l'âge parfois d'être mes petits-enfants, ce n'est pas seulement vers les îles que je navigue, mais vers l'état fragile et un peu ridicule de vieux. L'océan Indien sera pour moi la mer de la Sénilité... Parfois cela m'amuse, pas toujours — j'espère en tout cas en faire sourire le lecteur.


Tout est résumé en quelques lignes, y compris l'atmosphère générale du livre : le sourire et le plaisir parfaitement contagieux du conteur, un observateur à l'œil vif et frétillant, plein d'expérience et sagesse, sa bonne humeur juste ce qu'il faut teintée de mélancolie. On s'offre là une parenthèse, loin de notre actualité désastreuse. On rencontre au passage «quelqu'un qui avoue ingénument être content de son sort», sur ce bateau «personne ne doute, semble-t-il, de l'utilité de son boulot», c'est rare de rencontrer ce genre d'oiseaux dans les bouquins, mais ces gens-là existent et les fréquenter un peu, ça fait du bien.

Et puis quelle noble invention que les récits de voyage, qui nous font voir du pays sans qu'on ait à se coltiner bagages et tracas !


«Confettis», «petits cailloux»...
Europa, l'une des Éparses.

*


Et revoilà un autre vieil ami, nettement plus âgé : Nicolas Boileau. Cette fois je m'offre l'intégrale des douze Satires. Outre les classiques lus jadis au collège, le repas ridicule (Satire III), les embarras de Paris (Satire VI), qui font mieux que tenir la route, on découvre là de sacrées pépites comme la Satire IV sur la folie et les fous :


Chacun suit dans le monde une route incertaine,

Selon que son erreur le joue et le promène ;

Et tel y fait l'habile et nous traite de fous,

Qui sous le nom de sage est le plus fou de tous.

(...)

Le plus sage est celui qui ne pense point l'être...


Ou la Satire X sur les femmes et son portrait acéré de fausse dévote.

L'homme ?


Il va du blanc au noir.

Il condamne au matin ses sentiments du soir :

Importun à tout autre, à soi-même incommode,

Il change à tout moment d'esprit comme de mode :

Il tourne au moindre vent, il tombe au moindre choc,

Aujourd'hui dans un casque et demain dans un froc.


Le malheureux Boileau, comme tous ses confrères de l'époque, est contraient de flatter le monarque de façon gênante aujourd'hui, ce qui ne l'empêche pas, dans la Satire VIII, de descendre en flammes le cruel Alexandre de Macédoine


qui, de sang altéré,

Maître du monde entier s'y trouvait trop serré !

L'enragé qu'il était, né roi d'une province

Qu'il pouvait gouverner en bon et sage prince,

S'en alla follement, et pensant être Dieu,

Courir comme un bandit qui n'a ni feu ni lieu ;

Et traînant avec soi les horreurs de la guerre,

De sa vaste folie emplir toute la terre...


Certains de ses vers, autant que son célèbre «Vingt fois sur le métier...», auraient mérité de devenir proverbes :


L'or même à la laideur donne un teint de beauté :

Mais tout devient affreux avec la pauvreté.


Ou bien :


Dans le crime il suffit qu'une fois on débute ;

Une chute toujours attire une autre chute.


Décidément, Boileau vaut mieux que sa réputation. Il ne nous fait certes pas crier au génie, son style qu'il qualifie d'«ami de la lumière» ne comble pas notre époque assoiffée d'ambiguïté, mais ses vers bien frappés, si agréables à lire, sont beaux et savoureux comme un repas du dimanche.

Et si, le mois prochain, je m'offrais son Art poétique ?


Dubout !
Boileau vu par...

*


Après le vieil ami, une vieille amie dont le charme ne vieillit pas, pour moi en tous cas : l'increvable comtesse de Ségur. Pourquoi relire Quel amour d'enfant !, soixante-dix ans après ? D'abord, pour une raison particulière que j'avoue dans le Journal infime de ce mois ; ensuite, ce roman-là est l'un des plus âpres de son auteure.

Ne pas se fier au titre, d'une ironie cruelle : l'héroïne, Giselle, est une fillette insupportable, la pire des pestes, désagréable, désobéissante et surtout manipulatrice. Ses ruses pour embobiner ses parents trop faibles, c'est du grand art. La relation malsaine entre eux trois est analysée avec une grande finesse, et les diverses guérisons de la pimbêche, aussitôt suivies de rechutes, ponctuent l'histoire de façon habile et forte. Les livres de la comtesse ne sont pas du sirop d'orgeat.

Tout cela serait même terriblement sombre si la comtesse n'avait pas introduit comme contrepoids un couple de vieillards délicieux qui ne cessent de se chamailler et font souffler un vent frais sur l'aventure : Mme de Monclair et M. Tocambel. Ils ont existé pour de vrai, on sait même qui ils étaient — pour en savoir plus, lire le Journal infime du mois, «Deux moitiés d'un homme».

Bref, je ne regrette pas ma relecture. Je n'ai pas lu Quel amour d'enfant ! dans l'édition historique de la bibliothèque rose (on peut la consulter sur Internet), mais je reste attaché à une réédition déjà vénérable, celle que lut ma mère dans son enfance, et à ses belles illustrations signées André Pécoud, très années 30, doucement désuètes.


Pécoud dans ses œuvres.
Estelle, petite peste.

*


Tout le monde connaît cette chère comtesse ; et Joséphine Tey ? Je découvre aujourd'hui son nom, alors qu'elle a, dit-on, des admirateurs fanatiques, et que son ouvrage le plus connu, La fille du temps (10/18), paru en 1951, traduit par Michel Duchein, passe pour l'un des grands classiques du genre policier. L'un de ses fleurons les plus originaux, sûrement : il ne s'agit pas de découvrir l'assassin, mort il y a plus de cinq-cents ans, mais de prouver qu'il n'en était pas un !

Un inspecteur hospitalisé trompe son ennui en lisant des livres d'histoire, se prend d'affection pour le roi Richard III, assassin crapuleux notoire, et entreprend de nous démontrer, à partir des quelques documents dont on dispose, de prouver que c'était un excellent garçon !

Un homme sur un lit d'hôpital, les visites qu'il reçoit, ses cogitations, l'action peut paraître mince, et on se perd un peu par moments dans les méandres de l'histoire médiévale anglaise, et pourtant on ne s'ennuie guère : l'œil et la plume de Ms Tey sont vifs et malicieux, on note au passage quelques jolies perles pour les Brèves, du genre


Mille Chinois noyés par une crue du Yang-Tsé-Kiang sont un fait-divers ; un enfant noyé dans un étang est un drame.


Ou


Il l'accompagna poliment jusqu'à la porte et revint s'asseoir au pied du lit avec l'air d'un Anglais qui commence à savourer son porto après que les dames sont enfin passées au salon.


Ce qui est profondément jouissif, c'est de voir une enquête réussie à partir de si peu d'indices ; des menteurs démasqués, un innocent blanchi ; de dignes historiens ridiculisés — à moins qu'on ait creusé davantage, qu'on ait appris ailleurs qu'en fait les preuves avancées par l'auteure ne prouvent rien, et du coup ce qu'on n'admire pas moins, c'est le culot et la rouerie de la romancière, qui rend pleinement convaincante une thèse finalement hasardeuse, et ce pouvoir qu'a Dame Littérature, cette friponne, de nous faire gober des vessies en guise de lanternes. La vérité est fille du temps, dit le proverbe ; elle a une sœur menteuse cachée...

Les autres romans de Ms Tey, publiés naguère en 10/18, sont tous épuisés ; prépare-t-on une réédition collective, dans un volume de chez Bouquins par exemple ?


...et une reconstitution d'après son crâne.
Richard III : Un portrait presque d'époque...

*


Le livre qu'on garde pour la fin des Brèves, c'est tantôt le clou du mois, le bouquet final, tantôt celui qui embarrasse, dont on ne sait que faire, ni comment avouer qu'on n'y arrive pas. Ce serait facile de se taire, mais non, courage, Michel, ne crains pas d'étaler tes échecs, d'illustrer ce que tu ne cesses de ressasser : la lecture est une aventure, avec ses grands moments et ses naufrages.

Paris musée du XXIe siècle, le dix-huitième arrondissement, de Thomas Clerc, vivement recommandé par un ami sûr, s'inscrit dans une balade entamée ici-même à travers les livres consacrés à notre capitale. Pourquoi vadrouiller ainsi dans Paris ? Parce qu'on a beaucoup et bien écrit sur lui (ou elle ?) ; que je ne sais trop qu'en dire ni qu'en penser moi-même ; c'est une espèce de parent fréquenté sans véritable amour, attachant-agaçant, dont l'absence créerait un vide.

Tous les livres publiés chez Minuit font plus ou moins partie d'une famille, dont les membres ne déçoivent jamais vraiment ; ce label est une garantie d'exigence. Le nouveau livre de Clerc, comme son titre l'indique, est une exploration minutieuse, exhaustive, de l'arrondissement où vit désormais l'auteur, au fil de ses déambulations pédestres, rue après rue, immeuble après immeuble — entreprise démesurée, démente sur les bords, à la Perec, sur 600 pages. Avant même de lire, on salue l'entreprise avec un profond respect.

Le XVIIIe n'est pas la partie de Paris la plus riante et touristique, mais une zone souvent moche, et parfois même carrément craignos (craignosse ?), ce qui n'empêche pas les belles surprises. Comme le dit l'infatigable explorateur,


quand est-ce qu'on comprendra que les «espaces ingrats» sont justement les plus beaux de Paris ?


Il le prouve. Son journal de voyage regorge de personnages et de vie. Il aime parler aux inconnus, ce qui nous le rend d'emblée sympathique. Il sait écrire aussi bien que regarder. À preuve, une abondance de formules bien tapées, genre «Le Nord de Paris est le Sud du monde», Éluard «poète dévoré par son mythe», ou bien ce croquis à la Echenoz, porte de la Chapelle :


Le trafic, intense, partiellement bloqué par les travaux, les échangeurs autoroutiers, le chantier du stade et de la future fac, le tramway qui s'ébranle, tout se mêle dans un imbroglio cubiste dont le peintre n'aurait pas la clé.


Alors pourquoi suis-je ensuqué à la page 133 ?

Ce qui manque dans cette pérégrination linéaire, c'est une progression. On piétine. Dans cette succession de notations, pas de propulseur, pas de banderole à l'horizon. Mais cette explication suffit-elle ? Il y a comme ça des personnes remarquables avec qui ça n'accroche pas, inexplicablement.

Pire encore que l'échec : ne pas savoir pourquoi on échoue.

Vais-je le laisser tomber, ce pavé, ou continuer ? Même ça, je l'ignore !


Villa des Tulipes, la rue la plus fleurie de Paris.
Un autre visage du XVIIIe.

*


En attendant, quittons la grande ville pour une campagne extraordinaire, toute en forêts, étangs et prairies, sans chemins, sans la moindre maison, où va se dérouler la plus paisiblement étrange des histoires.

Le raconteur-dessinateur-enchanteur s'appelle Nylso, et son livre, Les Julys, nous vient des éditions Misma. Perdus dans une nature exubérante aux arbres immenses, un père et son enfant, silhouettes minuscules, errent à pied, à vélo, en barque, en ballon, échangeant des propos volontiers philosophiques, tandis qu'un peu plus loin apparaît et déambule une troupe de lilliputiennes créatures toutes identiques, les Julys — prononcer djoulaï, comme le juillet anglais : ces demoiselles ne vivent qu'un mois, comme certaines fleurs. Les deux groupes vont s'apercevoir, s'approcher sans se fondre, au fil d'une longue narration de 300 pages à la lenteur hypnotique, dont les situations et les dialogues intriguent et les dessins surtout obsèdent, répétés-variés jusqu'au vertige, avec leurs hachures très fines prenant la forme d'un tourbillon tranquille, d'une émerveillante beauté.


...et l'immense nature.
Les Julys...

*


Les défaillances de la mémoire font parfois bien les choses : après avoir vu le petit dernier de Steven Soderbergh, Black Bag, thriller d'espionnage (finement rebaptisé The insider en français (!)), exercice de style très pensé, impeccable et froid, dès le lendemain j'avais tout oublié.

Chaleur débordante au contraire avec La cache de Lionel Baier, adaptation du roman homonyme et autobiographique de Christophe Boltanski. Qu'il est doux de passer un moment au sein de la tribu Boltanski, aussi attachante que foutraque, filmée de façon astucieuse, inventive, pleine de drôlerie et d'émotion finement brassées.

Avec Hard truths de Mike Leigh, appelé Deux sœurs chez nous, c'est rude au contraire : l'une des deux héroïnes sœurs est d'une agressivité folle non seulement avec les siens, mais avec tout le monde au point que ça en devient presque comique en même temps que terrifiant. On finit par comprendre que c'est là une maladie mentale et qu'elle souffre plus encore que son entourage, mais pas un mot pour expliquer son mal, et (spoilons) pas l'ombre d'un happy end. C'est dur, mais ça sonne vrai, et c'est raconté, joué et filmé avec une parfaite justesse, en évitant les clichés avec grâce.

Troisième bonheur du mois au cinéma : les films tournés par Louis Lumière et ses équipes, amoureusement restaurés, sous le titre Lumière l'aventure continue, deuxième compilation après Lumière l'aventure commence, toutes deux composées et commentées par Thierry Frémeaux. Lumière a inventé la caméra comme on le sait, mais aussi la mise en scène. Ils sont beaux, ces premiers films, tous longs de cinquante secondes (on aimerait proposer ce format aux cinéastes d'aujourd'hui). On n'y voit pas la célèbre entrée du train en gare de La Ciotat, mais le plus beau c'est le tout premier film tourné : la sortie d'usine. La porte qui s'ouvre, ces flots d'ouvriers qui sortent joyeusement, presque dansant, c'est l'image du cinéma lui-même qui fait irruption dans nos vies. Le plus beau du film étant peut-être l'accompagnement musical : rien que des œuvres du merveilleux Fauré, idée géniale, le jeune art et le vieux maître miraculeusement accordés.


Dans le film on la rejoue 130 ans plus tard.
La célèbre sortie de l'usine Lumière, 1895.

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Musique toujours : après m'être promené longuement dans les opéras de Janaček, j'ai eu envie tout naturellement d'aller voir le reste.

Sa musique d'orchestre ? Dans Tarass Boulba, du mouvement, de la couleur, mais on a trop l'impression que la musique cherche à illustrer on ne sait quoi. La Messe glagolithique, flamboyante et tonitruante, moins messe que nuit de sabbat, me rappelle impérieusement le film psychédélique et fou de Kenneth Anger, Inauguration of the pleasure dome qui s'en est servi pour sa B.O.

Enthousiasme sans nuances, par contre, pour sa musique de chambre : le fringant Sextuor, les deux quatuors, le second surtout, d'une vigueur et d'une invention incroyables, et la sonate pour violon et piano que je ne connaissais pas, son premier mouvement surtout, feu d'artifice digne de sa contemporaine la sonate de Debussy — quel compliment.


Ses plus belles œuvres : celles de la vieillesse.
Leos Janaček

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Au moment de commenter la situation de la planète ces derniers temps, je déclare forfait : trop de bile à déverser, et puis je n'ai pas le temps ! Trop à apprendre ! Depuis l'invasion de l'Ukraine les gazettes exigent de nous des connaissances approfondies en sciences guerrières, et voilà qu'en plus, à cause des délires de Trump, on voudrait faire de nous des as en économie et en finance. Or je n'y ai jamais rien compris (les experts non plus, notez bien) et je ne m'attends à aucun progrès. Par quel bout qu'on la prenne, la situation me dépasse.


Un coup de flambeau sur le crâne, ça va faire mal !
Signé Lennart Gaebel.

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En juin, programme varié, comme toujours : Tolstoï, Boileau, Besse & Godeau, Simenon, Michon, Rabhi, Bourgeois (Jean-Pierre) et Franquin !



Éditions 2024.
Tom Gauld, La revanche des bibliothécaires..








SITATIONS

Savez-vous de qui sont ces phrases ?

(réponse sur le numéro de la citation...)


1


Écrire n'est pas décrire, peindre n'est pas dépeindre.



2


La poésie ne vit qu'à son insu.








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